La laïcité de l’Etat, valeur partagée des Musulmans et des Chrétiens de Côte d’Ivoire.

Partout où l'on a voulu reconstruire la société politique et bâtir l'Etat sur les identités primordiales, c'est-à-dire sur les ethnies et sur les confessions religieuses, le sang a coulé. Partout où, dans les sociétés multiethniques et multiconfessionnelles, l’on a voulu placer le pouvoir temporel sous la régence des coutumes et des dogmes confessionnels, la réforme ethnique et confessionnelle de l’Etat a abouti aux politiques de purification ethnique et confessionnelle, aux massacres et aux génocides. Prétendant détenir l’exclusivité de la Vérité et représenter la Nation, les dogmes et les identités sont alors entrés en collision en vue de  s’approprier l’Etat en excluant l'Autre, en éliminant la différence. L’histoire récente, ici en Afrique, et ailleurs dans le monde atteste de la vérité de cette loi tout simplement parce que "la pluralité est la loi de la terre"  comme l’a souligné Hannah Arendt.

Au moment où certains groupes politiques en Côte d’Ivoire, par conviction ou provocation opportuniste, essaient malgré un passé récent terrifiant de ressusciter et de remobiliser l'article 35, de redéfinir l'Etat et le pouvoir par le principe ethnique de la nationalité en lieu et place du principe citoyen, il est important de rappeler cette constante historique jamais démentie.

En ce mois du Ramadan musulman, qui succède à la Pâque chrétienne, il est essentiel de rappeler que la sauvegarde de l'harmonie et la solidarité républicaine des ethnies et des confessions religieuses, qui constitue le caractère spécifique de la Côte d'Ivoire, est un devoir politique et moral qui s’impose à tous les partis politiques du pays et à tous les Ivoiriens. Le vivre-ensemble de la diversité plurielle des populations ivoiriennes, dans un Etat laïc républicain garant de l’intérêt général et protecteur de la liberté de conscience et de culte, doit constituer l’un des thèmes majeurs de la campagne électorale, et représenter la colonne vertébrale des projets de société que les divers partis et candidats en compétition proposent aux Ivoiriens.

L'harmonie et la paix sociales, une tradition longtemps respectée de la Côte d'Ivoire multi ethnique et pluri confessionnelle, reposèrent sur le fait que les pères bâtisseurs construisirent la société politique et l'Etat ivoirien sur la base de la citoyenneté et sur celle de la laïcité, garants de la coexistence de la diversité des peuples et du respect de la différence. Telle est le consensus primordial unissant les  démocrates musulmans, chrétiens, animistes en provenance de toutes les ethnies de Côte d'Ivoire.

Dans la tradition du choix politique et éthique de Félix Houphouët Boigny, un chrétien laïque engagé,  le combat pour la laïcité fut le combat emblématique du Cheikh Aboubacar Fofana, l’un des réformateurs les plus influents de l’Islam éclairé de Côte d’Ivoire. « En contraste avec les mouvements «islamistes » comme le souligne Marie Miran-Guyon dans un texte fort rafraîchissant d’une brûlante actualité, le leadership musulman de Côte d’Ivoire a, en effet, adopté « une approche résolument accommodatrice vis-à-vis de la laïcité de l’Etat et de la pluralité confessionnelle de la société civile. Les musulmans ivoiriens, notamment, ne revendiquent pas l’application de la shari’a dans la sphère publique. Au contraire, ils y renoncent de plein gré et choisissent de défendre l'application pleine et égalitaire de la séparation de l'Eglise, de la mosquée et de l'Etat. »cf Marie Miran-Guyon : Gloires et déboires de la laïcité au prisme de l’imaginaire social musulman. Telle est aussi la conviction de la majorité des chrétiens de Côte d’Ivoire. Ils se situent dans la tradition du legs républicain de Félix Houphouët Boigny qui inscrivit la laïcité de l’Etat en lettres d’or dans la première constitution de Côte d’Ivoire d’ailleurs reconduite en 2000.

Suivant l’exemple du Christ qui a toujours proclamé que le royaume du chrétien n’est pas de ce monde, et qui s’est pour cela dépouillé de toute propriété sur les cités sur les domaines et les juridictions temporelles, la majorité des chrétiens ivoiriens pense que la mission de l’Eglise n’est pas de régner sur l’Etat, mais d’aider les individus à obtenir le salut de leur âme dans l’Autre monde. Les chrétiens ivoiriens font leur cet enseignement de Jésus Christ qui, maître et juge de toute chose, à l’image de son Père, a cependant revêtu l’infirmité du corps et de l’âme humaine et a renoncé à tout pouvoir sur les choses temporelles. Que tout pouvoir vienne de Dieu ne saurait signifier que le pouvoir temporel soit attribué par Dieu et géré par son ministère sur la terre à la place des Etats et des peuples.

Valeur commune des musulmans, des chrétiens et des animistes, la laïcité à l’ivoirienne sépare l’Etat, garant politique temporel de la liberté de conscience et de culte, et l’Eglise, la Mosquée et le Bois sacré, ministères spirituels auxquels est réservée la tâche décisive du salut de l’Ame dans l’autre monde.

La laïcité, qui ne désigne guère un Etat  antireligieux, assure en Côte d’ivoire la coexistence pacifique des religions, la tolérance et reconnaissance de l’Autre dans le projet commun de l’émancipation de l’homme.

 Dans le cadre de l'Etat laïque démocratique peut alors s’instaurer une division du travail entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, entre le ministère humain et le ministère divin, en vue de la formation complète de l'homme : le pouvoir temporel travaille à former l'homme extérieur, à lui apprendre par exemple à se conformer à la dimension procédurale de la démocratie, à respecter les institutions démocratiques qui permettent de protéger les libertés et de reconnaître l'Autre. C'est la tâche du droit positif et de la jurisprudence des tribunaux du monde temporel. C’est la tâche de l’Etat, dont la pour mission est de pourvoir au vivre ensemble et au bonheur des hommes dans le monde sensible. Le pouvoir spirituel travaille, quant à lui, à former l'homme intérieur, à lui apprendre par exemple à se conformer dans l'intention aux valeurs de la démocratie substantielle, c’est à dire aux  principes de liberté, d‘égalité et de respect des droits humains qui garantissent la reconnaissance de l'Autre.

La Côte d'Ivoire n'étant pas une théocratie sous la domination des dogmes d'une confession particulière du fait de sa diversité sociologique, et n'ayant pas vocation à le devenir, l'engagement du chrétien et du musulman dans le projet de formation et d’émancipation complète de l'être humain ne peut être envisagé que sous la forme de la complémentarité dyarchique active du temporel et du spirituel. Le combat chrétien de la vertu doit être en Côte d’Ivoire, conformément à l’Enseignement du Prophète du christianisme, un combat intérieur, mené par chaque chrétien ivoirien contre sa propre servitude intérieure pour se conformer dans l’intention à la loi divine afin de mériter le salut dans l’Autre monde, et espérer le bonheur en ce bas monde. Le Djihad musulman doit être en Côte d’Ivoire, conformément à l’enseignement du Prophète de l’Islam un combat mené par chaque musulman contre sa propre servitude intérieure pour se conformer dans l’intention à la loi divine afin de mériter le salut dans l’Autre monde, et espérer le bonheur en ce bas monde.

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