RÉUNIR, NON PAR LE BAS, MAIS PAR LE HAUT

DIBI Kouadio Augustin

Professeur titulaire de philosophie,

Université Félix HOUPHOUËT BOIGNY de Cocody

 

La nature sait nous parler sans aucun discours, sans aucun mot, sans aucun son. Elle nous invite simplement à apprendre à tourner nos sens vers l'intérieur pour l'entendre. Qui a pu suivre la Cérémonie de Présentation des Vœux du Nouvel An, le Lundi 6 Janvier 2020, au Palais Présidentiel, a dû lire, dans toutes les paroles prononcées, l'expression d'un désir profond : celui de consolider les acquis.

            Consolider est ce que le mot lui-même indique : rendre solide, affermir. Ici, il ne s'agit pas d'une chose comme telle, mais de la vie d'un peuple. Consolider les acquis signifiera alors agir de manière à les enraciner dans la longue durée, à les sauvegarder du tumulte et des récalcitrances de la contingence. Les hommes savent par expérience que l'on ne peut bâtir sur du sable, qu'une tour sans vrai fondement tombe d'elle-même dans la boue. C'est pourquoi, en bonne logique, dans leur vie historique comme marche par étapes, approfondissement de la conscience de la liberté, ils chercheront à préserver ce que leur cœur et leur raison estiment important, précieux, consistant. Sous cet aspect, le vœu, exprimé avec un accent particulièrement émouvant, que soient consolidés les acquis en vue de la cohésion sociale, de la paix et du renforcement d'un processus, n'est-il pas une manière de reconnaître que des pas absolument importants ont été accomplis, après une période d'ensablement et d'enfoncement dans l'obscur ayant fait d'un patriotisme instinctif, sans concept, son breuvage spirituel ?

            Le rôle de l'œil est de voir. Il suffirait d'ouvrir les yeux pour voir que notre pays présente un visage lumineux, que des gestes majeurs ne cessent d'être posés pour lui assurer un souffle proprement fécondant, afin qu'il brille aussi bien au-dedans de lui-même qu'à l'extérieur. Reconnaître et saluer une œuvre pour ce qu'elle est, est le propre de l'homme, créature capable de contemplation, de respect et d'admiration, parce que naturellement tournée vers ce qui est beau, haut et noble. Être incapable de pareille disposition, refuser de m'ouvrir aux signes du bien, c'est confiner volontairement au silence la voix de l'humain en moi, et ouvrir les portes aux sentiments qui enlaidissent l'âme. Le philosophe Alain parlait de la reconnaissance et de l'admiration comme ce sentiment qui rassemble au-dedans et qui nous réconcilie à nous-même. Le dos se brise t-il parce qu'il s'incline ? Loin de me rabaisser, saluer ce qui est accompli par l'autre en le reconnaissant comme une pierre heureuse à affiner dans l'édifice global, m'aide à tourner le regard vers le Ciel, horizon qui élargit, invite à construire, à me dépasser et à regarder autour de moi pour servir mon prochain.

            Certes, tout n'est pas parfait,  tout ne saurait chanter le plein midi de l'identité absolue, et l'on pourrait même dire qu'il est heureux qu'il en soit ainsi! Sur le métier, sans cesse, doit être remis l'ouvrage, afin que nous portions la vue au loin. L'équipe gouvernementale actuelle n'est-elle pas la première à savoir qu'il est encore des pas à poser ? Sinon, pourquoi redoublerait-elle d'effort en ouvrant de nouveaux chantiers et en approfondissant ceux déjà initiés, afin que le mouvement amorcé embrase, comme un feu, le territoire en totalité ?

            L'élan donné au développement de notre pays a besoin d'être soutenu par des apports constructifs, soucieux d'un avenir articulant entre eux développement économique, cohésion sociale et ouverture sur l'universalité du monde. Sur ce point, comment ne pas souligner que l'opposition politique peine à remplir son office ? Constatant au fond d'elle-même que les résultats du nouvel envol sont là, avec leur évidence et, qu'en dix ans, de grandes prouesses ont été réalisées afin que notre pays ne soit pas à l'image d'une hutte branlante de gardien de vigne, elle tourne en rond, s'enlise, pour l'essentiel, dans des questions de procédures évitant le contenu substantiel de la Chose même, et tient des discours visant à obscurcir l'image du pouvoir en place afin de le délégitimer ! Ne nous avait-elle pas annoncé la création d'une plate-forme ? La réalité révèle que celle-ci est bien plate, car elle n'offre nullement un projet proposant en systématicité, dans une chaîne de raisons et un souci éthique, une autre manière de gouverner la Côte d'Ivoire. Bien plutôt, avec la clarté de l'évidence, son projet ne consiste-t-il pas à œuvrer de manière à ne plus voir, même en peinture, une pierre qu'avaient rejetée les maçons, mais qui est devenue destinalement la pierre d'angle ? Qui ne verrait pas qu'elle est constituée d'alliances obtenues en brouillant toutes les frontières idéologiques, dans le seul but, privé de tout sens, de ne plus avoir à voir une personne dont la lumière éclatante de l'agir lui fait ombrage!

            Une coalition qui n'est rien d'autre que le simple "se tenir à côté de l'autre ponctuellement", en vue de seulement faire échouer une personne, trouve son logis le plus sûr dans l'obscur. Il ne serait pas étonnant de la voir applaudir en lisant et en entendant des propos s'attaquant au Président de la République, dont le contenu traduit la laideur morale et l'indigence éthique de leurs auteurs. Si elle aspire un jour à gouverner, elle doit savoir que la personne du Président de la République est un symbole. Le symbole est ce qui fait signe, comme le Maître, dont l'Oracle, selon Socrate, est à Delphes, lieu des Mystères. On aura compris pourquoi le Président de la République poursuit son travail sans se soucier de ce qui nous distrait et nous tire vers le bas. Il sait avec HEIDEGGER que ce qui règne au centre d'un tourbillon, c'est le calme. Une société sans le sens des symboles et des rites finit par se retrouver sans astre. Elle perdra la dimension de la transcendance pour devenir un assemblage d'individus dont le destin le plus sûr est la dispersion horizontale jusqu'à l'extinction de soi, faute d'un fluide bienfaisant où puiser la force de travailler et de vivre.

            Notre pays, comme il va, fait apparaître une opposition politique réunissant, non par le haut, mais par le bas, ainsi qu'excelle à le faire le mal. Le Chapitre 15 du Livre des Juges dans l'Ancien Testament relate que Samson, ayant appris que son beau-père a donné sa femme à son garçon d'honneur, attacha trois cents renards, deux à deux par la queue. Il fixa une torche à chaque paire de queues et lâcha les renards dans le champ de blé des Philistins, mettant ainsi le feu aux gerbes, aux épis encore sur pied, et même aux plantations d'oliviers. Nous voyons que le mal réunit tellement à l'envers, par la queue que, dans sa furie dévorante, il détruit même ce qui fournit à l'homme son pain quotidien !

            Des questions fondamentales se posent.  Comment, d'un point de vue rationnel, chercher demain à diriger un pays, si l'on voit en noir tout ce qui s'accomplit quotidiennement sous nos yeux ? Quand nous aurions tout noirci, sur quelle base prendrons-nous notre envol ? Nous ne pourrions tout de même pas, à nouveaux frais, créer un pays autre que la Côte d'Ivoire ! Construire, c'est toujours construire  sur le fond de ce qui est déjà là, et que nous ne saurions nullement effacer. Nous sommes plutôt invités à en assurer la sauvegarde. Chaque acte que nous effectuons n'est-il pas comme un coup de marteau de plus que nous portons sur du fer qu'un autre homme a forgé avant nous, et avec lequel un autre, après nous, labourera la glèbe ? Comme le dit  Jacques D'Hondt, «la machine la plus moderne garde quelque chose de l'instrument primitif qu'elle abolit et qu'elle ridiculise».

            Le mot "PAIX" se retrouve de plus en plus  sur les lèvres de tous les habitants de notre pays. C'est que, pour reprendre une image de Platon, ils préfèrent, mille fois au monde, être des valets trainant dans un champ une charrue, au service d'un pauvre laboureur que d'avoir à revivre les crises ayant occasionné plus de trois mille morts et rendu momentanément méconnaissable le visage de notre nation ! Ils savent que rien ne vaut la PAIX qui, avant d'être une exigence politique, est une exigence morale et spirituelle, à la fondation et à la constitution de laquelle doit ardemment œuvrer tout homme. La PAIX est à inventer par chacun au-dedans de soi, pour se sauver de toutes les guerres au-dehors. A cette fin, ne convient-il pas que nous fassions comme les tournesols, en nous tournant vers la lumière, en allant vers l'amour, la douceur, la beauté ?

            Le sage a un seul souci: le Bien. C'est pourquoi il demande seulement : où est le Bien afin que je le puisse servir ? Que l'opposition se construise en aidant à construire, afin de ne pas ressembler à un ruisseau irrégulier où l'on n'est pas sûr de trouver de l'eau !

 DIBI Kouadio Augustin

Professeur titulaire de philosophie,

Université Félix HOUPHOUËT BOIGNY de Cocody

                 

 

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