Henri Konan Bédié: le géniteur de l’ethno-nationalisme en Côte d’Ivoire.

En une phrase lapidaire «  un Baoulé reste un Baoulé », Henri Konan Bédié  tente pour une énième fois, comme il en a l’art depuis 1990, de détricoter le processus de reconstruction de notre appartenance commune en Côte d’Ivoire, de briser symboliquement les ponts, de fissurer les routes et les voies de communications que le  processus de modernisation de notre société  essaie de rétablir entre les collectivités du territoire afin de rebâtir la Nation.

La cible d’Henri Konan Bédié et de son clan, qui n’ont vu dans le RHDP qu’un instrument  de capture oligarchique et de partage patrimonialiste du pouvoir d’État ivoirien, c’est l’unité politique de la Cité. C’est pourtant bien la nation qui définit, au-delà des appartenances ethniques, la Côte d’Ivoire moderne comme communauté politique nouvelle. L’objectif de sa phrase assassine est de rompre le lien politique qui fonde la société civile comme système autonome conscient de ses intérêts face aux fractions partisanes et aux affairistes politiques assoiffés de domination.

L’instrumentalisation politique de l’ethnicité permet toujours aux classes dominantes de gommer la divergence des intérêts entre dominants et dominés. Les « marxistes » africains qui ne le sont que de nom font  de cette ficelle éculée de la domination un usage immodéré.

Le nationalisme communautaire permet aux acteurs politiques de se définir comme élites lignagères et d’abroger, par ce stratagème, la représentativité sociale des intérêts du plus grand nombre, de la remplacer par une représentativité communautaire. Le nationalisme communautaire, qui n’émane jamais des peuples, est l’arme de protection des intérêts personnels et  ambitions des élites.

L’herméneutique marxiste pourrait nous apprendre qu’Henri Konan Bédié est un milliardaire dominant, un ploutocrate dont les intérêts de classe ne coïncident nullement avec ceux du peuple Baoulé. Cette herméneutique nous dirait que cet homme et l’appareil oligarchique qui l’entoure ont, en tant que catégories dominantes de la société ivoirienne, des intérêts divergents de ceux des paysans et des citadins ordinaires baoulé. Elle nous apprendrait que le nationalisme identitaire et le mythe de l’autochtonie sont une idéologie de classe, que la revendication identitaire est  le camouflage d’une domination de la classe.

L’herméneutique démocratique et libérale nous apprend, quant à elle, que les paysans Baoulé membres de la société civile ivoirienne, sont d’abord des citoyens ressortissants d’une pluralité de catégories socio-professionnelles.

Cette herméneutique nous apprend que l’Ivoirien moderne se définit selon une multiplicité d’appartenances reliées :l’appartenance ethnique, l’appartenance citoyenne et l’appartenance professionnelle pour ne citer qu’elles. Ces appartenances multiples le constituent comme membre à part entière d’une société démocratique et républicaine. Or, Henri Konan Bédié et les identitaires ivoiriens confinent l’Ivoirien dans son appartenance ethnique pour le dissoudre dans la collectivité communautaire dont ils s’estiment les maîtres tutélaires.

Par cette énième phrase, «  un Baoulé reste un Baoulé », Henri Konan Bédié, chef de la fraction identitaire du PDCI, se définit clairement comme ennemi de la République et de la démocratie en Côte d’Ivoire. Il tente de fragmenter la société Ivoirienne afin d’en utiliser des pans pour satisfaire ses ambitions de pouvoir personnel. Il attaque le sentiment d’appartenance commune qui permet à chacun d’entre nous de dépasser son identité ethnique pour se définir avant tout comme citoyen  sous la Loi de la république  et reconnaître l’autre au sein de la cité. Cette phrase agresse de même  la démocratie dont la citoyenneté est l’une des conditions cardinales. Elle injurie notre identité nationale et assaille notre unité politique en reconstruction.

En témoigne, suite à l'intervention d'Henri Konan Bédié en pays Baoulé, cet  échantillon de réactions caractéristiques en guise de commentaire sous un de mes articles de réfutation (cf "Les Ivoiriens: des citoyens avant tout" cedea, février 2019): 

« Professeur j'affirme et avec insistance qu'un baoulé restera un baoulé et point (sic) de se voir transformé en agni ou malinké. Nous ne fuyons pas notre identité ! Qui comprend comprendra ! ».

«  Monsieur le professeur vous pouvez dire ce que vous voulez mais la réalité est belle et bien là. Un baoulé reste baoulé, ne saurait se transformer en un agni ni en un sénoufo. Pourquoi voulez vous que j'oublie qui je suis ? Je suis baoulé avant d'être ivoiriens (sic). »

La phrase d’Henri Konan Bédié a donc été interprétée, par certains Baoulés et par les milieux identitaires ivoiriens qui s’y reconnaissent,  comme un appel à la défense d’une identité ethnique menacée par d’autres peuples de Côte d’Ivoire. Cette phrase, comme tant d’autres appels communautaristes lancés par cet homme, fracture la société nationale ivoirienne. Elle obscurcit chez les Ivoiriens la conscience de citoyenneté qu’avait patiemment bâtie le père de la Nation, Félix Houphouët-Boigny, durant des décennies avant l’éclipse de la raison politique ivoirienne.

 Cette éclipse fut provoquée par les prétentions patrimonialistes  de pouvoir absolu de l’ex- président du parlement ivoirien des années 1990. Cet obscurcissement catastrophique, pour notre unité politique, soulève la problématique pédagogique de la compréhension de ce qu’est la citoyenneté. Le nationalisme identitaire et l’instrumentalisation politique de l’ethnicité doivent être d’abord conjurés par la pédagogie. (A suivre)

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