Les contenus symboliques des procès Hissène Habré, Laurent et Simone Gbagbo.

 

Sous quelle condition le procès Habré pourrait-il devenir normatif. 2ème Partie.

Savoir interpréter les signes pour pouvoir avancer dans l’Histoire.

Le procès Habré  à Dakar est riche en symboles. Il importe de les interpréter et de les porter à la conscience. Le jugement et l’emprisonnement à perpétuité des dictateurs africains par des tribunaux internationaux africains ou étrangers à compétence universelle symbolise la révocation judiciaire du passé politique calamiteux de l’Afrique. L’arrêt pénal d’emprisonnement à perpétuité requis contre Hissène Habré est une condamnation judiciaire du modèle politique dont il fut l’incarnation emblématique. En Afrique,  l’oppression des peuples par l’Etat et par son chef est désormais devenue définitivement illégale. Les arrêts pénaux de perpétuité requis contre les bourreaux politiques des peuples entretiennent, sous cette perspective, une certaine analogie avec la condamnation à mort du despotisme par la révolution française. On coupe, symboliquement avec la guillotine judiciaire,  la tête des cerbères dévoreurs qui tenaient les peuples sous leur joug sanglant dans des Etat-Hadès. Les peines de perpétuité infligées à ces cerbères signifient la révocation judiciaire de l’Etat infernal, de l’Etat-tueur. Elles initient symboliquement la renaissance démocratique du continent.

 A travers le verdict de perpétuité demandé par les Tribunaux pénaux pour Charles Taylor hier, pour Hissène Habré aujourd’hui, et bientôt pour Laurent et Simone Gbagbo  ainsi que leur complice Blé Goudé, nous osons l’espérer, le crime et l’irresponsabilité politiques sont judiciairement  condamnés à la tête des Etats africains. Comme Charles Taylor et Hissène Habré, Laurent et Simone Gbagbo incarnent le crime politique et l’inhumanité. A ce péché mortel et à ce défaut rédhibitoire du dirigeant et du responsable politique, ces trois derniers ajoutent l’irresponsabilité politique. Hissène Habré, Blé Goudé, Laurent et Simone Gbagbo ne se reconnaissent politiquement responsables d’aucun crime malgré les milliers de mort et les horrifiantes atrocités qui furent perpétrées dans les Etats qu’ils dirigeaient. Leur  condamnation judiciaire pénale est le châtiment pénal de cet habitus d’irresponsabilité des chefs d’Etats et des dirigeants politiques de l’Afrique du passé. Tout dirigeant ou responsable politique normalement constitué assume politiquement, de par sa fonction, la responsabilité des actes de déprédations politiques gravissimes qui se commettent en son Etat ou dans son ministère quand bien même il n’en serait pas l’auteur direct. Ce principe de la gouvernance politique explique les démissions volontaires ou contraintes des chefs d’Etat, des ministres et des hauts magistrats  dans les démocraties.

La peine d’emprisonnement à perpétuité requise contre le dictateur Tchadien Hissène Habré, est aussi symboliquement prononcée contre l’habitus de complicité active qu’entretiennent de nombreux dirigeants africains avec des puissances étrangères dans le pillage du continent. Ce message judiciaire a été verbalement porté au monde entier par Hissène Habré lui-même à travers le tonitruant « A bas la françafrique » par lequel il a accueilli sa condamnation. Le « A bas la françafrique » lancé par Hissène ne doit pas être interprété comme étant un message de contestation  adressé au Tribunal. C’est un lapsus linguae. Hissène Habré s’adresse au  système et aux réseaux de prédation dont il fut le serviteur impitoyable au Tchad. En lançant au Tribunal cet aveu de l’inconscient, Hissène Habré proclame explicitement la légalité judiciaire de l’arrêt pénal qui le frappe. Le mutisme d’Hissène Habré durant son procès n’était pas un mutisme de dénégation. Il s’est tu parce qu’il n’avait rien à dire car ses justifications étaient de dérisoires ratiocinations. Aucun déterminisme temporel n’annule la responsabilité irréductible de l’homme comme libre acteur de l’histoire. Les avocats de la Défense  qui en appellent au déterminisme, aux influences extérieures, aux circonstances, pour récuser les arguments de l’Accusation dans un Tribunal pénal judiciaire, le savent plus que quiconque. Le « A bas la françafrique » de Hissène Habré, la dénonciation de « la françafrique » et du néocolonialisme par Blé Goudé, par Laurent et Simone Gbagbo est un lapsus dénonçant leur propre complicité active dans le système de prédation politique qu’ils font mine de récuser.

Une investigation herméneutique et critique de ce discours victimaire y décèle la reconnaissance mezza voce d’une complicité criminelle. Le déni de Hissène Habré, de Blé Goudé, de Laurent et de Simone Gbagbo véhicule, à leur corps défendant, le message de leur aveu. Ils consentent à la condamnation judiciaire pénale de la logique de prédation qu’ils aidèrent à ancrer et à perpétuer en Afrique au prix des pires crimes qui puissent être commis sur terre : les crimes contre l’humanité. Ils participèrent activement, en tant que maillons essentiels de réseaux idéologiques affairistes et politiques  concurrents, en tant que pions serviles de la « françafrique de droite » ou de la « françafrique de gauche », de la « chinafrique » ou de la « russafrique », au pillage en règle du continent dans des Etats spécifiques, taillés sur mesure. Ils furent les officiants impitoyables et inhumains, d’Etats construits pour être les antithèses absolues de l’Etat normal c’est-à-dire de l’Etat-protecteur et de l’Etat-providence organisateurs de la solidarité publique qui permet d’accomplir le bonheur des hommes. La puissance publique qu’ils incarnèrent fut des celle des affects et des pulsions primaires. Chefs et responsables politiques d’Etats dictatoriaux enivrés par le sang des peuples et par le feu des armes de guerre, Hissène Habré, Blé Goudé, Laurent et Simone Gbagbo furent les officiants  suprêmes de formes politiques chargées de réaliser sur terre, la promesse de l’ange des Enfers. Ils accomplirent la promesse infernale du malheur dans des Etats-tueurs dédiés qui furent les représentants terrestres de l’Hadès, les contraires radicaux de l’Etat protecteur et de l’Etat-providence.

La révolution démocratique qui doit s’accomplir effectivement par la révolution intérieure des mentalités et par la réforme des mœurs, par la conversion des esprits et des sensibilités aux valeurs démocratiques, est destinée à expulser ces figures politiques temporelles du Hadès. Les arrêts pénaux des tribunaux à compétence universelle contre les bourreaux des peuples initient symboliquement, en Afrique, une nouvelle temporalité judiciaire démocratique. Ils consacrent, sur le continent africain, l’avènement du temps politique et éthique de la Liberté incarné par l’Etat démocratique. Il importe désormais aux peuples africains de lui donner quotidiennement du contenu par des actes et des engagements démocratiques citoyens,  individuels et collectifs. (A suivre)

 

 

 

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