Que veut dire « Je suis un Gbagbo ou rien» ? Réflexion critique citoyenne sur les dangereux propos d’Abdoudramane Sangaré. (2ème partie)

En démocratie pluraliste, la complexité et le caractère diversifié de la société conduisent nécessairement à la création des partis politiques. Ces organisations spécialisées du corps social permettent de relier la société civile et la société politique. Leur rôle politique est un rôle de médiation. Il consiste à agréger les demandes des divers groupes d’intérêts afin d’en assurer la représentation politique. Le monde partisan est en conséquence fondé sur la reconnaissance de la légitimité des conflits et sur l’aspiration au consensus. Ces deux éléments contradictoires sont médiatisés par le principe politique du  compromis. Un parti politique qui érige la maxime du refus du compromis  en principe  de conduite, un parti politique qui refuse la diversité et conçoit le corps social comme communauté homogène expurgé de tout conflit social, est en conséquence un anti-mouvement social qui endosse la dénomination partisane comme un masque pour s’y dissimuler en vue de tromper. 

 Avatar africain du syndicalisme révolutionnaire occidental  d’obédience léniniste et trotskiste, le FPI est un anti-mouvement social et non pas un parti politique républicain. Sa référence constante à l’autochtonie, à la lutte nationale contre le capitalisme financier international, son refus de reconnaître la légitimité du Président ivoirien de la République en lequel il voit, non pas le président légitime d’un Etat indépendant autonome, mais l’agent étranger d’un Etat encore sous la tutelle de l’ancienne puissance coloniale et des multinationales, sont les indices de cette filiation idéologique. L’anti-mouvement  qu’est le FPI de Laurent Gbagbo s’est donc transformé en contre-Etat et en Etat-secte quand il accéda au pouvoir après avoir renversé ses ennemis dans une élection présidentielle calamiteuse qui procéda  par la violence en 2000. Le charnier de Yopougon fut le sinistre marqueur de l’entrée en scène d’un contre-Etat appuyé sur un anti-mouvement social. Conformément à son projet de société anti-libérale, il mit en œuvre un programme d’homogénéisation sociale fondé sur une représentation communautaire de la cité, sur la rhétorique de la révolution socialiste et de l’anticolonialisme qui désignèrent au sein de la cité des  ennemis et des traitres. Le propos d’Abdoudramane Sangaré, «  gardien du temple  » FPI, sur le refus du compromis lève publiquement le voile sur cette face  sombre et cachée d’un anti-mouvement sectaire.

Anti-mouvement social, le FPI de Laurent Gbagbo se situe donc  délibérément hors du champ de la compétition multipartisane pour le service du bien public. A ses yeux, en effet, le RHDP au pouvoir n’est qu’un « régime en place » et non un parti majoritaire, ayant reçu  l’onction du peuple souverain pour gouverner  la Côte d’Ivoire dans le cadre du régime de la démocratie électorale représentative.  Son refus de s’inscrire dans la compétition démocratique comme contre-pouvoir, sous la bannière des valeurs et des principes d’une  opposition républicaine, s’enracine dans cette contestation de fond de  la légitimité de l’Etat. Or, cette identité réelle du FPI pose la question de son financement par l’Etat ivoirien. Est-il légitime de financer au moyen du trésor public  un anti-mouvement qui se situe en marge du contrat social et inscrit son action politique sous le principe du refus du compromis dans une logique de renversement de l’Etat ? Il appartient aux juristes de se  saisir de cette question.

Cette interrogation citoyenne légitime est cependant confortée par la phrase « je suis un Gbagbo ou rien » qui, proférée par le gardien tu temple, appelle à une dissolution sectaire des encartés et des militants dans la personne du chef. De même que le « bring-back our Gbagbo » pasticha en un détournement obscène le » bring-back our Girls », la phrase «  je suis un Gbagbo ou rien » pastiche en un détournement-vautour le « je suis Charlie-hebdo ». Or loin d’exprimer une solidarité partisane envers un leader qui incarne des valeurs républicaines, elle signifie plutôt la fusion totale des membres d’une secte dans un Chef. En ces deux détournement-vautours, les principes de solidarité et de fraternité humanistes universels furent récupérés pour dissimuler et soutenir une  complicité avec le chef charismatique sacralisé d’un anti-mouvement social  sectaire qui s’illustra par des massacres de masse.

 Dans la phrase « je suis un Gbagbo ou rien », il faut donc lire la profession de foi  d’une communauté assermentée, qui exige de chacun de ses membres qu’il renonce à sa personnalité morale et à son autonomie de personne juridique, pour se dissoudre dans le service du chef. Proféré par le gardien du temple,  le « je suis un Gbagbo ou rien » est un arrêt pénal contre les dissidences, contre la distanciation critique et l’autonomie réflexive qui fondent le sujet personnel. C’est la formule générale de la culture d’un groupe qui détruit en chacun de ses membres sa capacité à répondre de soi devant sa propre conscience et  devant un tribunal judiciaire. La phrase « je suis un Gbagbo ou rien » dit l’incapacité foncière de chacun des dirigeants du FPI de Laurent Gbagbo à répondre de soi devant le peuple souverain en sa diversité, à se reconnaître responsable de l’intérêt général et du bien commun. Est-il dans ce cas étonnant que la culture de l’irresponsabilité et que le principe de la solidarité clanique et tribale aient été les marques distinctives du gouvernement FPI entre 2000 et 2010 ?

 La culture de la responsabilité individuelle qui structure la République et la démocratie électorale représentative exige de chaque acteur politique qu’il puisse répondre de soi devant des valeurs intemporelles qui transcendent la personne du Prince. La phrase proférée par le gardien du temple «  Laurent Gbagbo, ce n’est pas un nom. C’est un comportement, un idéal des valeurs » identifie au contraire le maître charismatique du FPI aux valeurs transcendantes elles-mêmes. Une telle confusion entre le maître déifié et les valeurs est le signe d’un fétichisme sectaire qui attaque directement l’esprit de la démocratie. Il faut donc soumettre cette phrase à une investigation critique citoyenne pour en dérouler les conséquences politiques. (A suivre)

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