Réflexion critique sur le débat télévisé « Qu’est-ce qui divise les houphouëtistes ? »

Deux représentations antinomiques de la société, de la nation et de l’État et plusieurs quiproquos divisent les houphouëtistes. En cette scission intérieure, s’affrontent une conscience fausse et une conscience objective de l’houphouëtisme. Refonder réflexivement dans l’esprit de l’houphouëtisme l’action politique de la famille qui s’en réclame est une médiation nécessaire et vitale. Cette réflexivité continue permet de renforcer contre la conscience fausse, la conscience objective dont dépend la durabilité historique du programme houphouëtiste.

Ce qui divise les houphouëtistes en premier lieu,  c’est la dérive identitaire d’une partie du PDCI-RDA. Le point de friction qui scinde intérieurement la famille politique houphouëtiste est le rejet du nationalisme libéral de centre-droit de Félix Houphouët-Boigny par une partie de cette famille au profit d’un nationalisme ethnique d’extrême-droite.  En 1994, le RDR naquit de la réaction à cette dérive identitaire qui heurtait frontalement le programme sociétal de l’houphouëtisme.

 Le nationalisme libéral de Félix Houphouët-Boigny portait une définition citoyenne de la nation et de l’Etat. L’ethno-nationalisme de cette partie du PDCI-RDA  porte, au contraire, une définition ethnique de la nation et de l’Etat fondée sur l’autochtonie.

Cette redéfinition ethnique de la nation dans les années 1990 a ébranlé  les fondations de la République en Côte d’Ivoire. Elle a mis le pouvoir politique ivoirien en porte à faux avec le tissu sociologique du pays.  Elle a fait le lit du nationalisme identitaire et du populisme. Elle a favorisé la prise du pouvoir en 2000  par un parti nationalitaire et sectaire anti-républicain qui a mis en œuvre un programme d’homogénéisation ethnique de la société par la ségrégation, l’exclusion et le meurtre de masse.

 Ce qui divise les houphouëtistes, en second lieu, est le quiproquo sur le sens et la fonction du RHDP.

Certains houphouëtistes se représentèrent, dès sa naissance, le RHDP comme un dispositif de pouvoir dévolu aux ambitions personnelles et aux intérêts particuliers des dirigeants partisans. Le RHDP est, pour eux, un dispositif de partage oligarchique du pouvoir d’Etat. D’autres se le représentèrent comme  un front républicain construit pour reconquérir et conserver le pouvoir d’Etat afin de rétablir la République, restaurer le centrisme, la citoyenneté et le programme  d’intégration nationale.

Ce qui divise en troisième lieu, les houphouëtistes, ce sont deux représentations antinomiques  de la société et de l’État. Pour certains houphouëtistes, la société ivoirienne doit être restructurée selon un modèle d’homogénéité communautaire et ethnique. Le pouvoir d’Etat doit être détenu par des « autochtones ». Ils rejettent pour cela l’altérité et tiennent le discours de la défense identitaire, de la lutte de libération nationale des autochtones contre une invasion étrangère. Pour d’autres houphouëtistes, par contre, l’hétérogénéité originelle de la société ivoirienne doit être raffermie. Ils estiment qu’il faut construire l’unité politique de la diversité des ethnies et des confessions du territoire, en les rassemblant dans une nation citoyenne. Ils se représentent l’État comme un défenseur de la République et un agent d’intégration nationale.

Les  houphouëtistes ethno-nationalistes et anti-républicains, qui conçoivent les coalitions comme des instruments circonstanciels de capture personnelle et de partage oligarchique du pouvoir d’État, rejettent alors le RHDP en sa formule de parti unifié au profit d’une plate-forme instrumentale adaptée à cette fin oligarchique. Ils voient, dans la formule du parti unifié, un dispositif anti-houphouëtiste. Assignant par contre au RHDP une fonction de garantie politique  du programme républicain et démocratique d’unité citoyenne et d’intégration nationale, leurs adversaires défendent contre vents et marées, la formule du parti unifié. Ils y voient un dispositif qui assure la pérennité du programme et du projet sociétal de Félix Houphouët-Boigny.

Comme programme politique, l’Houphouëtisme, rappelons-le, consiste à unifier la diversité des ethnies dans la citoyenneté et à réaliser l’intégration nationale de cette diversité par la modernisation économique. Comme philosophie politique, les valeurs de fraternité, de respect de l’altérité, de la dignité humaine, de dialogue, de compromis en sont la superstructure idéologique.

Ce qui divise les houphouëtistes, ce sont donc deux représentations antinomiques de la société de la nation et de l’Etat où s’affrontent une conscience fausse et une conscience objective. Les ethno-nationalistes, qui en appellent à une redéfinition ethnique de la société et de l’État et rejettent, en conséquence, le RHDP, sont en porte-à-faux avec l’esprit et le programme houphouëtiste. Ce sont des anti-houphouëtistes qui semblent s’ignorer. Ils incarnent la conscience fausse de l’houphouëtisme.

 Ceux qui, au sein de la famille houphouëtiste, défendent la République et mettent en œuvre le programme d’intégration nationale, voyant dans le RHDP parti unifié son véhicule politique, sont les garants historiques de l’Houphouëtisme. Ils en incarnent la conscience objective.

Refonder réflexivement, dans l’esprit de l’houphouëtisme, l’action politique de la famille qui s’en réclame est, néanmoins, la nécessaire médiation  permettant de renforcer cette conscience objective, dont dépend la durabilité historique du programme houphouëtiste.

Il ne me semble pas que le régime de mobilisation, le rejet de la réflexion, la réduction du débat politique aux débats procéduraux et à l’affrontement des postures, suffisent à garantir cette durabilité dans les combats titanesques qui s’annoncent en Côte d’Ivoire en vue de la présidentielle 2020.

 

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