De Abdoudramane Sangaré à Affi N’guessan : le culte sectaire du chef fétichisé.

Le 13 Mars 2015, le gardien du temple FPI  Abdoudramane Sangaré a, sans ambages, identifié Laurent Gbagbo à un idéal, à une valeur, à une pure forme. « Laurent Gbagbo ce n’est pas un nom, c’est un comportement, un idéal des valeurs », a-t-il déclamé dans cette phrase stupéfiante qui pastichait maladroitement l’incipit républicain  de Félix Houphouët Boigny « la paix ce n’est pas un mot. C’est un comportement ». Dans le leitmotiv houphouëtien, une valeur transcendante, « la paix », exigeait des êtres finis et limités des efforts permanents pour s’élever à la hauteur d’un principe infini et éternel.  Dans le propos du gardien du temple FPI, un être humain limité et fini est identifié à une valeur transcendante, à un idéal immortel. Un individu particulier, avec ses défauts et ses limites, est identifié à une valeur. Cette identification confère une valeur normative aux imperfections et aux limites de cet individu qui est donc fétichisé. Cette fétichisation, qui anéantit la transcendance et la valeur, brise la volonté et abaisse la manière de penser.

 Le 11 avril dernier, Affi N’guessan déclarait dans la même veine, avec une tonalité emphatique, que Laurent Gbagbo est « le père de la démocratie ivoirienne, » le géniteur dont l’arrestation qui suscite l’interrogation et l’inquiétude des démocrates à travers le monde «a fait reculer le pays ». Depuis le 11 Avril 2011, l’arrestation et l’incarcération du démiurge, créateur et détenteur de la démocratie, auraient provoqué en Côte d’Ivoire selon Affi N’guessan, une régression démocratique, un clivage social, une dégradation des conditions de vie et une paupérisation de la population. Il en ainsi parce que Laurent Gbagbo concentrerait, en sa personne, toute la force émancipatrice de la démocratie. Il est la démocratie. Il est identifié à la forme politique elle-même.

 Comme Abdoudramane Sangaré, Affi N’guessan voit donc aussi en Laurent Gbagbo une forme pure, une valeur, un idéal. L’emprisonnement de Laurent Gbagbo est, pour les deux chapelles du FPI, un emprisonnement de la démocratie ivoirienne. Leur cause ultime, leur combat politique commun et leur programme présidentiel vont ainsi se réduire au combat pour la défense et la libération d’un Laurent Gbagbo identifié à une valeur infinie qui transcende l’existence et les besoins concrets de la Côte d’Ivoire et de ses peuples.

Loin d’être le reflet d’une contradiction fondamentale entre démocrates et républicains, qui prendraient leur distance par rapport à une frange sectaire anti-démocratie, les divergences au sein du FPI se dessinent relativement à des choix stratégiques différents face à cette problématique fondamentale : Comment obtenir la libération de Laurent Gbagbo ? Le choisir comme candidat du FPI pour contraindre la CPI à le libérer, ou choisir comme candidat un tiers dévoué à la personne de Laurent Gbagbo et auquel sera assigné le devoir  d'utiliser le pouvoir d’Etat pour obtenir sa libération? Tels sont les termes de l’équation du FPI à la Présidentielle ivoirienne d’Octobre 2015

Le camp Abdoudramane Sangaré regroupe ceux qui ont choisi le premier terme de l’alternative en dépit de son irrationalité attestée par le récent  cas sénégalais concernant Karim Wade. De manière magique, la candidature du démiurge Laurent Gbagbo dissoudrait la rationalité judiciaire de la Cour Pénale Internationale et provoquerait sa libération immédiate. Le camp Affi N’guessan a choisi, au contraire, de conquérir la Présidence de la république pour mettre la puissance publique de l’Etat au service de la libération de Laurent Gbagbo. 

En dépit de leur dissensus, les deux chapelles du temple FPI, le clan Abdoudramane Sangaré et le clan Affi N’guessan, se rejoignent donc dans ce consensus de fond : le sectarisme et le culte du chef fétichisé qui est identifié à la démocratie. Ce culte appelle au sacrifice du peuple ivoirien sur l’autel sanglant de l’hubris d’une personne.

Le message fondamental, la fumée blanche qui ressort des deux chapelles du temple du FPI, est  que la libération du chef fétichisé, Laurent Gbagbo, est l’objectif ultime de la candidature de l’anti-mouvement sectaire ivoirien à la présidentielle d’octobre 2015. Le FPI s’engage dans la présidentielle pour ce but et uniquement pour ce but. Peu lui en chaut les besoins économiques et demandes politiques du peuple ivoirien en sa diversité. L’enjeu de la présidentielle se réduit à la mise en œuvre d’une stratégie permettant la libération anticipée de laurent Gbagbo ou une réorientation de l’Etat ivoirien vers cet objectif ultime en cas de victoire du parti. Dans les deux choix stratégiques, l’élection présidentielle ivoirienne et l’exercice de la magistrature suprême sont instrumentalisés pour servir une fin partisane particulière : la libération d’un chef fétichisé qui est assimilé à la démocratie ivoirienne. L’identification de ce fétiche à la démocratie justifie que l’enjeu ultime de l’élection présidentielle ivoirienne soit celle de la libération du chef. Elle justifie  que la situation économique et politique de la Côte d’Ivoire passe au second rang et soit appréciée à l’aune de l’existence de Laurent Gbagbo, la réalité normative absolue.

Dans cette perspective, les prétendus inaccomplissements du gouvernement sont dénoncés comme étant les conséquences de son incapacité à faire libérer le fétiche de la secte et à réconcilier les Ivoiriens par ce biais. Ici la réconciliation est le cheval de bataille d’un anti-mouvement sectaire qui a travaillé à la division des ivoiriens et escompte à en tirer des dividendes politiques.

Le programme politique électoral et post-électoral  du FPI, toutes tendances confondues, ainsi que celui des parties prenantes de la coalition qui partagent  sa vision du monde, se réduit donc à la libération de Gbagbo. Ce programme contre nature du FPI et de ses affiliés annonce un bras de fer avec la communauté internationale et la CPI  qui sont accusées d'avoir  attaqué la souveraineté de la Côte d’Ivoire.

 On a donc de bonnes raisons de se détourner avec effroi de ce programme contre-nature d’un anti-mouvement qui ne s’est nullement amendé quand on sait que son bilan économique politique et social catastrophique, après 10 ans de pouvoir, fut le résultat de son incompétence économique, politique et sociale notoire multiforme, et non pas celui d’un quelconque complot extérieur (cf notre article d’Octobre 2012 intitulé  «  Chavez comme Gbagbo » ?)

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