Alternance démocratique du pouvoir et lutte pour le pouvoir. En quoi consiste la différence ?

Cette contribution a été inspirée par la querelle naissante entre le PDCI et le RDR relativement à la problématique de l’unification des deux partis.

 L’alternance du pouvoir entre divers partis et équipes de gouvernement est un élément essentiel au bon fonctionnement de la démocratie. Elle s’obtient au moyen de la compétition entre les acteurs politiques pour prendre le gouvernement. Au delà des personnes et des partis,  ce combat politique est un affrontement idéologique, un affrontement entre des projets de société, des programmes politiques différents et concurrents. L’alternance démocratique du pouvoir, y compris au sein d’une coalition partisane, est donc une alternance de projets de société et de programmes politiques divergents et alternatifs qui doivent relayer au niveau de l’Etat les demandes émergeant des divers secteurs de la société.

Certes, comme le souligne Raymond Aron, « La compétition entre deux partis ou entre deux coalitions demeure conforme à l’essence de la démocratie, même si elle a pour enjeu le choix entre deux équipes ou deux hommes plutôt qu’entre des idées ». Néanmoins, le choix électoral démocratique est un choix idéologique et sociétal. On vote pour une politique à l’intérieur d’un régime. La compétition politique  démocratique, autrement dit  la lutte partisane pour l’exercice du pouvoir, doit donc nécessairement reposer sur un affrontement  d’idéologies concurrentes  et d’intérêts divergents. Cet affrontement idéologique est constitué par des choix partisans et personnels contradictoires opérés  dans les valeurs fondamentales du régime. L’affrontement des socialistes partisans de l’égalité  et des libéraux partisans de la liberté, des partis de gauche et de droite, est l’affrontement des valeurs fondamentales dialectiquement complémentaires du régime démocratique. La lutte démocratique partisane est aussi celle des intérêts conflictuels des diverses catégories sociales composant la nation.

A travers la majorité électorale conquise par un parti politique et son candidat c’est le choix d’une certaine conception du Bien commun et de l’intérêt général qui sort des urnes. L’élection démocratique dégage le choix majoritaire d’un programme politique  dont la mise en œuvre est censée répondre aux aspirations du peuple.

En démocratie, la légitimité électorale inaugure donc pour le parti élu le temps de la conquête de la légitimité d’administration. Pour l’opposition, elle inaugure aussi le temps de la conquête d’une légitimité électorale qui passe par  l’épreuve de la critique constructive des actes du gouvernement. En démocratie, la lutte pour le pouvoir comprise comme lutte partisane pour l’exercice du pouvoir est constituée par cette synergie entre l’épreuve de légitimité d’administration et l’épreuve de critique constructive auxquelles sont respectivement astreints le gouvernement et l’opposition. La finalité de cette lutte politique partisane substantielle est la prise démocratique du pouvoir, au moyen d’un projet de société et d’un programme politique, qui conquièrent le vote du peuple souverain

La lutte démocratique pour le pouvoir conduit à l’alternance démocratique. Elle est donc essentiellement  surdéterminée par une volonté partisane de servir le Bien commun et l’intérêt général, de participer à leurs formulations diverses,  qui justifient et appellent le combat politique. C’est en cette concurrence des projets de société alternatifs, constamment élaborés à travers le débat démocratique d’idées, que se situe la substance de la démocratie. L’alternance du pouvoir se distingue de la lutte pour le pouvoir au sens précis où le pouvoir est dans le premier cas subordonné à une fin politique supérieure qui transcende les partis et les acteurs. Ces derniers sont au service des intérêts des catégories sociales qu’ils représentent et  au service d’une idée du bien commun  de la cité.

Au contraire, le pouvoir est sa propre fin dans la lutte pour le pouvoir qui voit dominer les stratégies d’appareils dans un conflit politique fortement personnalisé, de nature partitocratique. On recherche alors le pouvoir comme un but suprême qui sert à instituer une domination personnelle ou partisane en vue d’intérêts particuliers qui piétinent ceux du peuple souverain. L’indice caractéristique de cette dérive consiste à fétichiser l’élection présidentielle qui est alors considérée comme un moyen de s’accaparer légalement le pouvoir suprême.

Lorsqu’après  une élection présidentielle, l’attention des partis et des acteurs politiques  se polarise sur la prochaine échéance présidentielle, polarisation qui occulte et secondarise l’élection régionale aussi bien que l’élection législative, se dessine le phénomène inquiétant de la fétichisation du pouvoir suprême. Lorsqu’après une élection présidentielle, l’attention des partis et des acteurs politiques se focalise immédiatement sur la prochaine échéance présidentielle en faisant l’impasse sur les débats d’idées, sur les nécessaires controverses démocratiques relativement aux valeurs organisatrices du vivre-ensemble, la course au pouvoir pointe et menace l’alternance démocratique du pouvoir. Les urgences économiques et sociales postélectorales qui devraient constituer la substance de la compétition partisane politique cèdent le pas au souci d’accaparement du pouvoir par des politiciens désireux d'en faire un usage personnel en désappropriant le peuple. Les déclarations fracassantes, les colères, les querelles et les conflits personnalisés des politiciens courant vers le pouvoir comme vers un mât de cocagne, remplacent la nécessaire controverse et confrontation idéologique qui rend possible l’alternance démocratique du pouvoir.

La lutte personnalisée pour le pouvoir est l’élément caractéristique des dictatures et des autocraties. Quand elle remplace la lutte politique idéologique et la compétition démocratique des projets de société qui constituent l’âme de l’alternance du pouvoir, elle menace la Démocratie et la République. (A suivre)

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