L’Appel de Daoukro : Une véritable escroquerie morale !

Ambroise Tiétié

Journaliste Professionnel

Au quotidien ivoirien Le Rassemblement.

On le subodorait, peu prou. Mais l’interview qu’il vient d’accorder  à un tabloid français, le quotidien Le Monde, pour ne pas le nommer, des mois après celle accordée, le 14 décembre 2018, au confrère France 24 à Daoukro, achève de convaincre de ce que certains n’osaient pas croire : la candidature du président du PDCI-RDA Henri Konan Bédié, 85 ans bien comptés, à la présidentielle 2020. Dès lors, l’on comprend désormais tout au fameux appel qu’il lança depuis ses terres, à Daoukro,  et qui fit tant jaser. Surtout au sein de son parti où de nombreux cadres dont Kouadio Konan Bertin ‘’KKB’’, Charles Konan Banny, pour ne citer que les plus médiatisés, organisèrent  la résistance contre l’Appel de Daoukro’’ jugé ‘’inopportun’’. A raison !

Après le retrait du PDCI-RDA du RHDP, le président Henri Konan Bédié accorda une interview à la chaine de télévision française France 24 qui fit grand bruit. Dans cet entretien essentiellement à charge contre le RHDP et son ancien allié Alassane Ouattara qu’il a regretté, au passage, d’avoir soutenu, N’Zueba a fait part,  mais à mots voilés, comme s’il éprouvait quelques scrupules à le reconnaitre lui-même, de son intention d’être candidat à la présidentielle 2020. ‘’ L'alliance RHDP qui date de 2005 n'existe plus. Nous nous sommes séparés après beaucoup de divergences (…) Il y a eu des manquements au bon déroulement de notre alliance. Le problème de l’alternance au profit du PDCI est un de ces problèmes. Mais il y en a d’autres. Il y a surtout la volonté de créer un nouveau parti (…) Le poids du PDCI-RDA dans l'alliance (…) En 2020, nous mettrons à exécution nos ambitions de réussir une alternance au profit du PDCI-RDA. En 2019, une convention nationale du PDCI-RDA se tiendra pour désigner le candidat à la présidentielle (…) Il se pourrait que ce ne soit pas moi, il se pourrait que ce soit moi (…) À la demande de plusieurs autres partis politiques qui m’ont sollicité, nous pensons prendre la tête de la formation d’une nouvelle plateforme plus vaste comprenant tous les partis politiques qui partagent les valeurs de la non-violence, de la tolérance, de l'État de droit (…)’’, avait-il laissé entendre. Et depuis, il ne ménage pas ses efforts pour faire venir au jour la fameuse plateforme. Il vient d’ailleurs de rencontrer l’ancien président Laurent Gbagbo à Bruxelles pour jeter les bases, selon lui, de ce groupement politique. Cependant ce qui semble le plus révélateur de cette volonté, c’est l’interview accordée au quotidien Le Monde.

Ce qui semble le plus révélateur de cette volonté

Voici un extrait des échanges qui peuvent paraitre surréalistes mais qui semblent obéir à une logique longtemps nourrie par l’octogénaire.

‘’Vous avez 85 ans aujourd’hui. Qu’est-ce qui anime encore votre engagement politique ?

Henri Konan Bédié J’estime que quand on est un homme politique, on ne s’appartient pas, on appartient à la communauté dont on gère la destinée. Je suis président du PDCI-RDA. Ce parti a survécu à toutes les épreuves et vit encore. Par conséquent, tant qu’il me reste les forces physiques et intellectuelles, je continue le travail.

Quelles sont vos intentions pour la présidentielle d’octobre 2020 ?

Toute intention de militant doit être raisonnable et soumise aux instances dirigeantes du parti. C’est le PDCI qui désigne le candidat. Dans la tradition du PDCI, on ne sollicite pas, ce sont les militants qui le font. Le parti décidera entre octobre et le premier semestre 2020.

Votre parti se prononcera dans quelques mois mais, en votre for intérieur, souhaitez-vous briguer la présidence de la République ?

Si on me le demande, je suis un homme de service, un homme qui a suivi une tradition de don de soi, mais nous n’en sommes pas encore là.

Vous aurez 86 ans au moment de la prochaine élection. Est-ce encore un âge pour briguer la présidence de la République ?

Je suis un jeune parmi d’autres. En Afrique, il y a des présidents plus âgés que moi et si vous regardez à l’échelle du monde, ils sont encore plus nombreux. Le dirigeant de la Malaisie a plus de 90 ans. Tant que l’on a les ressources intellectuelles et physiques, je crois qu’il n’y a pas d’âge pour diriger un pays.

Etes-vous inquiet pour l’échéance de 2020 ?

Nous avons de sérieuses appréhensions compte tenu de ce qui s’est passé lors des récentes municipales et régionales (en octobre 2018) où il y a eu morts d’hommes (au moins 5) et trop de violences de la part de ceux qui sont au pouvoir actuellement. La tentation de la tricherie est telle que l’on peut craindre des élections calamiteuses’’. Plus de doute, Henri Konan Bédié a abusé son monde. Et cela depuis l’Appel de Daoukro qu’il disait avoir lancé pour appeler les partis signataires du RHDP à soutenir la candidature de son cadet et ex-allié Alassane Ouattara.

Plus de doute, Bédié a abusé son monde

En voici l’extrait le plus significatif. ‘’A Daoukro, je réitère, de façon plus explicite, ce message que je ferai valider par une Convention jumelée du PDCI-RDA et du RDR au sein du RHDP dont j’assume la Présidence. En attendant, sans trahir les décisions du XIIème Congrès du PDCI-RDA, je donne des orientations fermes pour soutenir ta candidature à l’élection présidentielle prochaine. Je demande à toutes les structures du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire et des partis composant le Rassemblement des Houphouetistes pour la Démocratie et la Paix, de se mettre en mouvement pour faire aboutir ce projet. Tu seras ainsi le candidat unique de ces partis politiques pour l’élection présidentielle de 2015 sans préjudice pour les irréductibles qui voudront se présenter en leur nom propre. L’objectif d’une telle candidature est double : d’abord, assurer le succès du RHDP aux élections de 2015 dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire et de la paix. Ensuite, aboutir à un parti unifié, PDCI-RDR, pour gouverner la Côte d’Ivoire, étant entendu que ces deux partis sauront établir entre eux, l’alternance au pouvoir dès 2020’’, avait-il fait savoir. On ne manquera pas de souligner le mot le plus important de cet appel : ‘’alternance’’. A savoir, l’alternance entre le PDCI-RDA et le RDR, à partir de 2020. Qui pouvait deviner que le principal et unique bénéficiaire de cette alternance serait Henri Konan Bédié lui-même ? Personne, surtout que l’intéressé avait déjà fait savoir à l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique, après la présidentielle 2010, que ce scrutin auquel il était arrivé en 3ème position,  était le dernier pour lui. Las !

Les promesses n’engagent que ceux qui y croient, a dit Laurent Gbagbo. Bédié semble s’inspirer du Woody de Mama. Puisqu’il a totalement oublié cette promesse faite il y 8 ans. Il se bat donc depuis de nombreux mois pour se donner de vraies chances de l’emporter en 2020. Et afin que nul n’en ignore, il n’exclut pas d’être candidat à la candidature à la Convention du PDCI-RDA prévue 6 à 3 mois avant la prochaine présidentielle. Dès lors, le doute n’est plus permis, l’Appel de Daoukro a été acté pour lui permettre de reprendre le pouvoir. Pour preuve, alors que les cadres PDCI, potentiels candidats à la candidature, piaffent d’impatience auprès de lui, Bédié n’a jamais daigné en positionner un seul. Comme s’il ne les voyait pas ! A force, les Jean-Louis Eugène Billon, Thierry Tanoh et autres ont dû mettre leurs ambitions en berne de peur de se faire ‘’couper la tête’’, puisqu’au PDCI-RDA, toute tête qui dépasse est condamnée à être coupée ou ‘’jetée aux orties’’ (cas de Charles Konan Banny, KKB, ….). Visiblement, deus ex machina, au PDCI où il fait et défait les carrières, Bédié ne tolère pas qu’on lui fasse de l’ombre. L’Appel de Daoukro était donc une vaste escroquerie destinée à lui assurer un retour ‘’sécurisé’’ au pouvoir. La perte de ce pouvoir qu’il n’a jamais vraiment digérée. Même s’il assure du contraire.

Ambroise Tiétié

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