Zouan-Hounien : les conséquences meurtrières concrètes d’une instrumentalisation politique de l’ethnicité en Côte d’Ivoire.

Partout où l’on instrumentalise politiquement les identités ethniques dans la lutte pour le pouvoir au sein des États multiethniques, le sang finit toujours par couler à flot. L’histoire n’arrête pas de confirmer cette loi comme viennent de le démontrer, de manière prémonitoire, à une échelle réduite, les brutalités et les mutilations intercommunautaires de Zouan-Hounien.

Entre les affrontements inter-communautaires de Zouan-Hounien et le discours ethnonationaliste débridé tenu par  certains acteurs politiques ivoiriens durant ces derniers mois, je vois un rapport de cause à effet. Les violences, les brutalités,  les mutilations et les meurtres commis dans cette localité sont les conséquences concrètes de la remanence de ce discours mortifère mobilisé au niveau politique.

Zouan-Hounien indexe la responsabilité des ethno-nationalistes et des populistes ivoiriens de tout bord qui ont décidé d’instrumentaliser, à nouveau, les communautés et les ethnies dans la lutte pour le pouvoir. Après les épisodes meurtriers des années 2000 jusqu’aux pics ultimement sanglants de la guerre civile de 2010 à 2011, ce nouvel épisode de brutalités intercommunautaires  sonne comme un avertissement à la classe politique ivoirienne.

Dans nos Etat multiethniques, ce discours politique structuré sur les thématiques d’invasion étrangère de peuples « allogènes, « d’autochtones » menacés et aux droits floués, sont potentiellement incendiaires. Ces propos qui incitent à la haine intercommunautaire, sont toujours des appels indirects au meurtre et au séparatisme ethnique.

La macération du discours ethno-nationaliste qui stigmatise des communautés dans le tissu social ivoirien, brise le sentiment d’appartenance commune patiemment tissé au fil des ans par Félix Houphouët-Boigny, entre les identités culturelles du territoire.

Zouan Hounien est le nouvel épisode d’une série  de tueries et de déprédations intercommunautaires symboliques. Ces exactions meurtrières répondent, en écho, au discours communautariste de certains acteurs politiques ivoiriens qui se sont lancés depuis les années 1990 dans une instrumentalisation politique débridée de l’ethnicité dans la lutte pour le pouvoir.

Dans cet affrontement, des ivoiriens se sont définis comme autochtones et ont désigné d’autres ivoiriens comme allogènes. Le principe de responsabilité collective du droit coutumier a prévalu sur le principe de responsabilité individuel du droit positif et le tribunal de la vengeance tribale s'est substitué au tribunal de la justice de l'Etat central dans la réparation des délits. Les coutumes ont prévalu sur le droit positif.

J’interprète ce drame comme un rictus sinistre adressé aux acteurs politiques de la manipulation des identités ethniques qui se battent pour prendre l’Etat central alors même que leurs discours et leurs actions sapent les bases de l’autorité de cet Etat et désintègrent son territoire.

Les protagonistes ont préféré se faire justice selon le principe tribal de la vengeance, spécifique à la loi du Talion « œil pour œil, dent pour dent ». Précédemment, l’exécution du Dr Benoît Dakoury Tabley, les profanations de corps et de tombes durant la gouvernance communautariste du FPI furent les exemples emblématiques de ce règne terrifiant de la loi du sang et de la culture tribale de responsabilité collective.

La « justice » barbare de la folie machettière, instituée en Côte d’Ivoire par une partie de la jeunesse estudiantine ivoirienne que le FPI avait reconvertie en miliciens pour accompagner et protéger sa capture du pouvoir d’Etat dans les années 2000, fait désormais office de justice publique dans une partie du corps social ivoirien.

Constamment mobilisés par certains acteurs politiques, la vision communautariste de la société et le discours de l’allogénie et de l’autochtonie se sont profondément  ancrés dans une partie de la population ivoirienne.

En notre pays, on désigne désormais, le concitoyen par son appartenance ethnique au lieu de le désigner par son nom ou  par son appartenance sociale et professionnelle. «  Un élève d’ethnie Yacouba a été tué par des transporteurs d’ethnie Dioula » écrivent certains comptes rendus médiatiques des origines du drame de Zouan-Hounien.

L’acte individuel d’une personne engage la responsabilité collective d’une communauté. Un meurtre commis par un ou des individus conduit à la culpabilité collective de la communauté à laquelle ils appartiennent, laquelle subit immédiatement des représailles meurtrières de la part de la communauté de la victime.

 Les assauts irresponsables des ethnonationalistes et des populistes ivoiriens ont délibérément ou inconsciemment rompu, à des fins de pouvoir personnel, le pacte républicain ivoirien d’Août 1960. Le sentiment d’appartenance commune qui unissait les Ivoiriens a été détruit et est constamment attaqué à chaque période électorale.

Cette dérive identitaire différentialiste gravissime met en péril la pérennité du corps social ivoirienne. Elle fait saillir  l’urgence de la problématique de la reconstruction de la nation et de la citoyenneté dans notre pays.

Tel me semble être le programme politique majeur  de la majorité RHDP au pouvoir qui entend rebâtir l’unité nationale de la Côte d’Ivoire et reconstruire le sentiment d’appartenance commune  par la modernisation de la société.

Ce n’est pas à un réaménagement technique de la CEI qu’il faut procéder en Côte d’Ivoire pour résoudre la problématique politique du pays. Cette problématique centrale ne se réduit guère à une problématique de partage communautariste du pouvoir.

 Il faut plutôt travailler à rebâtir l’unité nationale de ce peuple culturellement diversifiée, à reconstruire la Nation ivoirienne, à instituer le sens de l’intérêt général et du Bien commun pour asseoir durablement, l’efficience de la CEI, la stabilité politique et la paix civile dans notre pays. Il faut s’efforcer, par l’éducation et par l’exemplarité politique, à dépasser le principe de la solidarité communautaire fondé sur le sang, par le principe démocratique de la responsabilité sociale fondé sur la citoyenneté.

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