Le nationalisme communautaire de la CNC ivoirienne ou la logique du dialogue exclusif.

Crise politique au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire. Similarités et spécificités. (2ème partie)

Au Burkina Faso, les dirigeants du CDP  ont tenté de manipuler la Constitution  pour prolonger, après son expiration légale, le mandat politique qui leur avait été attribué par le peuple Burkinabé. Cette  tentative ne fut  motivée, ni  par l'intention de briser la République au profit d’une dictature, ni par l'intention de reconstruire la nation sur une base communautaire et confessionnelle. Cette avidité personnelle, qui n’avait pas éteint le sens de l’Etat chez les magistrats de la haute administration et les gradés de la haute hiérarchie militaire engagés dans cette aventure, explique l’abandon du pouvoir par le CDP et la fuite de Blaise Compaoré devant une révolte populaire qu’il avait les moyens de réprimer dans le sang. La primauté de ce sens de la République explique la reddition du Général Diendéré qui aurait pu, de manière irrationnelle, refuser de se plier aux injonctions de l’armée loyaliste et de la communauté internationale en déclenchant ainsi l’apocalypse sur le Burkina Faso. Malgré les crispations et résistances relatives du RSP à consentir pleinement à son désarmement, nous pensons que cette conscience partagée de l’intérêt général est, au Burkina Faso, une digue solide qui peut aider à empêcher le basculement du pays dans la guerre civile et le chaos. On sait que, comparativement, les pouvoirs politiques ivoiriens dans les années 2000 manipulèrent la Constitution pour reconstruire la nation  sur une base ethnique et pour abattre la République. Ils n’hésitèrent pas à déclencher l’apocalypse sur la Côte d’Ivoire pour tenter de réaliser cet objectif politique suprême. Cette redéfinition communautariste de la nation ne permet aucun dialogue comme en témoigne la charte non négociable qui motive actuellement les manifestations de la CNC contre la tenue de la Présidentielle d’Octobre 2015.

A la différence du conflit politique Burkinabè, le conflit politique ivoirien fut donc engagé pour substituer une société communautaire ethniquement et confessionnellement homogénéisée à  une société originellement bâtie sur l’hétérogénéité et la diversité ethnique et confessionnelle. Au plus fort de la crise post-électorale ivoirienne, le Rwanda de Habyarimana et de ses milices interamwés fut le modèle que brandirent régulièrement, les dirigeants et les milices du pouvoir de Laurent Gbagbo qui menaçaient de reproduire le massacre Rwandais en pire en Côte d’Ivoire. Le conflit politique Burkinabè de 2014, ouvert par la tentative du CDP de manipuler la Constitution pour prolonger le mandat de Blaise Compaoré, ne contenait pas en son cœur, l’exclusion et le massacre d’une catégorie sociale. L’objectif du coup d’Etat de Diendéré en Septembre 2015  était, au final, d’obtenir la réintégration de sa famille politique dans la compétition électorale républicaine ou de s’accaparer le pouvoir. Les auteurs de cet acte répréhensible devront et consentent déjà, de la bouche même du Général Diendéré,  à rendre des comptes à la Justice de leur pays et à répondre de la vingtaine de morts et de la centaine de blessés. A contrario, en Côte d’Ivoire, l’exclusion et le massacre  d’une catégorie sociale étaient au cœur de l’objectif de transformation sociale et politique qu’avait initié le régime de Laurent Gbagbo dès sa prise du pouvoir en 2000. Les acteurs politiques et militaires de cet amok refusèrent et refusent jusqu’aujourd’hui d’assumer la responsabilité politique, morale et pénale des 3000 morts et des milliers de blessés que provoqua en Côte d’Ivoire leur hubris.

« Mille morts à droite, mille morts à gauche, j’avance » était le mot d’ordre de  l’architecte suprême de cet amok, Koudou Laurent Gbagbo. Ce mot d’ordre était partagé en commun par les membres de sa clientèle politique sécuritaire et militaire. Le général Dogbo Blé Bruno n’était pas de la trempe du Général Gilbert Diendéré qui a conservé, malgré tout, une certaine hauteur républicaine et démocratique dans sa forfaiture et son abdication. Défenseur suprême d’un ordre communautaire et tribal qui devait se réaliser à travers l’exclusion des catégories d’Ivoiriens désignées comme étrangers, le général Dogbo Blé et ses complices dans la haute hiérarchie militaire et sécuritaire en Côte d’ivoire se devaient d’écraser les contestations et les révoltes populaires dans un bain de sang. Le Front Populaire Ivoirien dont le nom,  caractérisé par la métaphore militaire du front, indique qu’il assimile le conflit politique à une guerre de tranchée contre un ennemi à détruire, n’a pas le même pedigree que le CDP de Blaise Compaoré qui demeure,  en dépit de sa dérive clientéliste et affairiste, un parti Républicain. Né d’une dissidence à l’intérieur d’un régime militaire engendré par un coup d’Etat, le CDP de Blaise Compaoré avait, en dépit de ses tendances autoritaristes, réussi sa reconversion républicaine, aidé en cela par une tradition politique qui n’avait pas été remise en cause. Inspiré au contraire par le modèle du mouvement de libération national contre des envahisseurs étrangers, comme en témoigne son projet de conquête d’une « seconde indépendance », et nourri par l’idéologie du léninisme stalinien, le Front Populaire Ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo identifie les stratégies et les tactiques de la lutte politique en termes de guerre, d’assaut final et d’anéantissement d’un ennemi de classe ou de sang. Dans l’échiquier politique ivoirien, il représente donc un anti-mouvement social auquel la violence et la sédition sont consubstantielles. Au pouvoir, il considère les protestations et les contestations comme des déclarations de guerre qu’il se doit de combattre et de  réprimer dans le sang, comme en témoignent les répressions sanglantes des protestions sociales qui émaillèrent sa gouvernance. Le plus emblématique de cet habitus de tueries massives, fut le massacre à la mitrailleuse lourde  et aux roquettes des manifestants du RHDP lors de la marche sur la RTI le 16 décembre 2010. Dans l’opposition, il organise comme tel des manifestations en mobilisant des armées de protestataires qui montent au front avec des chartes contenant des propositions non-négociables qui récusent tout compromis.

En dépit de ses dévoiements, le CDP de Blaise Compaoré s’inscrit dans le projet démocratique et républicain du dialogue inclusif qui appelle le compromis sur le fond des valeurs de la Démocratie et de la République. Le FPI tendance Sangaré, et ses partis satellites affiliés dans la CNC, s’inscrivent au contraire  dans le projet antirépublicain et anti-démocratique du dialogue exclusif qui refuse le compromis. Il appelle au dialogue en présentant des chartes non négociables. Autrement dit, il conçoit le dialogue comme un monologue politique qui intègre la logique de la force et appelle la capitulation et l’anéantissement politique de l’adversaire. Il appelle au dialogue pour que son interlocuteur écoute son monologue et se soumette aux conditions qu’il impose. « Nous ne boycotterons pas la présidentielle, mais nous ne laisserons pas faire si les conditions ne sont pas remplies » a prévenu Mamadou Koulibaly le chef du Lider exprimant la position de la  CNC ce lundi 28 septembre  devant la télévision publique à Cocody lors d’une marche pour exiger un scrutin « transparent ». Autant dire que la CNC boycottera la Présidentielle si le code électoral n’interdit pas la candidature des Ivoiriens que la CNC considère comme des étrangers et si la liste électorale n’est pas expurgée de cette catégorie d’ivoiriens. Elle boycottera la présidentielle si la présidence de la CEI n’est pas attribuée au représentant de la CNC et si la désignation des membres de  cette institution ne s’effectue pas selon le critère de la représentation par délégation qui les transforme  en mandataires nécessairement partiaux de leurs partis politiques respectifs, un critère qui est pourtant en contradiction absolue avec cette institution de l’impartialité. En dépit des apparences, c’est dans une logique guerrière que sont entreprises actuellement, de manière caractéristique et emblématique, les manifestations de la CNC relativement aux contentieux de la CEI, du Code électoral, de la Liste électorale et de l’accès aux médias. (A suivre)

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