Quelles ressources endogènes mobiliser pour réussir les négociations procédant des guerres civiles en Afrique ?

 Quelles ressources endogènes mobiliser pour réussir à réunir en une société pluraliste et intégratrice des belligérants que séparent la haine et le refus réciproque de la différence?

Comment réconcilier en une société démocratique hétérogène les tenants d’une conception homogénéisante de la cité politique ?

Nous avons rejeté les solutions externes qui restaurent les aliénations de souveraineté et rétablissent les dépendances économiques et politiques de type néocolonial. Il ne reste plus que les solutions internes qu’il faut  rechercher en nous-mêmes, en nos ressources culturelles  et en nos propres forces spirituelles internes.

La première ressource endogène à laquelle recourir pour résoudre le problème du clivage social, source des crises politiques contemporaines, est le génie syncrétique africain, la capacité reconnue des sociétés d’Afrique Noire à intégrer la différence sans l’assimiler, à la laisser exister en sa particularité et à construire l’unité sociale avec la multiplicité culturelle. Le principe sociologique et politique fondamental des anciens empires et royautés fut, en effet, de ne pas procéder à l’assimilation culturelle et linguistique des groupes dominés ou des collectivités vaincues pendant les guerres. Le géographe Yves Lacoste a vu dans cette spécificité la source du pluralisme culturel et linguistique foisonnant des sociétés d’Afrique Noire.

Il importe d’utiliser ce génie autochtone pour résoudre le problème de la coexistence de la pluralité, de l’intégration de la diversité dans les Etats multiethniques modernes. La réactualisation de cette mémoire du pluralisme des sociétés africaines précoloniales pourrait nous aider à nous réapproprier le principe démocratique moderne du respect de la différence et du vivre ensemble de la diversité sociale.

La seconde expression de ce génie syncrétique africain est la capacité spécifique des sociétés d’Afrique noire,  reconnue par maints anthropologues, sociologues, ethnologues et historiens, d’intégrer les apports venus de l’étranger pour construire une nouveauté originale, comme l’atteste le tissu aux couleurs variées des sociétés et des cultures d’Afrique Noire. Il faut s’en inspirer pour construire aujourd’hui des sociétés ouvertes sur le monde et pour se réapproprier les valeurs et principes de la modernité républicaine et démocratique. Il faut y puiser des enseignements pour sortir de l’ornière des conflits ethniques et confessionnels, de l’enfermement communautaire nés du refus de l’altérité et de la différence.

La seconde  ressource endogène vers laquelle il faut se tourner se trouve dans la racine du pouvoir d’historicité de l’être humain autrement dit dans la liberté qui consiste en la capacité innée de tout être humain d’agir indépendamment des conditionnements externes et de pouvoir initier une nouvelle histoire en résiliant le passé. Ce pouvoir d’initier (initium) un nouveau commencement constitue la seconde ressource endogène par laquelle le cours de l’histoire africaine pourrait  être radicalement modifié. Où rechercher en effet la solution définitive de nos guerres civiles et de nos divisons intérieures si ce n’est dans ce pouvoir humain de résilier le passé par une décision totale de la volonté pour construire ensemble une société nouvelle fondée sur l’alliance avec l’ennemie d’hier ?

Est-il besoin de rappeler qu’en Côte d’Ivoire cette capacité d’initier un nouveau commencement par le pardon pour reconstruire l’unité brisée de la communauté fut mise en œuvre par les chefferies traditionnelles et que cette initiative capitale ne fut malheureusement pas suivie par les élites modernes ?

À l’exigence incontournable de mettre en œuvre ce pouvoir d’historicité oublié dont résultèrent les grandes civilisations africaines du passé, s’ajoute alors pour les belligérants et les protagonistes des conflits africains, l’impératif de prendre des décisions rationnelles idoines. Ces décisions qui modifient le cours de l’histoire doivent être éclairées par la connaissance exacte de la finalité ultime de la guerre et des objectifs de la négociation issue d’une crise politico-sociale. La problématique centrale n’est-elle pas, en effet, de parvenir à reconstruire une vie républicaine et démocratique entre les membres intérieurement divisés d’une collectivité intérieurement déchirée qui    a abandonné la logique de l’anéantissement réciproque  afin retrouver son unité perdue? Comment les belligérants doivent-ils alors entreprendre la négociation politique pour réussir à recoudre la déchirure interne qui les sépare ?

Dr Alexis Dieth
Professeur de philosophie
Vienne. Autriche

 

 

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