Crise politique au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire. Similarités et spécificités. 1ère partie

Au Burkina Faso, vient de se dérouler une crise politique et militaire potentiellement dangereuse qui fut provoquée par des causes secondaires similaires à celles de la crise ivoirienne : une tentative de manipulation de la Constitution et l’exclusion politique d’une des parties de l’échiquier politique et social. Au Burkina Faso, le massacre à grande échelle et le chaos social ont été évités. En Côte d’Ivoire en 2002 le FPI de Laurent Gbagbo  au pouvoir répondit par la guerre à la rébellion militaire que généra sa politique communautaire d’exclusion. En Décembre 2010 les révoltes populaires qui suivirent son refus de céder le pouvoir après avoir perdu l’élection présidentielle furent réprimées dans un bain de sang  qui précipita le pays dans le chaos.  A l’approche de l’élection présidentielle d’Octobre 2015, les forces politiques qui furent les artisans de ce massacre à grande échelle, reconduisent en Côte d’Ivoire, les représentations du politique et de la société qui conduisirent à la catastrophe.

Quelles sont donc les raisons  profondes de cette différence  entre la situation burkinabè et la situation Ivoirienne ? Quelles sont les facteurs sociologiques et politiques expliquant cette divergence dans les conséquences ?

La raison explicative la plus évidente de cette divergence est la composante sociologique des deux pays et l’attitude politique de leurs intelligentsias respectives. Le Burkina Faso  n’est pas divisé entre une mosaïque d’ethnies. La majorité ethnique Mossi coexiste en harmonie avec les minorités ethniques en nombre réduit dans le pays. Les élites n’ont pas instrumentalisé les confessions et les ethnies dans leurs affrontements politiques. Les différentes composantes sociologiques du pays sont unies sous l’autorité morale coutumière du Mogho Naba qui incarne  la mémoire collective d’une identité culturelle. Les ethnologues  historiens et géographes tels Yves Lacoste  soulignent  le rôle intégrateur de l’empire Mossi et  du Mogho Naba qui fut un protecteur pour les peuples étrangers pourchassés durant la période de la chasse esclavagiste. A cette unité sociale et morale coutumière des peuples burkinabès, s’est surajoutée l’unité de ses composantes dans la citoyenneté, valeur transmise par la République moderne et réappropriée par les intelligentsias. Ces deux formes d’unité, coutumière et républicaine, n’ont pas été entamées par les différents soubresauts politiques et les  coups d’Etat que le pays a connus. Le sigle « balai citoyen » exprime au niveau de la société civile la prégnance de cette culture de la responsabilité citoyenne. Au Burkina Faso, le problème politique central qu’a toujours représenté dans toutes les communautés politiques du monde, l’unité d’une diversité de peuples a été relativement résolu à travers le mariage harmonieux des coutumes et de la modernité. Ce syncrétisme n’a pas été brisé par la compétition politique et par la lutte des élites pour le pouvoir. En dépit de leurs différences et de la conflictualité de leurs intérêts divergents, certains groupes politiques n’en n’ont pas appelé au droit de la majorité ethnique mossi à être le dépositaire exclusif du pouvoir et le propriétaire tutélaire de l’Etat. Les lubies d’un Ablassé Ouédraogo supputant avec optimisme ses chances d’être élu à la magistrature suprême en référence à son appartenance à la majorité ethnique Mossi et confessionnelle musulmane l’ont immédiatement décrédibilisé et disqualifié auprès de l’opinion publique. L’intéressé avait dû se dédire et proclamer son attachement à la citoyenneté et aux valeurs de la République pour tenter de reconquérir son capital politique aux yeux de l’opinion publique.

 Comparativement au Burkina Faso, la Côte d’Ivoire est une mosaïque ethnique et confessionnelle dispersée en une multitude de chefferies coutumières et d’autorités confessionnelles. Durant les 35 années de sa gouvernance placée sous les valeurs du républicanisme,  Félix  Houphouët-Boigny, le premier président de la République ivoirienne, s’était attaché à cultiver le sentiment de citoyenneté pour construire  entre cette mosaïque ethnique et confessionnelle un sentiment d’appartenance commune qui transcende les loyautés et les appartenances traditionnelles. Les chefferies et les autorités des différentes confessions furent à cette fin implicitement  impliquées dans l’administration sociale du territoire. Il s’agissait de créer une symbiose entre les coutumes et les valeurs et institutions de la modernité sans que les coutumes et les confessions puissent prétendre régenter l’Etat.

La différence majeure qui distingue le Burkina Faso de la Côte d’Ivoire  est qu’en ce pays, les élites intellectuelles, politiques et  militaires avaient réussi à s’approprier culturellement la valeur moderne de citoyenneté et à construire en eux une nouvelle loyauté envers l’Etat républicain dans le patriotisme  qui s’est superposé à leur  attachement aux loyautés coutumières. En Côte d’Ivoire ce ne fut pas le cas. La majeure partie des élites intellectuelles, politiques et militaires en provenance des diverses ethnies et confessions avaient conservé leur attachement aux coutumes et aux loyautés traditionnelles au détriment de la citoyenneté et du patriotisme comme nouvelle loyauté envers l’Etat républicain. Les architectes du nationalisme ethnique ivoirien qui mirent en forme intellectuelle le mythe ethno-nationaliste et conceptualisèrent  la division sociale entre de prétendus « autochtones » et des Ivoiriens désignés comme « étrangers » provinrent des Universités. Ils se recrutèrent dans les rangs des hommes de Lettre, de Science, de la Jurisprudence, des historiens, des philosophes, des anthropologues, des sociologues, des juristes, des économistes, et des médecins ivoiriens.

En Côte d’ivoire, à la différence du Burkina Faso, l’intelligentsia universitaire et politique a opposé  les coutumes et les loyautés traditionnelles à la République et la Démocratie, tout en utilisant de manière perverse les institutions de la modernité contre ces formes politiques de la modernité.  Au Burkina Faso, Blaise Compaoré et la clientèle politique et militaire qui lui était affiliée  ont tenté de violer l’esprit des institutions de la Démocratie et de la République afin de les utiliser pour tenter de proroger indûment un mandat politique. Ils ont essayé de dévoyer  les institutions  pour  conserver et  sauvegarder leurs intérêts particuliers sans tenter d’abattre la République et la démocratie  au profit d’un autre régime politique. Au Burkina Faso le sentiment républicain et de commune appartenance patriotique a servi à tempérer et à limiter, dans les élites politiques et militaires concernées, le débordement des passions personnelles généré par l’envie de conserver le pouvoir et les privilèges qui lui sont attachés.

En Côte d’Ivoire, l’absence d’un sens républicain et d’un sentiment de commune appartenance citoyenne dans les élites politiques et leur clientèle sécuritaire et militaire a déchaîné les passions personnelles et libéré l’hubris meurtrier d’une intelligentsia qui lutte à la fois pour s’accaparer le pouvoir, jouir de ses avantages et réaliser une cause politique supérieure : abattre la République et la démocratie libérale identifiées à des reliques du colonialisme et à des instruments du néo-colonialisme  pour leur substituer  une société et un Etat communautaires dirigés par un autochtone qui en incarne l’unité politique. Une telle cause « supérieure » justifie pour cette intelligentsia tous les massacres et les bains sacrificiels de sang qui permettraient de réaliser  ce but final suprême. C’est en cette racine idéologique ultime qu’il faut chercher l’explication de l’apparente  irrationalité extrémiste des dirigeants de la CNC ivoirienne, une irrationalité qui jure avec l’apparente « sagesse » et « modération » des dirigeants de la CND burkinabè et de leur clientèle sécuritaire et militaire de la RSP. (A suivre)

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