Côte d’Ivoire : réfutation des propos du député Camara Loukimane par un citoyen ivoirien.

Mr le Député Camara Loukimane, suite à vos propos dans le quotidien ivoirien Soir-info du 31-01-2018, je vous interpelle sur trois points en ma qualité de citoyen ivoirien.

Je vous interpelle sur la fonction des partis politiques, sur celle du député en tant que représentant de la Nation, et sur la candidature probable du président de l’Assemblée nationale à la présidence de la République en 2020. Je conteste vos propos sur ces trois points.

Je conteste votre propos sur le premier point parce qu’en démocratie, le parti politique n’est pas un instrument de conquête personnelle du pouvoir d’Etat. Comme en témoigne la longue tirade dans laquelle vous convoquez l’histoire des partis français pour justifier votre propos, vous laissez entendre que les partis politiques sont destinés à permettre aux acteurs politiques de  prendre le pouvoir d’État.

Non. Vous travestissez l’histoire. Les partis politiques n’ont pas été inventés dans les démocraties pluralistes afin de mettre à la disposition des acteurs politiques des instruments institutionnels qui leur permettent de conquérir le pouvoir d’État.

 Le rôle fonctionnel des partis politiques, en démocratie, est d’agréger les demandes et les besoins des diverses catégories de la société afin de les mettre en forme de programmes de gouvernement et de projet de société. Cet office est la raison justificative ultime de la conquête du pouvoir d’État par les partis politiques et leurs candidats respectifs. Le pluripartisme répond au besoin de formuler, d’exprimer et de défendre institutionnellement la diversité des besoins et des intérêts contradictoires et opposés des diverses catégories socio-professionnelles qui composent la cité.

La conquête du pouvoir n’est légitime, en démocratie, que si elle est justifiée par l’existence d’un programme de gouvernement et d’un projet de société inclusif parce que le pouvoir d’État n’est pas une fin en soi. Il est le moyen dont se servent les partis pour réaliser, au niveau politique, les demandes et les besoins existentiels de la société. Les acteurs politiques et les partis sont les instruments des catégories socio-professionnelles de la société globale. Le contraire est faux.

 Le parti politique moderne a été crée à la fin du XIXème siècle, lors de l’avènement des démocraties républicaines pluralistes, pour permettre aux masses de participer à la vie publique, de choisir leurs dirigeants, de mettre l’État au service des demandes et des besoins de la société.

Cette fonction sociale et politique des partis politiques est la raison d’être de la compétition inter-partisane pour la conquête du pouvoir d’Etat, d’où la nécessaire représentativité sociale des partis.

La problématique centrale la plus préoccupante en Côte d’Ivoire, c’est le dévoiement de ce rôle fonctionnel  des partis par des acteurs politiques qui en font les instruments de leurs ambitions personnelles, des moyens de corruption de la démocratie, de manipulation de la volonté populaire, de dépossession des citoyens de leurs responsabilités, d’appauvrissement du débat public. Vous n’en dites mot et ne semblez pas vous préoccuper de cette dérive, notamment au PDCI, et dans un certain nombre de partis d’opposition dont le FPI constitue l’exemple le plus emblématique.

Je vous interpelle aussi sur la fonction du député en tant que représentant de la Nation. De manière étrange et en contradiction avec cette qualité que vous revendiquez, vous vous concevez,  comme protecteur et garant de l’intégrité matérielle des partis que vous assimilez à des appareils au service des ambitions de pouvoir des acteurs politiques. Vous faites fi des programmes socio-économiques, des projets de société inclusifs et des valeurs qui justifient l’existence des partis et qu’ils doivent incarner.

Les partis défendent les diverses conceptions du Bien entre lesquels se partage le peuple, dont la Nation exprime l’indivisible unité. Vous êtes préoccupé par la division matérielle des partis mais indifférent à la division de la Nation ivoirienne à laquelle participe activement une des factions du PDCI qui a trahi  l’esprit de l’houphouëtisme.

En quoi consiste cet esprit et quel fut le projet subséquent de l’houphouëtisme dont le PDCI fut l’instrument opérationnel dans la lutte anticolonialiste?

L’ESPRIT DE L’HOUPHOUËTISME, c’est L’ALLIANCE DES CULTURES ETHNIQUES ET DE LA RATIONALITÉ MODERNE, DE LA TRADITION ET DE LA MODERNITÉ. SON PROJET POLITIQUE fut de faire de la MULTIPLICITÉ  DES ETHNIES QUI EXISTENT SUR LE TERRITOIRE, UN PEUPLE. SON PROJET SOCIÉTAL fut de TRANSFORMER LA DIVERSITÉ  DES  GENOS IVOIRIENS EN UN DEMOS, de FAIRE VIVRE ENSEMBLE LA PLURALITÉ DES CULTURES EN UN CORPS POLITIQUE UNIFIE EN SA DIVERSITÉ ET INTÉGRÉ EN SA PLURALITÉ. La CONQUÊTE DE L’INDÉPENDANCE NATIONALE fut justifiée par LA VOLONTÉ D’AFFIRMER LA MATURITÉ POLITIQUE DE LA CÔTE D’IVOIRE ET L’APTITUDE DE SON PEUPLE A EXISTER DANS LA LIBERTÉ ET L’ÉGALITÉ.

 Au delà de la conquête du pouvoir d’Etat par ce corps social, soucieux d’exister par lui-même au moyen de la désappropriation du pouvoir coloniale, le PDCI-RDA était destiné, en tant que parti politique, à garantir par l’Etat, la liberté et l’égalité de toutes les composantes de la Nation qu’il avait vocation à bâtir.

 Le PDCI-RDA ne fut pas un instrument de conquête du pouvoir personnel par Félix Houphouët-Boigny. Le parti-unique fut  l’instrument au moyen duquel l’Etat modernisateur ivoirien entreprit de bâtir l’unité de la  Nation afin d’en faire une structure de développement au profit de tous les Ivoiriens sans discrimination.

Pensez-vous, Mr le député Camara Loukimane, que le PDCI des années 1990 et d’aujourd’hui soit demeuré fidèle à cette profession de foi politique de Félix Houpouët-Boigny ?

J’en arrive maintenant au troisième point de mon interpellation : votre approbation de la plus que probable candidature du chef du Parlement à la Présidentielle 2020 qui ne vous semble nullement problématique. Certes, au temps du parti-Etat en lequel prévalait la confusion des pouvoirs, la Constitution faisait du Président de l’Assemblée nationale le dauphin constitutionnel du Président de la République, sans que cela signifia que le pouvoir d’Etat soit automatiquement échu à celui-ci par dévolution monarchique. La consécration du Président de l’assemblée nationale à la tête de l’exécutif, en cas de vacance du pouvoir, était assortie de la condition expresse de son élection par le peuple souverain.

Le principe de la séparation des pouvoirs et des systèmes en démocratie pluraliste assigne désormais  au chef du Parlement un rôle institutionnel précis qui se limite à la construction et à la protection de l’impartialité des lois.

Ce rôle de médiateur au sein de la société politique autonome rend, plus que problématique et incongrue, la prétention du Président de l’assemblée nationale à se porter candidat au poste de Président de la République en 2020 dans l’exercice de ses fonctions. En cautionnant une telle candidature en tant que député, vous avalisez, Mr Camara Loukimane, une conception antidémocratique et autocratique de l’Etat. Vous vous mettez en porte à faux avec les attentes de la Nation dont l’intégrité est garantie par le principe de la séparation des pouvoirs sous le régime de la démocratie républicaine pluraliste.  

Je vous appelle donc, en ma qualité de citoyen, à exercer votre fonction de représentant de la Nation dans les règles de l’art et conformément aux principes et aux valeurs de ce régime dont l’inclusion politique de toutes les catégories de la Cité constitue un absolu non négociable.  

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