Le défi civique de l’élite intellectuelle et politique ivoirienne.

L'élite intellectuelle et politique ivoirienne se doit de relever un défi civique afin d'apaiser l'élection présidentielle 2020. Elle doit remplacer, à court et long terme, l'affrontement des personnes, les attaques ad-hominem et la compétition des injures par l'affrontement des projets sociétaux et des programmes, par la compétition des représentations divergentes du bien commun. Elle doit élever le niveau du débat public et répondre à la demande populaire d’argumentation et de clarification conceptuelle des enjeux de la lutte politique et de la compétition pour l’exercice du pouvoir d’Etat. C’est à cette condition que la souveraineté du peuple se traduit concrètement dans les urnes.

La vie démocratique implique nécessairement l’existence d’un forum ouvert de débats substantiels sur les grandes questions sociétales avant que les électeurs ne tranchent dans les urnes. Ce débat substantiel  éclaire le choix des électeurs.

L'allure où vont les choses dans notre pays n'incite pas à l'optimisme. On est revenu manifestement au registre de l'affrontement personnalisé et à l'excitation des affects primaires après une plongée déshonorante dans la mare infecte des insultes et des grossièretés verbales.

 Ne pourrait-on pas alors parler de démission volontaire  d’une grande partie de l’élite ivoirienne ?

Elle devrait travailler à arracher l'affrontement politique ivoirien à l'ornière de la personnalisation afin de jouer son rôle d'acteur du changement social. La démocratie ivoirienne est emprisonnée dans cette ornière parce qu'une grande partie de cette élite s'est définie comme élite lignagère au lieu de se définir comme élite citoyenne soucieuse de préserver la République.

Comme en témoigne son appétence actuelle pour le modèle de la royauté et des chefferies traditionnelles, une grande partie de l'élite politique ivoirienne  a décidé de rejeter la représentativité sociale de l'élu au profit de la représentativité communautaire qui assure ses intérêts particuliers de classe. Elle a décidé de fonder sa légitimité politique sur les langues vernaculaires du terroir, d’utiliser les coutumes contre la Loi de la République et les principes du régime de démocratie pluralistes. Elle réduit le discours politique à la stigmatisation de l’Autre, à la simplicité des slogans et des signaux qui parlent aux affects et aux émotions. La profusion de ces panneaux propagandistes qui envahissent les réseaux sociaux dans un objectif manifeste de manipulation mentale est le signe caractéristique d'une coupable abdication intellectuelle et politique.

La scénographie emblématique du champ de la compétition politique ivoirienne est celle du culte de la personnalité. Elle présente des acteurs qui exposent leurs personnes entourées de leurs militants fanatisés, font l’impasse sur leur programme économique politique et social, communiquent par signaux sibyllins, entretiennent ouvertement un rapport clientéliste avec les électorats en utilisant de manière cynique le mensonge  dans un langage sommaire.

L’apriori contestable selon lequel le régime des slogans et des propos sommaires conviendrait au peuple cacherait-il un consensus implicite de maintenir au plus bas niveau la conscience collective, d’entretenir la conscience tribale des masses en vue de garantir un objectif commun de domination ?

Cet abaissement, dont la personnalisation de la lutte politique est le symptôme, ne garantit-il pas la prise du pouvoir par des acteurs politiques qui ne poursuivent que des intérêts personnels ou particuliers ? Ne favorise-t-il pas l’instrumentalisation politique de l’ethnicité ? Ne fait-il pas le lit du populisme et du nationalisme identitaire si contraires à la défense des intérêts sociaux du plus grand nombre que la démocratie représentative permet de garantir quand elle fonctionne selon son esprit et sa substance ?  

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