CPI/Acquittement de Laurent Gbagbo et Blé Goudé : les limites de la justice humaine.

Ambroise Tiétié

Journaliste Professionnel

au Rassemblement.

Les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont rendu une surprenante décision d’acquittement et de libération immédiate de l’ancien président Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, ex-leader de la galaxie patriotique poursuivis, entre autres, pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité. Au grand dam des milliers de victimes de la crise postélectorale.

Après 7 ans d’une procédure aussi éprouvante que fastidieuse, les juges de la CPI ont décidé, le 14 janvier 2019, d’acquitter et de libérer (immédiatement) l’ancien président Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. C’est une décision qui a été diversement appréciée et commentée. En effet, si pour les partisans de l’ancien homme fort d’Abidjan qui ont toujours clamé l’innocence de leur champion, les juges de la CPI ont dit le droit, en revanche, pour les victimes de la crise postélectorale et leurs familles, le verdict de l’institution judiciaire internationale est inacceptable et insupportable, en ce qu’elle consacre l’impunité. Puisqu’elles restent convaincues que les deux hommes sont coupables de ce qui leur est reproché. Une opinion partagée par nombre d’observateurs de la scène politique ivoirienne au fait de ce qui s’est passé pendant la crise postélectorale. De fait, comment ne pas partager l’indignation de ceux qui récusent le verdict de la CPI qui montre très clairement les limites de la justice humaine ?

Comment ne pas partager l’indignation de ceux qui récusent le verdict ?

Faut-il indiquer que cette décision qui ‘’blanchit’’ les deux accusés constitue un déni des violences et des atrocités qui ont marqué cette grande déflagration qui a fait officiellement plus de 3000 morts. C’est comme si les juges de la Cour soutenaient que Gbagbo et Blé n’ont rien fait et ne sont donc responsables de rien pendant cette période trouble de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire. Et pourtant, tous ceux qui ont vécu la crise postélectorale de l’intérieur peuvent en témoigner : Laurent Gbagbo et Blé Goudé ne sont pas ‘’blancs ‘’ comme neige. Il s’en faut ! Commandant en chef des forces ex-loyalistes de par sa position administrative, Laurent Gbagbo ne peut être exonéré de toute responsabilité dans les tueries et autres actes de barbarie perpétrés par lesdites forces. Tout comme il ne peut être blanchi dans les exactions, les débordements et les dérives dont se sont rendus coupables les forces parallèles (‘’jeunes patriotes’’, milices armées, etc.) qui combattaient aux côtés des forces régulières. Quant à Blé Goudé, il était à la pointe des mouvements de soutien au défunt régime. Son activisme fit de lui l’un des hommes les plus puissants du régime Gbagbo. Il étaitd’ailleurs vu comme une sorte de ‘’président bis’’ (ce n’est pas un hasard s’il se retrouve à la CPI avec l’ancien Chef d’Etat).

Comme dans un pas de deux,  les deux hommes régnaient sur la ‘’Côte d’Ivoire utile’’ (l’expression est de Gbagbo). Blé Goudé mobilisait les ‘’jeunes patriotes’’ qui lui étaient dévoués corps et âme et se livraient à toutes sortes d’exactions à son signal. On a souvenance du fameux ‘’article 125’’ (pétrole 100f et boite d’allumettes 25f) dont se servaient les ‘’jeunes patriotes’’ dans la commune de Yopougon où Blé Goudé leur avait publiquement donné l’ordre, pendant la crise,  de s’attaquer à toute personne portant des amulettes ou ‘’gris gris’’. De même qu’il avait ordonné à ses ‘’ouailles’’, en novembre 2004, après la destruction des avions de l’armée ivoirienne par la Force Licorne, de s’attaquer aux véhicules de l’ONUCI.

Au regard de ce qui précède, on peut effectivement s’étonner de la décision d’acquittement prononcée en faveur des détenus. C’est un non sens intégral. Puisque, par cette décision, les juges ‘’lavent’’ Gbagbo et Blé de toute accusation et leur redonne leur liberté. Comme si leur incarcération procédait d’une erreur judiciaire. Or, si c’en était une, il y a longtemps, que la vérité aurait éclaté. Car, on ne peut raisonnablement garder dans les liens de la détention pendant un temps aussi long (7 ans), une ou des personnes innocentes. C’est le lieu de pointer les insuffisances et les ratés du bureau du procureur de la CPI qui a fait défiler à la barre 82 témoins à charge qui ont été, pour la plupart, incapables d’apporter la preuve apodictique des accusations portées contre les deux prévenus. Certains parmi eux ont même donné le sentiment de ne pas savoir ce pour quoi ils étaient devant la Cour. D’autres ont carrément fait les éloges de Laurent Gbagbo présenté comme un humaniste et un homme généreux. D’autres encore ont refusé de témoigner excipant des raisons qui leur sont personnelles.

82 témoins à charge incapables d’apporter les preuves de leurs accusations

Résultat des courses, le prévenu qui devait être confondu a été quasiment ‘’blanchi’’ par ceux qui étaient censés le ‘’couler’’. Ce qui a conforté Laurent Gbagbo lui-même, sa Défense et ses partisans dans la thèse du ‘’complot’’ dont l’ancien président serait ‘’l’innocente victime’’. Le cas le plus emblématique étant celui du témoin Sam l’Africain qui n’a éprouvé aucun scrupule à chanter les louanges de l’accusé Laurent Gbagbo. Au final, celui-ci est apparu aux yeux de nombre de personnes comme une victime. Dès lors que l’Accusation n’a pas réussi à apporter des preuves irréfragables et indiscutables de la culpabilité du détenu Laurent Gbagbo et de son co-accusé, la Défense a eu beau jeu de réclamer leur acquittement. Purement et simplement. Et cette démarche aux allures de poker, a payé. Depuis le 14 janvier 2019, Gbagbo et Blé ont été blanchis de tout ce que le Procureur Fatou Bensouda les accusait. C’est un pied de nez aux victimes et à leurs familles qui attendaient beaucoup de ce procès qui devait, un tant soit peu, leur mettre du baume au cœur, si les deux hommes avaient été condamnés. Las !

En tout état de cause, l’acquittement et la libération de Gbagbo et Blé posent la question de la crédibilité de certaines décisions de justice. Est-ce raisonnable d’acquitter ces deux personnes qui furent d’importants protagonistes de la cruelle pièce que fut la crise postélectorale ? Aux juges de la CPI de répondre. Car, même s’il est admis que le travail du bureau du Procureur a manqué d’efficacité et péché par une certaine légèreté, il n’est pas moins vrai que l’acquittement des susnommés est sujet à caution pour qui connait le dossier. D’autant que n’est pas parce que le bureau du Procureur n’a pas su mener à bien le travail que Gbagbo et Blé sont innocents.

En toute logique, il eut été préférable que la Cour coupât la poire en deux. Soit une libération sous certaines conditions sans acquittement. La libération intervenant après 7 ans aurait été perçue comme justifiée du fait de la longueur de la procédure. Elle aurait aussi été considérée comme un ‘’coup de pouce’’ à la réconciliation qui fait du surplace. Par contre, ils ne peuvent être acquittés pour la bonne et simple raison qu’ils ne sont pas acquittables, pour avoir été au cœur de la violente crise postélectorale. Les acquitter, c’est  tout à la fois  insulter l’intelligence des Ivoiriens, mépriser la douleur des victimes et, enfin,  se moquer des morts de cette crise dont la violence le dispute à l’inanité.

AMBROISE TIETIE

 

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