Sous quelle condition le procès Habré peut-il être normatif en Afrique? 1ère Partie

 

En Afrique Noire, le procès Habré et son verdict deviendront normatifs si l’état de nature juridique qui continue de régenter, dans le fond, les rapports entre les Etats et les sociétés civiles cède le pas à un état juridico-civile et politique. Ils feront jurisprudence si des Etats substantiellement démocratiques remplacent les Etats-tueurs, les Etats-dévoreurs, les Etats-geôliers et les Etats-ogres dont Hissène Habré et un certain nombre de ses pareils, qui ont jusque-là échappé au glaive impartial de la Justice sont les incarnations vivantes. La dynamique de la démocratisation des Etats, inaugurée par l’Esprit du Temps dans les années 1980, laisse espérer qu’il en sera ainsi. Aux peuples africains animés par une conscience et par des valeurs démocratiques, la prédation politique apparaîtra de plus en plus comme un scandale absolu intolérable qui doit tomber nécessairement sous le coup de la Loi pénale et non plus comme un habitus politique tolérable.

 La prépondérance contextuelle actuelle de la lettre de la démocratie sur son esprit, des procédures sur les valeurs démocratiques, prépondérance qui a permis à l’oligarchie politique de l’ANC de sauver la tête de Jacob Zuma en Afrique du Sud, sera à terme supplantée par les exigences de l’esprit de la Démocratie. Cette prépondérance de la lettre de la démocratie sera battue en brèche par l’Esprit du temps démocratique. Le procès de Hissène Habré et son verdict deviendront un procès normatif si, au-delà de la démocratie procédurale, s’institue en Afrique une démocratie substantielle animée par des convictions démocratiques. Le sursaut politique et la dynamique qui mènent à cette réalisation de la démocratie substantielle est déjà amorcée par les peuples et les sociétés civiles africaines. Mr Souleymane Guengueng, le citoyen Tchadien sans l’obstination duquel le procès Hissène n’aurait pas eu lieu, et un peu partout les héros anonymes qui se battent pour faire rendre gorge judiciairement aux despotes et aux dictateurs, sont les chevilles ouvrières symboliques de cette nouvelle société civile africaine politisée à jour de la conscience de ses valeurs et de ses intérêts. Les voiles des vaisseaux de ce combat démocratique  des peuples sont gonflés par l’Esprit irrésistible du Temps de la Liberté qui transforme en autant de parades dérisoires, les obstacles dressés par les autocraties et les oligarchies sur le chemin de la démocratie.

Pour hâter,  dans  l’Afrique des temps nouveaux, la réalisation temporelle de cet esprit de la démocratie, il faut que s’institue et s’affermisse, dans les sociétés africaines et au niveau des Etats, une culture démocratique fondée sur la réappropriation subjective individuelle et collective des valeurs démocratiques. Cette culture démocratique se diffuse déjà dans le corps des sociétés africaines. Ces valeurs démocratiques pourraient se transformer en convictions subjectives des individus et des collectivités africaines. Elles pourraient alors modifier qualitativement le cours de l’histoire africaine si des personnages charismatiques et des élites en grand nombre parvenaient à incarner les idéaux de Liberté, d’Egalité, de citoyenneté et de Fraternité dans des conduites exemplaires. Cette force galvanochimique de l’Exemplarité est indispensable à la conversion démocratique des sociétés africaines. Elle se donne à voir, à travers des cas particuliers, dans les situations historiques qui déterminent l’avenir du continent. Les juges africains qui viennent de condamner, au Sénégal, un bourreau des peuples africains illustrent  l’idée du Juge démocratique, du  gardien impartiale et incorruptible de la Justice, du serviteur de Loi qui permet de médiatiser le particulier et le général dans la cité. Certes, en Afrique Noire, l’Esprit irrésistible du Temps démocratique pousse inéluctablement à l’avènement de l’Etat démocratique en lieu et place de l’Etat tueur, de l’Etat dévorateur, de l’Etat-ogre, de l’Etat-geôlier. Cet avènement inéluctable  doit   être néanmoins facilité par la multiplication de l’Exemplarité. Le coup de pouce décisif de la liberté, qui s’empare des valeurs pour initier un nouveau commencement historique, s’avère indispensable. La démocratie substantielle n’est pas l’enfant du déterminisme historique. Elle se réalise lorsque les valeurs démocratiques sont réappropriées et partagées en commun, autant par les membres de la société que par ses dirigeants, et deviennent des convictions individuelles et collectives. La démocratie substantielle est l’enfant de la volonté démocratique des peuples. Elle naît de l’action décisoire de leur liberté.  Cette prépondérance des valeurs démocratiques institue une culture démocratique qui porte et soutient l’Etat démocratique. L’Etat démocratique est un Etat éthico-politique animé par la foi dans la liberté, l’Egalité, la limitation du pouvoir par les droits de l’Homme. Ces valeurs de Religion civile s’organisent dans le culte républicain. Cette Religion civile sacralise la dignité des hommes, les droits individuels et collectifs,  l’autonomie de la société et de ses membres. Elle fait de l’Etat leur serviteur. Elle n’envisage le gouvernement des hommes que sous la forme de la défense de leur sécurité, de la protection de leur liberté et du service de leur bien-être. Elle ne définit l’Etat que sous la forme d’un Etat protecteur, d’un Etat providence ou d’un Etat minimal, à l’écoute des besoins et des droits de la société.  C’est par cette médiation que peuvent être définitivement abrogés en Afrique Noire, l’Etat-tueur, l’Etat-ogre, l’Etat prédateur et ses démembrements administratifs, civils, sécuritaires, militaires et judiciaires.

La condamnation de Hissène  Habré par un tribunal africain, siégeant sous compétence universelle, symbolise la fin de l’impunité judiciaire des serviteurs- fossiles de l’Etat-ogre en état de décomposition avancée sur le continent africain. Les récentes bravades électorales des représentants de cette engeance fossile  ne doivent pas faire illusion. Battant en brèche le projet juridictionnel du protocole de Malabo, qui fut symboliquement ourdi dans la Guinée Equatoriale du dictateur Teodoro Obiang N’guema Mbasogo pour garantir l’immunité des chefs d’Etats et de gouvernements africains, l’Exemplarité contestatrice du procès Habré à Dakar réserve le dernier mot aux peuples. (A suivre)

 

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