Qu’est-ce que la CEI comme institution d’impartialité démocratique ? 1ère partie

La démocratie électorale-représentative a évolué au cours de l’histoire. Les années 1980 ont vu l’avènement d’un nouveau type démocratique. De nouvelles formes politiques démocratiques se sont avérées nécessaires pour corriger les inaccomplissements de la démocratie électorale-représentative. De nouvelles institutions sont donc venues pallier aux insuffisances des institutions classiques de la démocratie électorale-représentative, tels les partis politiques, les parlements et les pouvoirs exécutifs fondés sur la représentation et la défense  des intérêts des diverses parties du corps social. A ces institutions de défense des intérêts individuels et corporatifs se sont donc surajoutées  des institutions d’impartialité chargées de représenter et de défendre l’intérêt général et le Bien commun au dessus des partis politiques et des exécutifs. 

La démocratie d’impartialité vient ainsi compléter la démocratie de représentation politique des intérêts des diverses catégories sociales. L’exigence de représenter politiquement le peuple en sa diversité, a été donc complétée par  l’exigence de représenter la Nation-une en son abstraction au-dessus des divers intérêts particuliers du peuple pluriel. L’élection organisait la dépendance des partis politiques aux diverses catégories sociales dont les élus se devaient d’être les mandataires. La création des autorités publiques indépendantes au dessus des partis politiques et du pouvoir exécutif répond, quant à elle, au besoin de mettre en place de nouvelles institutions vouées au service de l’intérêt général et du bien public.

Dans les pays en développement comme ailleurs en Amérique où ces institutions d’impartialité virent le jour dans les années 1880 ou en Europe occidentale dans les années 1980, il s’est agi de donner naissance à de nouvelles formes politiques soustraites aux pressions des partis politiques et des pouvoirs exécutifs qui avaient tendance à privatiser l’intérêt général. Les Commissions Electorales Indépendantes et les Cours Constitutionnelles, les Hautes Autorités de Communication Audiovisuelle (HACA)  font partie de ces nouvelles institutions démocratiques non-élues dont le statut et la qualité sont l’impartialité.  Dans les pays en voie de développement, il apparaissait nécessaire et  vital  après les dérives et la corruption des autocraties, de confier l’organisation et la régulation des questions hautement sensibles telles  l’élection présidentielle, l’attribution des marchés publiques, où l’égal accès aux moyens de communication et d’information, à des Autorités Publiques Indépendantes.

Pour tenter d’éclairer le cas ivoirien où la Commission Electorale Indépendante (CEI) et la Cours Constitutionnelle sont contestées dans leur statut et qualité d’impartialité, la problématique qui nous intéresse alors est de faire ressortir la spécificité du mode de représentation et de légitimité exercé par les membres de ces institutions.

Nommés par les diverses parties prenantes du contrat social et par le pouvoir exécutif, les membres des Commissions Publiques Indépendantes dont l’existence dépend d’une volonté expresse de la Constitution répondant à un besoin public national, ne sont pas élus. Ils ne sont donc ni légitimes ni représentatifs au sens électoral du terme. Ils n’ont, comme le souligne Pierre Rosanvallon, « aucun caractère de mandataire » et « aucune dimension d’incarnation sociologique ou culturelle d’une collectivité ». Par-dessus les collectivités et les partis politiques, ils sont donc nommés pour incarner et représenter la Nation-une en son abstraction. Les commissaires d’une Autorité Publique Indépendante n’ont pas vocation à être les mandataires des partis politiques. Ils sont nommés pour agir et vouloir pour la Nation. C’est ce statut particulier de commissaire de la Nation-une que le Professeur Francis Vangah Wodié avait tenu à rappeler avec insistance aux membres de la Commission de la CEI ivoirienne en Août 2014.

La représentativité et la légitimité d’impartialité dont relèvent la CEI et la Cours Constitutionnelle sont donc fondamentalement différentes des institutions classiques de la démocratie représentative tels les partis politiques et les députés d’un parlement. Choisis ou nommés par leurs partis respectifs et par l’exécutif, les membres d’une Commission Electorale Indépendante n’y siègent cependant pas en tant que mandataires de leurs mandants. Loin d’être des délégués choisis pour y défendre les intérêts des partis politiques, ils sont choisis pour représenter la Nation. L’autonomie de ces commissaires de la Nation qui deviennent indépendants et irrévocables et qui sont  même appelés à un devoir d’ingratitude dès leur nomination permet de soustraire la CEI à la pression des partis politiques et à celle de l’exécutif. Le caractère collégial de ces institutions qui fonctionnent sur un mode pluraliste et délibératif en étant soumis au respect des règles, à la rigueur des argumentations, à la transparence des procédures et à la publicité des actes, permet de fournir le service d’impartialité qui est attendu d’elles.

Dans la mesure où les membres des Autorités Publiques Indépendantes sont chargés d’incarner la Nation, de vouloir et d’agir pour elle au dessus des partis politiques, la problématique est de chercher à savoir si les nouvelles institutions d’impartialité démocratique peuvent fonctionner dans un Etat où la représentation de la Nation pose problème. La mise en question de l’impartialité de la CEI et de la Cours constitutionnelle en Côte d’Ivoire ne relèverait-elle pas d’une représentation partisane faussée de leur fonction institutionnelle et plus profondément d’une représentation antirépublicaine de la Nation ? (A suivre)

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