L’Afrique Noire démocratique et libérale est-elle sur la bonne voie ?

En Afrique Noire, la démocratie libérale chemine en titubant sur un chemin étroit bordé de précipices vertigineux. Son projet politique et économique  semble brouillé. Le libéralisme économique n’est-il pas devenu mercantilisme ? Le monopole ne s’est-il pas substitué à la concurrence libérale  au détriment du libre commerce et de l’accès sans discrimination de tous les citoyens aux échanges? La démocratie n’est-elle pas devenue exclusivement procédurale ? Cette démocratie des procédures ne mène-t-elle pas à l’accaparement du pouvoir par l’oligarchie et par la ploutocratie? Le jeu démocratique n’est-il pas faussé ?

Un phénomène caractéristique exprime éloquemment cette confusion. Des despotes et des dictateurs corrompus lestés par un lourd passif en matière de prédation politique et économique, et conservant ostensiblement leurs habitudes répressives,   parviennent à se faire réélire après s’être reconstruits une image artificielle de démocrate et de bâtisseur de cité, garants de la stabilité politique et du progrès économique. A la préférence électorale affirmée pour ce modèle sécuritaire et militaire du despote garant de l’ordre public, s’ajoute une préférence marquée pour l’homme d’affaires fortuné qui serait, en tant que tel, légitime pour diriger l’Etat. L’enthousiasme populaire qui salue ces options dans un électorat divisé au terme des élections présidentielles, souligne qu’il s’agit bel et bien d’un choix démocratique opéré selon le principe de la majorité du vote.

Ainsi dans cette Afrique qui se veut démocratique et libérale, la préférence semble pourtant aller au despotisme et à la ploutocratie en contradiction avec la liberté, l’égalité et la revendication démocratique des droits. Ce parti-pris populaire se traduit politiquement par la consécration de l’autoritarisme,  du refus de la limitation du Pouvoir, par la répression des oppositions, des dissidences et des contestations.

Ce cours des évènements est manifestement en contradiction avec le programme de la démocratie libérale qui est d’émanciper les individus et les peuples à travers la protection institutionnelle de leurs droits naturels fondamentaux.

Selon l’idéologie libérale, les êtres humains sont nés libres et égaux. Egalité et Liberté sont les droits naturels fondamentaux de l’homme, dont procèdent tous ses droits dérivés. La protection institutionnelle de ces droits primordiaux, dans l’existence économique, sociale et politique des hommes, est la condition de leur émancipation individuelle et collective. Au plan politique, l’Etat libéral est donc, nécessairement et par principe, limité par ces droits fondamentaux car la souveraineté réside dans la Nation. La fonction essentielle de l’exécutif libéral est par conséquent de protéger les citoyens. Le pouvoir exécutif est responsable devant l’assemblée des délégués de la Nation qui doivent être, selon les libéraux, choisis parmi les élites éclairées. Au plan économique et social, chaque être humain doit pouvoir bénéficier d’une liberté complète dans l’ordre du travail, de la production et des échanges. L’Etat doit s’abstenir d’intervenir et laisser chacun libre d’organiser sa vie sociale en se pliant aux lois naturelles de l’existence. Il doit laisser l’individu libre de produire et de commercer en se pliant aux lois naturelles de l’économie.

La démocratie, s’accorde avec le libéralisme pour soutenir que la défense des libertés fondamentales est le principe de la vie politique économique et sociale des êtres humains. Elle donne cependant la priorité à l’égalité. A la représentation de la nation par les élites dans le libéralisme, elle oppose donc au plan politique le suffrage universel. Les élus doivent être choisis par le peuple et dans le peuple. Ils reçoivent du peuple un mandat impératif et sont révocables lorsqu’ils le trahissent. Le pouvoir d’Etat doit être contrôlé par la société. Au plan économique, certains démocrates s’accordent avec les libéraux pour considérer que l’Etat doit s’abstenir d’intervenir dans les rapports économiques, tandis que d’autres pensent au contraire que le pouvoir politique doit organiser la société et intervenir dans les rapports économiques en faveur des plus démunis.

Le programme commun du libéralisme et de la démocratie est d’organiser la politique, la société et l’économie selon les principes de la liberté et de l’égalité, qui sont des droits naturels absolus, pour émanciper les individus et les collectivités.

En Afrique, les options qui sont dessinées relativement à ces deux chemins complémentaires de la démocratie libérale, se sont définies  en violant ces exigences et en oubliant cette problématique centrale : organiser institutionnellement l’existence humaine en toutes ses dimensions par la liberté et l’égalité pour émanciper les individus et les collectivités, pour intégrer socialement politiquement et économiquement la diversité dans une communauté fraternelle et solidaire. L’élection démocratique des anciens dictateurs et la domination tutélaire de la vie politique et partisane africaine par les anciennes oligarchies des despotismes postcoloniaux est, de ce point de vue symptomatique. Ces symptômes sont révélateurs d’un mal être. Nos corps socio-politiques peinent à se relever de la maladie de la domination et de la tutelle politique et économique contractée depuis la colonisation. L’enjeu de la démocratie libérale africaine consiste alors à reconstruire la confiance et l’espérance des peuples par l’exemplarité d’une gouvernance et d’une opposition démocratiques qui ouvrent leur avenir et qui libèrent de toutes les dominations, de toutes les dépendances et de toutes les tutelles. (A suivre)

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