Les Ivoiriens ne sont pas maudits et l’appel du sang n’est pas une fatalité.

Nous, Ivoiriens, ne sommes pas maudits comme s'interroge le journaliste Assalé Tiémoko qui s'inquiète des brutalités langagières à tonalité ethniciste et xénophobe allant crescendo à l'approche de la présidentielle 2020 .

Certes, l'intention profonde du journaliste Assalé Tiémoko n'est pas de dire que nous sommes maudits. Son intention est d'attirer l'attention publique sur le retour inacceptable et quasi permanent, depuis les années 1990, du monstre identitaire, qui rode  tel un fatum, à chaque temporalité électorale.

La problématique n'est donc pas de mettre en place des dispositifs techniques pour empêcher contextuellement le sang d'inonder à nouveau notre pays. La problématique est d'identifier la source humaine et temporelle de ce phénomène mortifère, de le dénoncer et de le traiter en ses racines pour en prémunir notre pays.

L'Allemagne a identifié la source du mal politique qui l'avait rongée dans les années 1930 et qui avait menacé de la détruire en l'inondant sous la barbarie et les flots de sang.

Les auteurs du génocide et de la division intérieure de l'Allemagne furent les nazis qui conçurent l'identité allemande dans un sens de pureté raciale, de pureté du sang et élaborèrent une conception animaliste de l'être humain.
Les Allemands ont donc fait le procès du nazisme, dénoncé cette conception racialiste et animaliste de l'humanité de l'homme, bâti un consensus de l'intelligentsia sur les valeurs de la République et construit, sous la forme d'une coalition centriste transpartisane CDU/SPD, un cordon sanitaire en vue d'empêcher le retour du monstre identitaire.

L’inondation régulière de la Côte d'Ivoire par la brutalité et le sang depuis les années 1990 relève de la responsabilité colossale d'une certaine intelligentsia qui revendique le pouvoir sans être capable de concevoir le bien politique.

La responsabilité de cette calamité en incombe à cette élite qui entend exercer le pouvoir d’Etat,  sans être capable de définir une représentation partisane particulière de ce bien politique, pour participer à son niveau selon ses compétences à la construction de la société.

Conséquemment à cette incapacité, elle fait de sa prétention de pouvoir et de privilèges, le bien public partisan et le bien politique général.

Elle a donc choisi de définir, à cette fin,  la nationalité ivoirienne dans le sens racialiste de l'autochtonie, de récuser l'hétérogénéité de la société ivoirienne afin de se réserver l'exclusivité du pouvoir.

Ce mal politique, qui consiste à définir la société comme collectivité ethniquement homogène e le pouvoir comme propriété privée d’une élite ethniquement située, est transformé en bien politique suprême, en fin en soi.

Ce mal politique, qui déchire la société ivoirienne depuis les années 1990,  n'est le fait ni des paysans qui labourent les champs, ni des artisans, ni des ouvriers, ni des dockers, ni des commerçants, des acteurs des secteurs primaire, secondaire, tertiaire.

Cette transformation du pouvoir en fin suprême et cette définition de la société ivoirienne comme communauté d’autochtones relève du choix arbitraire d’une partie de l’intelligentsia ivoirienne. Cette inversion est le fait d'une certaine partie des élites ivoiriennes, des acteurs politiques et d'une partie des élites charismatiques.

La société ivoirienne est migraineuse. Elle a mal à une partie de sa tête depuis les années 1990.

Félix Houphouët-Boigny le père de la Côte d’Ivoire moderne  avait réussi à concevoir ce bien politique. Il avait clairement vu que, du fait de la diversité constitutive de la société ivoirienne, le bien politique consistait dans l'unification politique de cette pluralité ethnique et confessionnelle par la modernisation qui permettait de transformer cette pluralité de communauté en société civile et en Nation. Le PDCI-RDA s'est représenté le bien public partisan comme alliance de l'identité ethnique et de la rationalité et a conçu le corps politique ivoirien comme coexistence et interaction des altérités. Il a élaboré cette vision du projet sociétal afin de mener à bien le programme  de développement susceptible d'émanciper les collectivités du territoire.

Le pouvoir du PDCI-RDA de Félix Houphouët-Boigny s'est justifié relativement à cette fin suprême transcendante, à ce bien public dont il se concevait comme l’instrument, le moyen.

Dès 1990, la mémoire de ce bien public a été perdue par une partie de sa postérité. Cette postérité a transformé sa prétention de pouvoir en fin absolue. Elle a choisi, pour y parvenir, de détricoter l'alliance de l'identité et de la rationalité économique, d'opposer les chefferies traditionnelles à l'Etat central. Elle a décidé d'instrumentaliser politiquement les identités ethniques et confessionnelles, d'en faire des armes dans la conquête du pouvoir qu'elle a absolutisé. Elle a choisi de diviser la société ivoirienne  en communautés, de la fragmenter pour régner, d'utiliser les ethnies et les confessions comme ressources politiques pour affirmer son pouvoir.

Le sang est alors devenu la voix séduisante de sirène à laquelle ne peut résister une partie des Ivoiriens étourdis par la propagande des acteurs de cette dérive. Le sang est alors devenu, depuis 1995, la voie sur laquelle aime patauger ces élites pour tenter de capturer le pouvoir.

La problématique n'est pas d'interdire internet du 30 Octobre au 03 Novembre en laissant entre temps la propagande de cette élite amnésique se déverser sur les réseaux sociaux.

La problématique est plutôt d'appeler cette élite communautarisée à la responsabilité de la citoyenneté. Elle est de déconstruire systématiquement,  dans les journaux et sur les réseaux sociaux, sa propagande ses mensonges ses prétentions à l’impunité. Il s’agit de la délégitimer en dévoilant au quotidien son imposture, en mettant à nu, ses falsifications et  son ignorance meurtrière.

 

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