Le RHDP un beau cadeau de l’amitié du destin en souvenir d’un bâtisseur.

DIBI Kouadio Augustin

Professeur Titulaire de Philosophie

Université Félix HOUPHOUËT BOIGNY

(Texte de présentation de l’ouvrage « Le RHDP un beau cadeau de l’amitié du destin en souvenir d’un bâtisseur »  lors de sa dédicace à l’Hôtel du district autonome d’Abidjan le jeudi 31 Octobre 2019.)

"Pour habiter un lieu, il faut d'abord le fonder", ainsi s'exprimait le grand historien et anthropologue des religions Mircea Eliade. Qu'est-ce que fonder ici, pour moi, sinon, afin de m'asseoir, lancer la parole en avant et m'acquitter d'un devoir de courtoisie ? Comment ne pas remercier Monsieur le Ministre-Gouverneur de nous ouvrir les portes de cette Maison, figure symbolique de la République, pour accueillir cette rencontre ? Accueillir est la manière que l'homme a de dilater son cœur afin d'être une demeure pour autrui, de nourrir de son jeûne la faim de l'autre. Acceptez, Monsieur le Gouverneur, que ce remerciement soit  redoublé ! Le choix de cette salle, tout à fait destinale, ne révèle-t-il pas en effet que  vous avez appris à tourner  vos  sens vers l'intérieur pour, dans le silence, entre OMBRE  et LUMIERE, aller aux  voyelles mystérieuses qui donnent vie aux consonnes ?

Qui ne verrait pas que l'ICI de cette rencontre n'est pas un ici quelconque ! Il porte le nom d'un homme qui s'est retiré de notre regard sensible en laissant le parfum de son passage qui ne cesse d'embaumer et de féconder l'aventure historique de notre pays. Puisse le ressouvenir de sa figure ici guider nos pas !

Selon un mot de Hegel, à la pointe de toutes les activités qui conduisent l'histoire du monde, se trouvent des individus qui, à titre de subjectivités, animent la substance. Le Professeur Soro David, lecteur de Platon, auquel il a consacré ses travaux universitaires, a bien voulu éditer le texte qui nous rassemble. De son philosophe il sait que "par un examen parallèle, par un frottement analogue à celui de deux allume-feux ensemble nous pourrions faire jaillir la LUMIERE". Afin ,précisément, de FAIRE JAILLIR LA LUMIERE , M. le Sénateur Michel Coffi Benoît, comme une aile de la destinée, à l'instant convenable, doucement, subtilement et avec grande industrie, a permis que l'arc tendu depuis quelques mois libère la flèche vers sa destination, afin que la corde ne perde pas de sa souplesse et de sa vitalité. L'esprit qui habite un texte demande, pour être mis au monde, un esprit de la même famille: en effet, seul le même peut reconnaître son autre et le saluer  ,avec la certitude ,en le saluant ,de se saluer soi-même  . Comment ne pas souligner que la présentation qu'il  vient de faire de mon texte révèle en quel sens il a su coïncider intuitivement avec la tonalité immanente de mon propos pour exprimer ce qu'il a d'unique et d'essentiel ? Maître Eckhart disait : "si la seule prière que tu faisais dans ta vie était merci, ce serait suffisant." Monsieur le Sénateur, cher collègue Professeur Soro, acceptez que je vous dise simplement Merci, le mot de la vie qui est presque l'anagramme de Cime !

La reconnaissance est la mémoire du cœur. Par elle, l'air se libère, se purifie pour laisser circuler des énergies lumineuses permettant d'habiter un lieu. Je puis ainsi, à présent, m'asseoir et aller à la chose même.

Si d'aventure, l'on demandait pourquoi nous sommes en ces lieux, la réponse, de toute évidence, serait : nous y sommes pour la présentation d'un écrit portant pour titre: "Le RHDP, un beau cadeau de l'amitié du destin en souvenir d'un bâtisseur". Cette réponse, à son tour, questionne : pourquoi un écrit sur cette formation politique et en quel sens celle-ci est-elle à entendre comme un beau cadeau de l'amitié du destin ? On aura compris qu'en procédant ainsi, je cherche à aller atteindre quelque chose en chemin en marchant. La pensée ne trace son chemin que dans une marche faite de questions.

Écrire est la seule manière de parler dans le silence, sans être interrompu, loin du bavardage de l'extériorité. En prenant la plume, j'ai voulu par l'écrit accompagner ce qui me semble être une impulsion offerte par le destin à notre pays afin de se surmonter. Comme le dit Jacob Böhm, dans le surmontement se trouve la joie (In der Überwindung ist Freude). Se surmonter consiste pour notre pays à se ramasser suffisamment soi-même pour faire monter en lui la sève assurant une vitalité rayonnante.

Le RHDP n'offre-t-il pas l'occasion de nous surmonter, de recueillir la rosée avant qu'elle ne s'évapore ? Cette formation politique me semble essentiellement procéder du souci que notre pays ne soit pas à l'image d'une feuille morte livrée aux caprices d'un vent le tirant dans tous les sens, qu'il n'ait pas le destin d'un bateau ivre abandonné aux vagues tumultueuses de l'océan, sans ancre ni compas.

Qui pourrait oublier que ce pays vient de loin! Les choses en lui n'avaient-elles pas commencé à s'obscurcir et à s'enlaidir, à un point tel qu'il risquait de glisser vers l'abîme ? Prévalait en effet un PATRIOTISME INSTINCTIF, SANS  CONCEPT ,fait de la bouillie du cœur, oubliant que la REPUBLIQUE  RENVOIE A UNE MANIÈRE DE SE TENIR DANS L'OUVERT,EN APPRENANT TOUT SIMPLEMENT A DEVENIR AMI DE L'HOMME,QUEL QU'IL SOIT ! Il convenait alors de se hâter de retrouver la sève subtile ayant fécondé la  marche de notre pays, de longues années durant, pour lui assurer verticalité et vitalité, afin qu'il brille à nouveau comme une étoile flamboyante. Comment retrouver cette sève et la ranimer, sinon en nous laissant habiter, avant tout, par une vérité élémentaire : les raisons d'unir et de rassembler sont toujours plus fortes que celles de diviser et de séparer.

Assurer à notre pays la sève de sa jouvence éternelle et de son rayonnement exige le geste suivant : ceux qui se reconnaissent comme enfants de celui qui, de son génie et de son souffle, l'a bâti,  doivent s'unir afin de pérenniser sa mémoire en portant plus loin et plus haut son projet politique. Cette union consiste dans l'acte de retrouver l'identité qui, après le rappel à Dieu du Président Félix Houphouët-Boigny  ,  s'est historiquement diffractée, les membres épars d'une unité d'origine. Elle consiste à rassembler les demeures de la même maison, sous la forme d'un parti politique dynamiquement façonné par les expériences et les aventures de l'identique à-soi-s'étant-différencié.

Ce qui, d'abord était un, mais qui s'est posé vers l'extérieur en des moments différenciés, veut se rejoindre avec lui-même. En bonne logique, seul ce qui est un peut se poser comme deux : ainsi, en son être-deux, il n'a pas radicalement perdu son unité qu'il peut infiniment reconquérir.  Chacun de nous ne sait-il pas, par expérience, qu'une chaussette déchirée reste encore une en soi ? C'est même sa déchirure qui nous fait prendre conscience de son unité perdue à reconquérir en la recousant discrètement ! Dans la division, l'unité ne peut radicalement disparaître : la nécessité de la réunification est toujours là, surgissant en sa fine pointe absolument irréductible. Ainsi que le souligne Heidegger, "dans le déchirement, règne toujours l'unité ou réunification nécessaire, c'est-à-dire, unité vivante "

Le RHDP, qu'est-il, sinon l'esprit du Président Félix Houphouët Boigny, venu se saisir de ceux qui se reconnaissent en lui, afin que ce qu'il a semé soit sauvegardé et porté plus loin ? Il lui arrive, très certainement, de sortir, de temps à autre, la tête de la fenêtre de l'éternité pour nous rappeler une parole du Christ : "celui qui ne rassemble pas avec moi disperse." Il sort la tête, afin de nous rappeler qu'en bon architecte, il a déjà posé les fondations de la maison, que son œuvre a seulement besoin d'être consolidée afin de devenir la maison de l'universel soucieuse d'offrir une demeure à la veuve, à l'orphelin, à l'étranger et à toute faiblesse, la demeure où le moineau trouve un abri, et l'hirondelle un nid pour sa nichée.

Dans le silence, j'entends dans la salle  murmurer ceci : "le Président Félix Houphouët Boigny, de son vivant, n'a créé qu'un parti politique qu'il nous a laissé comme héritage : le PDCI-RDA". Ou encore : "on a quitté le RHDP pour ne pas faire disparaître le PDCI-RDA."  Et, pour tout clore : "les vrais héritiers du Président Félix Houphouët Boigny sont au PDCI-RDA". Tenir de tels propos ne signifie-t-il pas manquer de sens dialectique, et donc se retrouver en politique comme par accident, sans une appropriation pensante de la chose même?

Il convient de rappeler une vérité élémentaire : de tous les êtres qui sont au monde, seul l'homme est un animal politique, comme seul il est aussi un animal raisonnable. En ce sens, la raison ne doit-elle pas habiter l'univers de la politique ?

Les crises que nous vivons procèdent essentiellement d'une vacance de la pensée et de la raison, d'une faiblesse théorique des consciences ! Ainsi que le souligne Hannah Arendt, "c'est dans le vide de la pensée que s'inscrit le mal."

C'est pourquoi il me parait ici nécessaire de dire, avec insistance  ,  ce qui suit : la seule mobilisation en vue du moment électoral ne suffit pas ! Elle doit s'accompagner  de l'instance de la pensée, de ce rien apparent de la réflexion, de l'intellection. La mobilisation n'est signifiante que si elle aide à obtenir, non une réalité simplement massive, mais une quantité qualifiée, une mesure. Joseph de Maistre a pu dire en ce sens: "Au lieu de compter les voix, il vaut mieux les peser". Là où la mobilisation est élevée à l'absolu, loin de toute pensée, la bouillie du cœur et nos pulsions primaires affluent à la surface ! Elles rugissent comme des lions, grognent et se bousculent pour   s'affronter  dans la violence ! De cet affrontement, ne peut sortir victorieux que celui qui excelle à donner un baiser au mal, celui  qui trouve sa demeure dans le nid des instincts les plus désordonnés !

Exerçons-nous ici, un seul instant, à réfléchir ! Le Président Félix Houphouët Boigny aurait-il, toute sa vie durant, mené un combat pour ne nous léguer en héritage qu'un parti politique sous la forme d'un fétiche, d'une idole? Devons-nous nous conduire comme ces héritiers s'empressant d'enfouir dans la terre la pièce d'or laissée par le maître parti en voyage, au lieu de la faire fructifier? Le parti politique n'est pas une fin en soi. Il  est un moyen afin de se mettre en route vers un idéal inépuisable. Les partis politiques ne doivent pas être fétichisés et fixés en choses absolues : ils ne remplissent leur office,  leur  vocation,  qu'en s'ordonnant à un appel venant de plus loin qu'eux, et les invitant à se soucier de l'intérêt général, du visage de l'autre.        

En créant un parti politique, quel qu'en soit le nom, le vœu secret du Président Félix Houphouët Boigny n'était-il pas de ramener la diversité à l'unité, de réunir ce qui est épars, de nous inviter à dilater notre cœur pour l'étendre aux dimensions  d'autrui et du monde ? Son vœu n'était-il pas que nous "forgions, unis dans une foi nouvelle, la patrie de la vraie fraternité"?

Que peut être cette fraternité, sinon un être-ensemble où les hommes, dans leur diversité, sont compris comme les rameaux de la même vigne, et où chaque ethnie s'éveille à l'humain en elle pour se surpasser  et s'ouvrir à l'autre, dans un dialogue laissant fleurir la rose de la vie ?

La FRATERNITE est essentiellement la chose qu'il importe de construire   . Il convient de la considérer comme l'ASTRE, l'ETOILE  servant de visée à l'action politique .Là où la FRATERNITE n'est pas un souci   ,l'aventure  historique manque de SENS  . NOUS tournons en rond et  nous  nous épuisons à piétiner ! N'est-ce pas alors le DESASTRE ?

DES-ASTRE  est ce que le mot lui-même indique : la perte de l'ASTRE,  la perte de l'ETOILE. La FRATERNITE ne vient-elle pas nous révéler que CHACUN DE NOUS EST UN FIL TISSE DE PLUSIEURS COULEURS   , que LA BEAUTE D'UN TAPIS PROVIENT DE LA DIVERSITE DE SES COULEURS ,et que LA VIE CONSISTE DANS L'UNION ?

Le RHDP me semble être cette union, afin de forger pareil être-ensemble, dans la foi que demain sera meilleur et plus beau qu'aujourd'hui. Le PDCI-RDA du Président Félix Houphouët Boigny trouve en le RHDP son essence accomplie, sa vie déployée en myriades de scintillations, le lieu où il se trouve honoré et exalté en  son principe.    

Opposer le RHDP au parti créé par le premier bâtisseur de notre pays, c'est ne pas saisir le PDCI-RDA dans la visée déterminée  qui le porta au jour  et qui ne cesse de l'animer. Comment, dans ces conditions, peut-on prétendre assurer son héritage? N'est-il pas d'ailleurs paradoxal de se dire son héritier et de refuser d'accueillir une formation politique marquée intrinsèquement, jusque dans son sigle, par son ressouvenir, comme si, en lieu et place du terme houphouétiste, l'on aurait souhaité qu'il fût inscrit un autre ?

La perspective des  élections de 2020 ne devrait pas froisser nos yeux, au point de chercher des alliances que nulle raison ne saurait fonder. Pareilles alliances sont des plates-formes politiques aux formes et aux contenus  bien plats. Est-il  besoin de longuement réfléchir pour savoir  qu'elle n'ont qu'une visée   , la suivante : NE PLUS VOIR  ,UNE SEULE SECONDE, MEME EN PEINTURE ,UNE PERSONNE perçue comme LEUR FAISANT OMBRAGE, LEUR BOUCHANT LEUR HORIZON PAR SES  REALISATIONS EXHALANT D'ELLES-MEMES LEUR PARFUM QUE SEUL POURRAIT REFUSER DE SENTIR ET D'APPRECIER CELUI QUI A PERDU LA SAVEUR DES CHOSES . Ces coalitions réunissent seulement à l'envers, non par le haut , mais plutôt  par le bas, comme excelle à le faire  le mal !

Une plate-forme qu'aucun concept ne peut justifier n'est-elle pas semblable à cette   nuit dans laquelle toutes les vaches sont noires dont parle Hegel ? Elle ne peut s'obtenir qu'en s'abandonnant à une sorte de libertinage de l'agir politique. Ce libertinage consiste à brouiller les frontières, à dilater ses propres convictions et à provoquer des liaisons, loin de tout lien naturel, afin de trouver artificiellement du SENS ! Comme conséquence, tout vaut tout, ce qui veut dire que rien ne vaut. Désormais, tout flotte, tout est sans cesse en transit. L'on devient absent, vague dans son rapport à soi-même, à autrui et au monde. Pourquoi s'exercer à unir ce que l'on sait inconciliable par nature ? Le prophète Amos demande : "Est-ce que les chevaux courent sur les rochers ? Est-ce qu'on y laboure avec des bœufs "?     

Si les mots ont un sens, une plate-forme doit renvoyer au moins à des principes et à des idées servant d'appui, de ciment, en vue d'une action déterminée dans le temps. Il est de coutume normalement de chercher à s'appuyer sur ce qui a de la consistance, ce qui a une étoffe substantielle, la consistance du ROC, non sur ce qui, trop plat et trop lisse, a pour fin ultime de nous faire glisser! 

La perspective des élections de 2020  doit-ell froisser nos yeux, au point d'oublier l'endurance des cinq mois passés à l'Hôtel du Golf, le silence glacial des nuits dans la muette inquiétude pour le lendemain, le frémissement de la mort qui menace à l'extérieur dans les rues et à des carrefours ? Saint Paul nous en avertit : "que personne ne devienne comme une plante amère qui pousse et fait du mal à beaucoup de gens par son poison."  

Pourquoi se donner tant de peine à creuser des citernes fissurées, incapables de retenir l'eau ? La source d'eau vive n'est-elle pas  pourtant déjà  là, gratis data, gratuitement donnée , comme le dirait Saint Thomas D'Aquin ? Elle  demande que nous la buvions   pour ensemble reprendre des forces, boucler nos sacs et poursuivre notre chemin, dans un esprit de compagnonnage, vers la patrie de la vraie fraternité ?

Permettez, Mesdames et Messieurs, que ce mot FRATERNITÉ, en renvoyant à l'horizon de notre commune appartenance au Même, marque la fin de cette parole proposée comme le pain, pour être simplement rompue et partagée !

Dibi Kouadio Augustin

Professeur Titulaire de Philosophie

Université Félix Houphouët-Boigny

 
   

 

 

 

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