Le mot du Premier Ministre Kablan Duncan et la question des responsabilités du personnel politique ivoirien.

En démocratie « les partis au pouvoir doivent gérer le pouvoir et l'opposition doit s'opposer »

Monsieur Pascal Affi N’guessan, le président du FPI, n'a pas présenté sa candidature à la magistrature suprême de l’Etat ivoirien en vue de participer au gouvernement en cas de défaite à l’élection présidentielle. Il l’a fait en tant que candidat d’un parti d’opposition désireux de gagner l’élection pour  prendre le gouvernement afin de mettre en œuvre le programme politique qui était le sien et celui de son parti.

L’absence du FPI au gouvernement, absence que d’aucuns tentent de présenter implicitement comme une cruelle désillusion infligée à un concurrent par un adversaire retors, s’explique par le strict respect des règles de jeu de la démocratie électorale. En démocratie électorale représentative, le parti qui obtient la majorité du vote lors d'une élection présidentielle, prend le gouvernement en vue de gérer le pouvoir du peuple dans le sens des aspirations fondamentales et des intérêts supérieurs de ce peuple. Minoritaires, ses concurrents exercent leur part du pouvoir politique en contrôlant le gouvernement,  en critiquant ses actions de manière constructive.

 Sous cette perspective, le premier ministre Kablan Duncan ne fait que rappeler un principe démocratique. Dire qu’en démocratie « les partis au pouvoir doivent gérer le pouvoir et l'opposition doit s'opposer », c’est appeler les  équipes de l'échiquier politique ivoirien à jouer activement leurs rôles respectifs,  à accomplir leurs devoirs réciproques dans le jeu démocratique. La phrase du 1er ministre véhicule donc un message politique clair. Après une l’élection présidentielle, le pouvoir démocratique est exercé de manière concomitante par le gouvernement et l’opposition  sous deux modalités complémentaires. La gestion du pouvoir du peuple est la tâche du gouvernement issu du parti majoritaire. La critique de cette gestion est la partition de  l’opposition politique qui revient au parti minoritaire.

L’opposition démocratique est donc l’arc-boutant du gouvernement dans la structure architectonique de la démocratie. Elle en permet le fonctionnement. En pressant, lorsque les circonstances, les partis d’opposition de jouer leur partition dans les règles de l’art, le  gouvernement élu par le peuple ne sollicite pas sa légitimité de la part de ses adversaires. En s’opposant politiquement au gouvernement un parti d’opposition ne lui accorde aucune légitimité, l’octroi de la légitimité  étant la prérogative exclusive du peuple. Cette répartition claire  des rôles dans la division du travail politique laisse voir  qu’un parti politique vaincu à une élection présidentielle ne peut pas déserter ce rôle nécessaire d’opposition en guise de représailles contre le gouvernement. Identifier la synergie du gouvernement et de l’opposition  en démocratie à un marchandage  est s’inscrire dans un schéma partitocratique, en contradiction avec la démocratie. En démocratie le parti majoritaire et le parti minoritaire exercent ensemble le pouvoir sous la modalité du gouvernement de l’Etat par le premier et sous celle de la critique de ce gouvernement par le second.

Gérer le pouvoir en tant que gouvernement et critiquer la gestion du pouvoir en tant qu’opposition politique, c’est exercer ensemble  le pouvoir en tant que mandataires du peuple. Ce n’est en être ni le détenteur, ni le propriétaire. Le pouvoir démocratique ne se partage au sens où il est la propriété exclusive du peuple souverain. Pouvoir inaliénable du peuple souverain, le pouvoir démocratique est donc inappropriable par le gouvernement et par l’opposition. C’est un espace symbolique de service public de l’intérêt général et du bien commun national par les acteurs politiques.

En démocratie, l’opposition n’a donc pas vocation à participer à la gestion du pouvoir. Il ne saurait donc participer au gouvernement. Il a vocation à exercer son devoir politique, lequel consiste à mettre en question la gestion du pouvoir par le gouvernement, à le contrôler à la lumière des intérêts supérieures  de la nation et selon les valeurs cardinales de la République et de la démocratie. En quoi consiste donc la tâche d’opposition politique comme exercice d’un mandat populaire ?

En démocratie la légitimité de l’opposition, en tant que minorité électorale, fait  dialectiquement écho à la légitimité du gouvernement, en tant majorité électorale. La légitimité de l’opposition ne se construit donc guère sur la proclamation partisane continuelle de l’illégitimité du gouvernement. Elle se construit au contraire sur la reconnaissance inconditionnelle de cette légitimité, sur la critique rationnelle et argumentée des actes gouvernementaux qu’appelle cette légitimité.

L’activité d’opposition n’est donc ni une activité de critique compulsive, ni une activité de dénigrement et de ridiculisation du gouvernement. L’opposition politique en démocratie repose pour cela nécessairement sur la base d’un choix idéologique clair, d’un programme politique et d’un contre-projet politique républicain explicite. Ce socle est la condition sine qua non qui rend possible une critique légitime systématique et rationnelle des actes du gouvernement. S’opposer démocratiquement au gouvernement consiste, dans ce cas, à mettre  en question sa compétence dans la gestion du pouvoir, à relever les failles de sa gouvernance, à interroger la pertinence de ses choix au moyen d’une critique politique professionnelle fondée sur des expertises. La raison d’être d’une opposition politique partisane en démocratie est donc de présenter à la critique du peuple un programme et un choix politique alternatifs pour fonder l’alternance du pouvoir.

La remarque du premier Ministre Kablan Ducan met donc le personnel politique ivoirien au pied du mur de ses attributions respectives et de ses responsabilités devant le peuple. Cette remarque appelle nécessairement la question suivante : le gouvernement gouverne-t-il effectivement comme il se doit en démocratie? Les partis d'opposition s'opposent-ils effectivement au gouvernement selon les principes et réquisits de la République et de la Démocratie comme ils le doivent au peuple ? (A suivre)

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