Réflexion critique citoyenne sur les dangereux propos d’Abdoudramane Sangaré

Le lundi 16 mars 2015, Abdou Drahamane Sangaré, le bras droit de Laurent Gbagbo, a tenu les propos suivants au cours d’une réunion avec l’organisation des femmes du parti : « Je suis un Gbagbo ou rien ». Laurent Gbagbo « n’est pas un nom, c’est un comportement, un idéal, des valeurs ». Il avait récemment justifié son combat pour la présidence par intérim du FPI contre Affi N’guessan par cette phrase : « Reprenons le FPI authentique et originel. Un FPI qui n’est pas dans la compromission et le compromis de toute sorte ».

Les propos de ce personnage important du FPI, et donc de la coalition de l’opposition qui compte présenter une ou plusieurs candidatures à la présidentielle d’Octobre 2015, ne sont pas anodins. En cette période pré-électorale, où la coalition de l’opposition s’illustre par la vacance et le flou de son programme politique, il importe de décrypter les phrases énigmatiques prononcées par celui qui a été surnommé « le gardien du temple » du FPI. Il faut, en cette analyse des propos de Abdou Drahamane Sangaré, faire ressortir les prises de positions politiques personnelles et partisanes implicites qui se dissimulent derrières les emphases. Il faut dévoiler et déconstruire les représentations du politique qui cachent un programme de gouvernement inavoué parce que dangereux et mortifère.

Le FPI tendance Laurent Gbagbo est dans une logique de sabotage, non pas parce qu’il est une force démocratique qui refuse de jouer le jeu pour récuser une quelconque mascarade, mais parce qu’il est un anti-mouvement incapable par essence de jouer le jeu démocratique.

Commençons donc par la phrase la plus problématique et la plus inquiétante des propos du « gardien du temple FPI » en ce qu’elle heurte frontalement la démocratie. Abdou Drahamane Sangaré avait en effet exhorté ses partisans à « reprendre le FPI authentique et originel. Un FPI qui n’est pas dans la compromission et le compromis de toute sorte ».

 Cette phrase sidérante sur le refus des compromis est programmatique. Elle définit à elle seule l’identité réelle et le projet de société inavoué du FPI. Nous allons donc lui consacrer cette première partie de l’investigation critique citoyenne qu’appellent nécessairement les trois phrases lourdes de sens du « gardien du temple FPI » que nous avons citées plus haut dans notre introduction.

Le principe du refus du compromis est un principe de guerre. Il a articulé les luttes de libération nationale contre l’ennemi étranger et l’envahisseur colonial. Ce fut le principe des mouvements de libération engagés dans les luttes anticolonialistes jusqu’aux années 1960.

Dans l’Etat post-colonial devenu indépendant, ce principe militaire du refus du compromis qui régenta la lutte de libération nationale devient caduc, illégitime et même suspect. Que la presque totalité des mouvements de libération africains se soit transformée en des dictatures implacables au lendemain des guerres d’Indépendances, dément la glose qui distingue les indépendances réelles, conquises au terme d’une guerre de libération nationale et les indépendances factices octroyées qui justifieraient au contraire une seconde lutte de libération pour l’indépendance réelle. Revendiquer une mobilisation pour une seconde indépendance a toujours constitué le bouclier commode d’une nouvelle oligarchie politique qui réhabilite le principe militaire du refus du compromis pour réprimer les contestations internes et asseoir une domination endogène.

 Dans l’Etat démocratique indépendant, le principe politique du compromis doit donc se substituer au principe militaire du refus du compromis. La nation, dans le cas d’espèce ivoirien, est en effet constituée par la coexistence d’une pluralité d’acteurs culturels (une soixantaine d’ethnies), confessionnels (plusieurs confessions religieuses), sociaux (des syndicats, des corporations) et économiques (des entreprises, des opérateurs économiques). Dans cet  entrelacs de positions et d’intérêts divergents également légitimes mais  conflictuels, le compromis est la médiation qui permet de relier et de réconcilier les acteurs, de reconstruire en permanence l’unité du corps social. Le compromis est ce qui permet de trancher et de résoudre le conflit social nécessaire qui met aux prises des adversaires-partenaires luttant pour défendre leurs intérêts réciproques divergents dans le cadre d’une société démocratique structurée par des valeurs partagées en commun.

Le FPI, par contre, récuse le compromis parce que sa représentation de la société est aux antipodes d’une société démocratique diversifiée et plurielle. Sa représentation de la société est une représentation belliciste qui divise la société entre nationaux légitimes et envahisseurs étrangers illégitimes. Sa conception de la politique est donc celle d’une lutte à la vie et la mort contre des indésirables venus d’ailleurs qui mettraient en péril l’identité communautaire d’un corps social. Son projet politique est alors d’homogénéiser la société en expulsant  les intrus et les indésirables. Il conçoit donc le compromis comme une compromission parce que l’adversaire social ou politique est pour lui un ennemi qu’il lui faut abattre.

 Vu sous cet angle le propos du « gardien du temple » FPI introduit le principe militaire du refus du compromis à l’intérieur de la lutte démocratique ivoirienne, menaçant ainsi de désintégrer le corps social. Il institue la logique de la guerre et de l’anéantissement de l’ennemi en lieu et place de la logique démocratique du débat, de la discussion et du compromis avec l’adversaire politique. L’exhortation à « reprendre le FPI authentique et originel. Un FPI qui n’est pas dans la compromission et le compromis de toute sorte » est un appel à redonner au FPI sa destination militaire originelle : celle d’un anti-mouvement en lutte pour renverser un Etat et anéantir un ennemi dans un « assaut final ».

Que faut-il donc déduire de cette phrase sidérante relativement à l’identité réelle du FPI  de Laurent Gbagbo, ce maître sacralisé, auquel Abou Drahamane Sangaré « le gardien du temple » s’identifie de manière fusionnelle dans cette profession de foi stupéfiante «  je suis un Gbagbo ou rien ? (A suivre)

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