Un chef de parlement peut-il être candidat à une élection présidentielle dans une démocratie pluraliste ?

Nous devons  fonder en raison la politique démocratique en nos États. Il faut conformer les institutions du régime de démocratie républicaine pluraliste à leur rôle fonctionnel. La concordance des institutions de ce régime à leur fonction et à leur esprit respectifs est la condition de l’émancipation multiforme des peuples, dont la démocratie pluraliste porte la promesse.  Son objet ultime est de permettre à la diversité sociale de coexister dans la reconnaissance et le respect réciproque des différences, d’accorder les particularismes culturels  et l’unité de la loi dans l’Etat central moderne, de réconcilier les intérêts particuliers et l’intérêt général, d’articuler les polarités divergentes d’égalité  et de liberté, d’investissement et de redistribution pour promouvoir l'émancipation de la diversité sociale.

 Les institutions démocratiques sont des outils fonctionnels qui permettent de résoudre cette problématique sous la condition de la séparation des pouvoirs et des systèmes dans ce régime.

 Le dévoiement de ces institutions et le déficit de fondation rationnelle et programmatique de l’affrontement politique démocratique portent dans leurs flancs la violence, l’instabilité politique et la désintégration sociale. Ils contrecarrent les efforts de développement économique et provoquent le blocage et la régression historiques.  Il nous faut donc fonder en raison notre politique démocratique et en respecter les règles écrites et non écrites.

Du point de vue de l’éthique démocratique, la candidature d’un chef du parlement à la direction de l’exécutif entrerait en conflit avec le principe de la séparation des pouvoirs. Le chef de cette institution ne saurait de même, dans l’exercice de ses fonctions, entrer en  concurrence électorale contre le candidat du parti majoritaire qu’il représente à l’Assemblée Nationale.

Déroger à cette règle non écrite de l’éthique démocratique, c’est se mettre en porte à faux avec l’esprit du régime de la souveraineté du peuple. Le chef  de parlement qui franchirait ce rubicond dans l’exercice de ses fonctions de médiateur entre la société civile et l’Etat,  pourrait difficilement revendiquer le statut et la qualité de démocrate.

Dans un régime de démocratie pluraliste, le chef du parlement doit, par principe,  s’interdire de collaborer à la gestion du pays et de concurrencer le parti majoritaire en se portant candidat à une élection présidentielle.

 En ce régime, la société politique, dont le parlement est le cœur, est séparée de la société civile et de l’État. Elle  se tient à équidistance de ces deux systèmes. Son rôle est de réguler la société de moyen des lois pour les articuler.

Le propos d’Alain Touraine, l’un des maîtres de la sociologie politique sur ce rôle fonctionnel  du système politique en démocratie pluraliste, est clair.  « Le système politique et son institution centrale le parlement, ne doit pas avoir pour fonction principale de collaborer à la gestion du pays ou d’être  un vivier dans lequel se forment les hommes d’Etat ».

Certes, la constitution des démocraties de parti unique a souvent fait du chef du parlement le dauphin constitutionnel du Président de la République, chargé d’assurer l’intérim en cas d’empêchement de ce dernier. Cette confusion du législatif et de l’exécutif était inhérente à l’esprit du régime de parti-Etat. Elle devient, par principe, illégitime dans les démocraties pluralistes en raison du principe de séparation des systèmes et des pouvoirs. Elle contrevient à l’esprit du régime.

 Il en est ainsi en démocratie pluraliste parce que le parlement médiatise la société civile et l’État  à travers l’activité de législation. Il réconcilie à travers la loi  la diversité des intérêts contradictoires et divergents des acteurs sociaux qui s’affrontent dans la société civile.

Le rôle principal du système politique, dont le parlement est le lieu central, est «  de faire et de modifier la loi pour qu’elle corresponde à l’état de l’opinion publique et des intérêts ». C’est en cela que le système politique  est le cœur et plus exactement le lieu de la démocratie. Le chef du parlement est chargé de l’incarner symboliquement dans l’activité de législation qui constitue son attribution principale. Il ne saurait abandonner son pupitre de gardien de l’impartialité de la loi pour descendre dans l’arène des affrontements partisans.

Une conception exigeante et non démagogique de la réconciliation de la société la représente comme résultant de l’efficience de l’activité de législation. La réconciliation des parties séparées et divisées de la société s’effectue à travers la loi.  La résolution des conflits politiques et sociaux s’effectue à travers l’application de la loi. C’est en légiférant au sein de l'Assemblée nationale que le chef du parlement accomplit son office de réconciliation. Il ne l’accomplit pas en descendant du pupitre du parlement pour officier en qualité de candidat à la direction de l’exécutif ou à travers la posture d’un chef d’État.

La désertion de  ce rôle de médiateur de la société civile et de l’État  trahit  une incapacité à garantir la démocratie pluraliste dans un pays. Elle symbolise la confusion des pouvoirs propre aux autocraties. Elle blesse l’esprit du régime. Elle  traduit une vision autocratique de la démocratie qui relève du modèle du parti-État. Le franchissement insigne de cette règle non-écrite témoigne d’une déficience de culture démocratique.

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