L’appel de Daoukro et sa résonance symbolique dans le pont Henri Konan Bédié

Le cours du temps a cette nature singulière de s’animer intensément parfois de faits auxquels un beau matin, sans aucun bruit, subtilement, par un signe, il vient lui-même donner une réponse qui révèle une vérité élémentaire et remet chaque chose à sa place.

       Il est habituel d’entendre dire que la finalité de tout parti politique est de conquérir le pouvoir et de l’exercer. En s’exprimant de cette manière, l’on pense énoncer une évidence absolue, mais au fond, pareille évidence est tellement banale qu’elle oublie de se soucier de l’essentiel dont d’ailleurs elle semble volontiers se détourner.
Parvenir à conquérir et à exercer le pouvoir saurait-il constituer une fin en soi, un but substantiel ?

Pont_HKBL’expérience révèle que vouloir le pouvoir pour lui-même est le propre de la vanité courant partout, cherchant uniquement à se remplir d’elle-même, et réduisant sur son chemin les autres à la réalité de simples ombres. Renvoyant seulement à lui-même, étant à soi son propre signe et ne répondant de rien, un tel pouvoir ne peut que se consommer et se consumer dans la tyrannie !

     L’exercice du pouvoir politique est lui-même un moyen en vue d’une fin. Il est ordonné au désir que demain soit plus beau qu’aujourd’hui, que fleurissent les conditions de l’avènement d’une société davantage épanouie et que, jusqu’aux endroits les plus obscurs, brille la lumière de la fraternité. De la sorte, le pouvoir n’a-t-il pas intrinsèquement pour finalité le Bien ?
Il trouve sa raison d’être en quelque chose  venant de plus loin que moi, me convoquant à me mettre au service d’autrui, à être attentif à ses attentes  et à œuvrer afin  que l’autre n’ait pas à vivre, au matériel comme au moral, en dessous d’une cote. Le pouvoir coïncide ainsi avec la générosité. Celle-ci est une attitude venant du dedans, une dilatation du cœur disposé à donner et à se donner, afin que partout puissent exister les germes du bonheur. On comprend pourquoi le Roi Salomon demandait seulement à Dieu de lui donner l’intelligence et la sagesse pour conduire son peuple, son unique   souci étant de savoir où est le Bien afin de le pouvoir servir. Platon souligne que le Bien n’est jamais jaloux de quoi que ce soit et qu’au contraire, libre de toute jalousie, il veut que tout lui ressemble autant que possible.

      Sous cet aspect, qui aspire à gouverner un pays devrait, au préalable, se poser la question incontournable : que pourrais-je apporter aux populations afin que demain leur soit plus radieux et plus gai ?
Dans le cas de notre pays, la question est : que puis-je faire de mieux à la place de ce qui ne cesse quotidiennement de  se réaliser ? Chacun de nous est d’avis que nous venons de loin ! Le bons sens, parce qu’il est sain en lui-même, reconnaît qu’après  une crise  postélectorale qui risquait de le déstructurer organiquement, notre pays, en très peu de temps, a accompli un bond extraordinaire. Il  retrouve son audience internationale, renoue avec sa tradition d’hospitalité, recrée et améliore des infrastructures en plusieurs domaines. Qui ne remarque pas que les choses retrouvent de manière subtile le printemps de la vie  pour aller vers une stabilité rayonnante ? En raison des douleurs du passé, le travail initié, comme tout ce qui est précieux, est encore fragile. Il a besoin d’un certain temps pour s’asseoir, se consolider et propager partout ses fruits. En bonne pédagogue, la nature nous révèle que c’est une fois assurées la profondeur des racines et la verticalité du tronc que l’arbre peut étendre ses branches pour laisser être des fleurs et produire des fruits.

       L’Appel de Daoukro ne procède-t-il d’une intelligence profonde de cette réalité des choses ?  Il vient du regard  qui, conscient de l’élan dynamique impulsé à la vie de la nation en un temps extraordinaire, salue l’œuvre réalisée, la soutient, veut que l’opportunité lui soit accordée de poursuivre son chemin  et de s’enraciner dans la durée, afin de produire des fruits splendides et abondants conduisant le pays encore plus loin et plus haut. Un tel appel est seulement soucieux que ce qui est en train de naître en beauté acquière force et vigueur afin que le pays poursuive son progrès pour tous et laisse un héritage radieux aux générations à venir. On ne peut le  mettre en cause et susciter au sein du RHDP des candidatures diverses qu’à la condition d’oublier que, parce que  nous venons de loin, les raisons d’unir doivent être plus fortes que celles de diviser. Qui le  met en cause croit que l’exercice du pouvoir a pour fin l’affirmation du Moi, la bouillie du cœur portée à l’absolu, non le service du Bien, le sens de la volonté générale, le souci d’une société sauvegardant la dignité de l’homme !

       Rejeter cette proposition contenue dans cet appel, c’est, dans le fond, refuser de voir ce qui  ne cesse de s’accomplir pour porter notre pays vers un horizon  lumineux. Ce  refus ne vient pas des yeux, car l’œil ne fait aucun effort pour voir ! Il  vient plutôt du cœur ne supportant pas que de grandes choses aient pu se réaliser  en si peu de temps, que le pays reçoive un nouveau visage, et qu’une équipe dynamique soit toujours à l’œuvre  afin que les choses ne connaissent aucun relâchement. Pour ce cœur, ce qui se réalise sous ses yeux  aurait dû, pour bien faire, ne pas se réaliser. Est-il besoin de creuser longtemps pour savoir qu’une telle personne nourrit en elle des désirs obscurs et aurait souhaité qu’un déluge engloutît toute l’œuvre accomplie parce qu’elle porte la signature d’un homme qui est la pierre rejetée devenue angulaire ? Il faut simplement souligner que l’on ne saurait demander à la limace d’apprécier l’élégance et le vol radieux de l’hirondelle ! La rose ne demande pas si on la voit : elle fleurit et se contente de fleurir en exhalant son parfum que seul pourrait ne pas supporter celui qui a perdu la saveur des choses ! 

      Le Pont Henri  Konan BEDIE ne vient-il pas d’ailleurs répandre ce doux parfum de l’œuvre accomplie, donnant ainsi  une résonnance tout à fait symbolique à l’Appel de Daoukro ?  Reliant de grandes rives, favorisant une circulation beaucoup plus fluide, surgissant comme le troisième terme qui opère la synthèse des deux ponts précédents, il est le lieu de l’unité, le point absolu de la convergence  vers l’essentiel, vers ce qui ne rétrécit pas mais élargit, ce qui n’obscurcit pas mais éclaire, ce qui n’enchaîne pas à l’immédiateté de nos terres mais  invite, par sa sublime beauté, à nous envoler afin d’aller communier avec le monde. En passant sur ce pont, qui n’éprouve pas de la joie et de la fierté et ne se représente pas ce que pourrait devenir notre pays dans quelques années, si le processus engagé se poursuivait avec la même personne à la tête des choses !

      C’est lorsque toutes les conditions d’une chose sont présentes qu’elle vient à l’existence. L’on peut dire que ce pont vient à son heure. Longtemps attendu, il vient à son heure  manifester qu’à la pointe de toutes les activités  conduisant et façonnant le monde, il est des hommes dont la  personnalité anime la substance des choses en vue de leur être- là effectif. Il vient rassembler et nous inviter à nous mettre en mémoire de l’œuvre du bâtisseur de notre pays  afin de la poursuivre. Ce pont s’étend là, en fierté et en majesté, pour nous rappeler que la beauté d’un tapis provient de la diversité de ses couleurs, et que l’existence du RHDP, consensus pour gouverner, est  pour notre pays un beau cadeau du destin.

                                                      DIBI Kouadio Augustin

                                                      Professeur titulaire de philosophie

                                                      Université Félix Houphouët Boigny  

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