L’appel de Daoukro ou la République contre l’Etat communautaire

Dans la continuité du front républicain, qui  avait permis de remporter la victoire électorale contre l’ethno-nationalisme lors de la Présidentielle de 2010, l’objet ultime de l’appel de Daoukro était de préserver la coalition républicaine et de l’inscrire dans la durée sous la forme d’une alternance de candidatures aux Présidentielles entre les deux parties prenantes du RHDP.

La coalition se voulait une alliance partisane républicaine contre la dérive de la Côte d’Ivoire vers un Etat communautaire antirépublicain et antidémocratique.  Elle est maintenant vécue par ses opposants comme une entrave au pluralisme démocratique. Ils accusent le RDR de vouloir absorber le PDCI, de l’instrumentaliser pour conserver le pouvoir. La coalition est alors perçue comme l’instrument de la mainmise d’une communauté ethnique et d’une région sur le Pouvoir d’Etat. Elle est aussi considérée comme un dispositif qui permet à des personnes et des factions de monopoliser le pouvoir au détriment de l’autonomie et de l’indépendance des partis.

Ainsi, l’esprit du RHDP qui était de sauvegarder la République, de la protéger contre le danger de dérive communautaire et ethno-nationaliste, est calomnié.

N’a été conservée que  la lettre des alliances politiques : l’addition quantitative indispensable de voix pour remporter une élection suivant le principe majoritaire. Les opposants à l’appel de Daoukro prétendent sauvegarder la Démocratie à travers une pluralité de candidatures et par de nouvelles alliances politiques. Mais la thématique qui inspire leur fronde semble faire fi de la sauvegarde de l’ordre républicain. Semble être alors privilégiée, une stratégie purement instrumentale de prise du pouvoir qui risque de constituer une menace autant pour l’ordre républicain que pour la démocratie électorale représentative elle-même.

Il importe, dans ces conditions, de passer en revue les différents griefs pour en apprécier la légitimité à l’aune des valeurs fondamentales de la République et de la Démocratie. A l’approche de la Présidentielle, cette enquête rationnelle sur une dissidence qui risque de déterminer le destin politique de la Côte d’Ivoire s’apparente à une œuvre de salut national.

L’argument central de la dissidence qui rejette l’appel de Daoukro porte sur la trahison des valeurs républicaines et la mise en danger de la démocratie par une dictature rampante au RHDP.

En toute bonne logique, les déclarations et les actes des opposants à l’appel de Daoukro devraient être en concordance avec les valeurs et les principes de la République et de la Démocratie que des candidatures séparées du PDCI sont censées sauvegarder. Ces valeurs et principes sont l’indivisibilité de l’Etat, la laïcité, la souveraineté du peuple, la protection des faibles et des populations les plus démunies, la liberté de l’être humain, la citoyenneté, l’égalité de tous les hommes et la fraternité. Il est alors important de souligner avec force que l’effort constant pour respecter ces valeurs fut le cachet spécifique de l’Etat ivoirien sous le gouvernement de Félix Houphouët-Boigny. Tel est l’esprit de l’Houphouëtisme qui constitue l’héritage légué à la Côte d’Ivoire. Ce fut un modèle de gouvernement républicain. Le PDCI-RDA fut un parti construit pour servir et incarner dans le temps ces valeurs républicaines au profit de tous les Ivoiriens considérés comme tels selon le principe citoyen de la nationalité. Ainsi appréhendé  selon son principe fondateur et les valeurs universalistes qui présidèrent à sa naissance, le PDCI-RDA ne fut pas exclusivement un appareil de pouvoir destiné à être protégé contre des étrangers et à être légué en tant que tel aux héritiers d’une avant-garde et à une population d’autochtones.

 L’argument d’un leader de la dissidence soutenant que « le Pdci-Rda est l'héritage que Houphouët a légué aux Ivoiriens » qui n’ont « pas le droit de le brader au premier venu » entre clairement en contradiction avec les valeurs républicaines, fondatrices du PDCI-RDA. L’idée sous-jacente selon laquelle des étrangers venus d’ailleurs seraient entrés, par effraction, au PDCI-RDA et seraient en train de tenter de le voler aux Ivoiriens appartient au registre des arguments de la défense identitaire qui récusent le principe de la citoyenneté et de l’égalité des membres de la République. Elle viole l’esprit de l’Houphouëtisme. 

Cette idée anti-républicaine est le soubassement de l’argument de la candidature séparée du PDCI à la présidentielle 2015. Le PDCI doit présenter une candidature séparée pour sauvegarder une identité comprise comme autochtonie, pour éviter de se diluer dans une coalition partisane représentée par un « étranger ». La sécession des partisans du rejet de l’Appel de Daoukro, qui en appellent au devoir et à l’urgence de se séparer d’un PDCI devenu RDR, un  « PDCI-RDR », pour se retrouver en tant que PDCI-RDA, est la scission de prétendus « démocrates » qui militent pour l’affirmation d’une identité culturelle discriminatrice. Ce n’est nullement une dissidence de démocrates professant un pluralisme fondé sur la défense de la citoyenneté et de l’égalité de tous, qui voudraient se séparer de républicains servant les intérêts de classe d’une aristocratie.

On attendait des principaux acteurs du rejet de l’appel de Daoukro que leurs candidatures soient donc justifiées par une pluralité de programmes politiques militant pour une intégration nationale fondée sur la synthèse de la citoyenneté et des mémoires. Les déclarations des opposants à l’appel de Daoukro font, au contraire, l’impasse sur les programmes politiques républicains qui pourraient justifier une pluralité de candidatures. On attendait un affrontement idéologique et une présentation publique de programmes républicains divergents, substance de la concurrence et du pluralisme démocratique. On les entend justifier leur rejet de l’appel de Daoukro par des arguments qui renvoient plutôt à un conflit de personnes, à une querelle d’égos, à un affrontement d’ambitions personnelles. Selon la déclaration de KKB dans Jeune Afrique, la validation de l’Appel de Daoukro au Congrès du PDCI sera un casus belli qui provoquera « le départ de Bédié et de ses suiveurs vers le RDR d’Alassane Ouattara. » Dans ce cas d’espèce un congrès politique partisan est appréhendé comme une réunion de factions clientélistes rangées derrières des chefs charismatiques en compétition pour le pouvoir. L’appel de Daoukro, d’après ce frondeur, ne serait motivé que par «l'entêtement de Ouattara à s'accrocher à Bédié ».

La Coalition républicaine qui donna naissance au RHDP ne serait, dans cette optique, qu’un dispositif tactique et stratégique de conquête personnelle du pouvoir  dont la pérennité ne se justifie guère. Elle peut alors être légitimement  brisée par les ambitions personnelles. Une coalition politique ne serait que l’instrument des ambitions de pouvoir des acteurs politiques. Selon l’un des membres du quatuor de dissidents, «l'entêtement de Ouattara à s'accrocher à Bédié par l'appel de Daoukro signifie que lui seul ne peut gagner les élections ».  Un tel jugement atteste de la réduction de la légitimité démocratique à la légitimité électorale qu’assureraient les diverses stratégies d’accumulation quantitative de voix. Comme en témoigne le jugement lapidaire d’un des animateurs du rejet de l’appel de Daoukro, pourtant figure centrale du PDCI de Félix Houphouët Boigny « si on devait seulement s'en tenir à la construction de ponts et de routes, Kadhafi serait toujours au pouvoir ». La légitimité d’administration, qui fut le cœur de l’Houphouëtisme, est calomniée et discréditée au profit des stratégies électoralistes qui permettent de satisfaire les ambitions personnelles. On réduit les stratégies politiques en démocratie aux stratégies instrumentales de prise du pouvoir. Ces diverses réductions instrumentales, transforment la compétition démocratique ivoirienne en un jeu d’acteurs politiques prêts à passer des alliances contre nature en violation de l’esprit républicain qui présida à la naissance du PDCI-RDA.

Cette dérive gravissime est la trahison insigne de l’esprit de l’Houphouëtisme. Cet esprit ne survivra que par le refus de principe de l’ethno-nationalisme dans une coalition RHDP revivifiée par les valeurs et principes  de la République et de

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