Pour une définition nationale de l’État et une politique de modernisation en Côte d’Ivoire : contre l’ethno-nationalisme désintégrateur. (1ère partie)

Nous devons nous garder en Côte d’Ivoire de penser que l’État doit incarner une communauté définie en termes ethniques, religieux ou territoriaux

Nous devons aussi nous garder de concevoir le partage et l’alternance démocratique du pouvoir sous un mode ethnique, confessionnaliste et régionaliste.

Dans le premier cas de figure, la conséquence de cette revendication identitaire différentialiste qui en appelle à l’autochtonie, qui stigmatise comme étrangers des collectivités culturelles du territoire, qui divise intérieurement et installe l’exclusion et la ségrégation dans la cité, est de légitimer des dynamiques séparatistes et sécessionnistes. Si l’État doit être l’agent politique d’une communauté d’autochtones dans une société multiethnique, chaque communauté est fondée à revendiquer son indépendance politique pour se donner un État correspondant à son ethnie, à ses coutumes, à sa religion et à son territoire.

Dans le deuxième cas de figure, la redéfinition communautariste du partage du pouvoir et de l’alternance démocratique installe au cœur de la société politique un affrontement des particularismes ethniques, confessionnels et régionaux divergents qui finissent par affaiblir l’État et par saper son autorité.

Dans les deux cas de figures, cette conception communautariste de la société et de l’État, les praxis et les discours dangereux qui l’accompagnent nécessairement, conduisent toujours à la division intérieure, à l’atomisation, à la fragmentation sociale, au sous-développement, au séparatisme et à la désintégration de la cité.

 Il semble qu’aveuglée par un nombrilisme infantile et par une emprise psychique complète des sept péchés capitaux dont le plus radical est l’idolâtrie du pouvoir, une frange de l’opposition ivoirienne ne s’aperçoive pas de ce danger mortel, à moins qu’elle n’ait délibérément choisi la voie du suicide collectif.

Au lieu d’engager un programme de construction nationale selon les obédiences idéologiques qu'ils disent incarner, de consolider l’unité politique de la diversité des ethnies et des confessions du territoire ivoirien, ces partis et ces franges divisent, atomisent et fragmentent cette diversité par des discours clivants et des praxis d'exclusion.

 Au lieu de se représenter la Côte d’Ivoire comme une République et un État habités par des citoyens libres et égaux en droit, unis par un sentiment d’appartenance commune, ils la conçoivent comme un territoire composé de royaumes : « le royaume Baoulé », « le « royaume Sanwi » pour ne citer que les références les plus utilisées ces jours-ci par ces franges ethno-nationalistes de l’opposition ivoirienne.

Au lieu de se représenter la Côte d’Ivoire comme société civile, Nation et Patrie, ces franges se représentent le pays comme juxtaposition de communautés, de chefferies, de clans et de tribus.

Au lieu de concevoir les partis politiques comme institutions chargées de représenter politiquement les intérêts et les opinions des diverses catégories d’une société civiles, ils les conçoivent comme dispositifs chargées de représenter les ethnies, les sujets d’un royaume ou d’une confession. Ils les identifient à des instruments destinés à permettre aux dirigeants de ces communautés de capturer le pouvoir d’État pour s’en arroger la propriété.

 Au lieu de concevoir les conflits sociaux comme antagonismes entre citoyens égaux aux intérêts divergents devant être tranchés par la loi du droit positif, ils les identifient à des affrontements entre communautés autochtones et allogènes devant être tranchés par les coutumes.

Au lieu de concevoir l’affrontement politique inter-partisan comme une confrontation de programmes économiques, sociaux et politiques divergents destinés à intégrer la société et à l’unir, ils le conçoivent comme une guerre d’anéantissement entre tribus ennemis se disputant le territoire et le pouvoir.

Leurs thématiques et leurs éléments de langages témoignent de cette vision prémoderne et pré-politique de la société, de l’État et du pouvoir.

Exprimant cette vision prémoderne dans un langage moderne, ils ne parlent que de « lutte de libération », de « résistance » contre une dictature, d’insurrection contre une invasion étrangère, de défense d’une identité volée, de réappropriation d’un Etat aux mains d’étrangers, de "réconciliation" entendue comme homogénéisation communautaire.

 Ils ne parlent jamais, de citoyenneté, de Nation, d’égalité des droits, d’émancipation individuelle et collective, de programme de gouvernement destiné à cette fin, de service de la société par le Pouvoir politique, de développement économique et de changement social.

Ils identifient les institutions d’incarnation de la Nation, de la constitutionnalité des Lois, de défense de l’intérêt général (tels respectivement, la CEI, la Cour constitutionnel et le Gouvernement) à des instruments permettant de prendre et de conserver le pouvoir.

Ce sont là les traits caractéristiques d’une vision prémoderne de la société, de l’État et du pouvoir politique.

De ce point de vue, il est justifié de penser qu’une partie des acteurs de l’échiquier politique ivoirien représente assurément dans notre pays une expression locale de la légendaire la force d’inertie africaine. Dans le traditionalisme suranné de son ethno-nationalisme régressif, elle incarne le conservatisme réactionnaire des structures, des superstructures et des mentalités, qui bloque le changement historique en Afrique (A suivre) . 

 

Les commentaires sont fermés