Le front républicain comme impératif politique en situation de crise.

L’exemple de la France et de la Côte d’Ivoire

Le succès du front républicain contre le Front National (FN), en France, aux élections régionales le  dimanche 13 Décembre dernier, nous interpelle en Côte d’Ivoire. Sous la forme du RHDP, le modèle du front républicain  fut, en effet, utilisé en Côte d'Ivoire en Décembre 2010 et récemment en octobre 2015. Comme en France, il a permis de sauvegarder la République et le vivre ensemble contre le nationalisme identitaire qui en menaçait les valeurs fondamentales. Réfléchir sur la spécificité de ce modèle politique s’avère donc indispensable pour continuer à préserver la République et la Démocratie en Côte d’Ivoire en affermissant leurs valeurs cardinales dans la conscience nationale.

Qu’est-ce en effet qu’un front républicain ?

Un front républicain est une union circonstancielle, ou une coalition durable, de partis politiques d’obédiences idéologiques différentes se revendiquant toutefois des valeurs de la République qui sont aussi celles de la Démocratie : Liberté, Egalité, Fraternité. Cette union, ou cette coalition, est construite occasionnellement pour battre électoralement un parti qui se définit contre ces valeurs et menace la République.

En France, les acteurs politiques des partis de droite et de gauche, dits républicains, se sont unis malgré leurs différences idéologiques, sacrifiant au besoin leurs intérêts partisans, pour tisser un cordon sanitaire autour de la République. Cette union stratégique partisane a été soutenue par l’électorat.  Transcendant ses choix partisans différents, un peuple s’est mobilisé, en sa diversité, pour barrer la route menant vers le pouvoir suprême à un parti qui menaçait l’ordre républicain. Malgré  son rejet diversement motivé  de la politique menée par son gouvernement, l’électorat français  a donc su résister en sa majorité au discours démagogique du Front national animé en profondeur par une idéologie racialiste structurée par le refus de l’Altérité. Cette union républicaine du peuple et de ses mandataires politiques scelle quasiment, par son caractère spécifique, le destin de ceux d’entre les acteurs politiques des partis de gouvernement qui, par calcul opportuniste, choisirent en cette circonstance périlleuse pour la Nation, le camp de l’anti-républicanisme en espérant en retirer un bénéfice politique personnel.

Le front républicain est, en effet, à la fois un impératif politique et un impératif moral au sens où il ne relève pas seulement du registre  de la stratégie de conservation du pouvoir. Fondé sur l’adhésion subjective inconditionnée aux valeurs  de la République, il est surtout un engagement moral qui fait ressortir le caractère véritable de l’acteur politique. Il augmente le crédit du mandataire politique. Il révèle sa stature d’Homme d’Etat : celle du serviteur de la généralité. Mais il brise aussi par cette dimension, le masque de l’imposteur. Il le décrédibilise en le dévoilant comme serviteur caché de la particularité. Impératif politique en situation de crise,  le front républicain institue ainsi, occasionnellement, une épreuve de sélection des représentants de la Nation et des prétendants à la direction de l’Etat. Il remet aussi en question la légitimité du gouvernement qu’il somme de tenir ses promesses électorales, de répondre urgemment de manière effective aux demandes sociales de l’électorat.

La condition menant à l’urgence républicaine est la défiance populaire envers un gouvernement dans un contexte de bouleversements sociaux provoqués par une période de mutation économique. Cette occurrence installe une situation dangereuse  qui favorise les impostures républicaines et démocratiques. En France, un parti antirépublicain a tenté de récupérer une exaspération sociale. En Côte d’Ivoire, des factions antirépublicaines tentent, avec plus ou moins de succès depuis une décennie, de s’emparer du pouvoir suprême pour briser la dynamique démocratique.

Le front républicain est donc une digue virtuelle vitale et nécessaire dans une République et dans une Démocratie. Il est impératif de le construire dans les consciences et de l’instituer dans la Nation. Pour qu’il puisse être efficient, il faut néanmoins, qu’au-delà  des différences idéologiques, les partis politiques puissent faire des valeurs de la République, les principes de leurs projets respectifs de société. Il faut que l’électorat puisse être pénétré de ces valeurs. Cette institution de la conscience et du sentiment républicains  s’effectue au  moyen de l’éducation nationale et de l’exemplarité des élites, notamment du pouvoir politique. Il faut que le quotidien de l’électorat en soit structuré. Buts suprêmes du corps politique, le Bien commun et l’Intérêt général doivent être conçus relativement aux valeurs de la République qui construisent le sous-bassement des valeurs spécifiques de la Démocratie.

Cette digue républicaine intérieure, personnelle et nationale, permet de rejeter le discours démagogique qu’articulent les ennemis de la République. En France, cette digue intérieure virtuelle, rempart ultime de la République, permet à la majorité de l’électorat de résister à la stratégie de confusion des identités partisanes, de brouillage des pistes et de mélange des registres que met en œuvre le FN pour l’enfermer dans ses filets. La récupération opportuniste des thématiques mobilisatrices, telles la posture antisystème adoptée par le Front National, n’échappe pas longtemps à la vigilance critique d’un peuple de citoyens. En politique intérieure, la majorité des Français s’aperçoit que la posture antisystème est le masque endossé par le parti pour dissimuler son racisme et sa xénophobie afin de séduire l’électorat. Cette imposture n’a pas  réussi pas à circonvenir un électorat majoritairement républicain qui garde en mémoire les ravages du pétainisme. Elle n’a pas abusé un peuple qui conserve le souvenir récent des comportements et propos emblématiques d’un parti racialiste : le grimage de Mme Christiane Taubira en singe et la comparaison récente de l’afflux des immigrés étrangers à une immigration bactérienne. En politique étrangère, la posture antimondialiste est le camouflage au moyen duquel le parti des Le Pen, défendant en réalité l’idée d’une France blonde et exclusivement chrétienne, tente de dissimuler son repli identitaire et son nationalisme ethnique et confessionnel. Brouillant à escient les repères, elle stigmatise  la Gauche et la Droite comme un groupe de politiciens vendus aux intérêts étrangers. Elle adopte la posture du patriote anti-système qui combat un gouvernement et une opposition illégitimes défendant en France les intérêts de la mondialisation contre la souveraineté nationale.  La thématique du rejet d’une mondialisation qui menacerait l’identité nationale française et les intérêts des entreprises hexagonales est,  pour les besoins de la cause, déclinée sous la forme d’une résistance patriotique à une invasion étrangère.

On retrouve, point par point, les grandes thématiques du nationalisme identitaire au moyen desquels certains partis politiques ivoiriens tentèrent à deux reprises en 2010 et en 2015 de s’emparer du pouvoir suprême pour détruire la République et saper les bases de la Démocratie. On mesure  alors combien est urgente et vitale l’exigence d’œuvrer à la naissance d’un sentiment républicain et d’une conscience politique critique en Côte d’Ivoire. En République et en Démocratie, le sentiment républicain et la conscience politique critique, permettent de résister à la démagogie et à la rhétorique de l'imposture républicaine et démocratique.( A suivre )

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