La nouvelle grande coalition ivoirienne d’opposition au RHDP est-elle à la hauteur des attentes du peuple ivoirien?

Nous avons applaudi en apprenant qu’une grande coalition politique des partis d’opposition est en train de se construire en Côte d’Ivoire pour s’opposer au RHDP et lui porter la contradiction, afin de rendre possible l’alternance du pouvoir, élément constitutif de la démocratie électorale représentative. La domination sans partage du RHDP, dans un champ politique caractérisé par une opposition fragmentée, constituait en effet un danger pour la démocratie ivoirienne. Le cordon sanitaire républicain constitué par le RHDP représente une sauvegarde pour la démocratie électorale représentative mais celle-ci doit cependant s’accomplir pleinement à travers l’existence d’une opposition républicaine.

L’essence de la démocratie réside en effet dans la compétition entre plusieurs partis ou coalitions cohérentes. Cette compétition est une confrontation entre des programmes politiques contradictoires et des projets de sociétés différents.

L’enjeu de la compétition démocratique est en effet le choix, au second tour des élections présidentielles, entre deux hommes ou deux équipes qui incarnent des idées, des programmes politiques et des projets de société. Les peuples sélectionnent leurs gouvernants en évaluant la correspondance de ces programmes avec leurs demandes et besoins réels, en jugeant les candidats selon leurs aptitudes et capacités à les réaliser. Au-delà de la légitimité électorale, la légitimité des gouvernants est, en effet,  déterminée par la légitimité des politiques qu’ils mènent. Elle est déterminée par leur aptitude à servir le bien commun et à respecter les valeurs fondatrices du lien social.

Cette exigence oblige les partis et les candidats à élaborer des programmes explicites de gouvernement fondés sur le service du bien commun, à bâtir campagne autour de ce programme, à publier les valeurs qui sont les leurs et les projets de société susceptibles de les incarner. En Côte d’Ivoire une grande coalition d’opposition devrait donc s’inscrire dans le cadre de ces réquisits de la démocratie moderne. Elle devrait se construire pour donner du contenu à ces impératifs.

Or, plusieurs signes tendent à montrer que la nouvelle grande coalition de l’opposition n’est pas à la hauteur de ces réquisits de la démocratie moderne. Les ivoiriens attendaient une grande coalition partisane d’opposition structurée par un programme politique concurrent face au RHDP. Or, les initiateurs de ce projet se réunissent pour mettre en place « une grande coalition face à Alassane Dramane Ouattara » comme ils l’annoncent eux-mêmes dans un journal en ligne ivoirien. En Côte d’Ivoire, la grande coalition d’opposition se construit donc contre une personne. Le but de l’initiative n’est pas de rétablir l’équilibre et l’égalité formelle des partis dans une démocratie déséquilibrée dominée par une grande coalition  ni de proposer au peuple ivoirien un programme politique concurrentiel incarné par une grande coalition d’opposition. Les initiateurs du projet veulent au contraire constituer un groupe concurrent massif de chefs de faction pour arracher le pouvoir suprême à une personne assimilée elle aussi à un chef de faction.  L’Alliance pour le changement démocratique sape à la base la compétition démocratique partisane dualiste en la réduisant à la rivalité et à l’affrontement entre deux hommes et deux équipes qui se disputent le pouvoir!

Il s’ensuit une perversion du rôle politique de la grande coalition ivoirienne d’opposition. Elle résulte de la dérive originelle mentionnée plus haut. Selon Martial Ahipeaud, l’un des chefs d’orchestre de cette coalition, l'Alliance pour le changement démocratique « a un seul objectif : faire en sorte que les conditions d'une élection transparente soient réunies ». Elle se réunit pour décider des « actions communes à mener pour l’obtention d’une élection crédible, susceptible d’ouvrir la voie à une alternance démocratique ». La nouvelle coalition réduit donc son action politique au contrôle de la transparence de l’élection présidentielle ivoirienne. Elle voudrait à la limite s’approprier la fonction des institutions de l’impartialité démocratique. C’est un rôle politique partisan inédit et étonnant.

Certes, la discussion de la composition de la CEI et l’apurement des listes électorales est essentielle. Le rôle politique d’une grande coalition d’opposition ne peut cependant s’y réduire. La recherche de la transparence et de la crédibilité des institutions de l’impartialité ne dispense guère la nouvelle coalition de l’obligation partisane de transparence envers les populations ivoiriennes quant au programme politique et au projet de société qui structurent les oppositions politiques en démocratie. Du point de vue de la règle démocratique de transparence, l’argument selon lequel il importerait, du point de vue stratégique et tactique, de dissimuler les programmes partisans pour éviter de se les faire voler par le camp adverse est irrecevable. Le programme politique de la coalition doit donc être publiquement déclaré et explicité. 

L’attente populaire de cette exigence démocratique est d’autant plus légitime  que cette nouvelle coalition compte dans ses rangs des banquiers internationalement reconnus, des économistes de renom, des sociologues, des anthropologues, des juristes, des politiciens professionnels, des philosophes, des enseignants. Cette équipe est à même de construire un programme politique ainsi qu’un projet alternatif de société et de l’exposer pédagogiquement à l’électorat pour espérer emporter son suffrage. (À suivre)

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