Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié sont-ils réconciliables ?

La problématique de la réconciliation Alassane Ouattara/ Henri Konan Bédié n'est pas personnelle. Elle est politique et a trait à la conciliation de visions manifestement antinomiques.

La réconciliation de ces deux visions dépend d’un acte de liberté interne qui modifie un choix comme je le montre dans la dernière partie de cette contribution. Elle doit être scellée dans l’alliance normative volontariste de l’identité ethnique et de la rationalité économique qui définit l’houphouëtisme et représente le fondement du consensus politique ivoirien. Cette alliance est une valeur. Elle est le creuset de l’unité politique de notre pays.

Avant le tournant identitaire, Henri Konan Bédié incarna avec Alassane Ouattara, le symbole vivant de cette alliance. ( Cf. « L’alliance politique Henri Konan Bédié/Alassane Ouattara, schème historique de l’Houphouëtsme ». Cedea.net, Mars 2018).

Le tournant identitaire des années 1990 rompit cette alliance. Cédant aux tentations mortelles de l’hubris du pouvoir, Henri Konan Bédié et un certain nombre d’acteurs politiques au PDCI-RDA choisirent d’opposer l’identité ethnique à la rationalité économique et définirent cette dernière comme une menace contre l’intégrité de l’identité ethnique.

Dans une cohérence de choix, Henri Konan Bédié, chef de fil de ce courant, revient depuis 2018 à ses vieux démons identitaires. Estimant avoir été trompé, selon lui, dans son droit de récupérer le pouvoir d’État après avoir consenti à ce qu’Alassane Ouattara l’exerce durant une décennie, il mobilise à nouveau l'identité ethnique contre la citoyenneté  pour tenter de le reconquérir.

 Il semble, de ce point de vue, que la raison d’être du RHDP ne fut pas interprétée de la même manière par les deux chefs politiques. (Cf : « L’alliance Bédié/Ouattara en Décembre 2010 : une alliance sur fond de quiproquo. Cedea.net, Octobre 2018).

Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié incarnent donc deux visions divergentes de la Côte d’Ivoire et deux conceptions opposées du pouvoir. Leurs discours, leurs actions et leurs prises de positions respectives justifient cette induction.

Henri Konan Bédié incarne la vision d'une Côte d'Ivoire anti-républicaine, autochtonisée et ethniquement fragmentée d'après ce qui ressort de son discours, de ses actions et de ses prises de positions dont les dernières sont les plus emblématiques.

Alassane Ouattara incarne, au contraire, d'après ce qui ressort de son discours, de ses actions et de ses prises de positions, la vision d'une Côte d'Ivoire républicaine et démocratique unie dans la citoyenneté et respectueuse de la diversité culturelle.

Henri Konan Bédié est animé par une conception royaliste et patrimonialiste du pouvoir politique. Le pouvoir d’État est selon Bédié une propriété personnelle et un héritage familial. Le parti est destiné à en garantir la possession, la conservation et la pérennité.

Alassane Ouattara  est, au contraire, animé par une conception républicaine et démocratique du pouvoir politique. Le pouvoir d’État est, selon Alassane, un service public et un moyen d’intégration nationale et de modernisation économique. Le parti est l’instrument opérationnel de ce projet

Ces deux visions de la Côte d’Ivoire et ces deux conceptions du pouvoir politiques sont antinomiques.

Réconcilier ces deux visions me paraît difficile.

Elle serait possible à condition qu’Henri Konan Bédié révoque l'ethnonationalisme pour le nationalisme libéral houphouëtien. Ce nationalisme libéral est caractérisé par l'alliance entre identité culturelle et rationalité moderne, entre tradition et modernité incarné par le RHDP dans un front républicain.

Henri Konan Bédié, c'est le PDCI de Daoukro. Ce PDCI ethnonationaliste  n'est pas le PDCI-RDA démocratique et républicain  en lequel se reconnaît la majorité de l'électorat du parti comme l’ont démontré les élections locales d'octobre 2018.

Le PDCI-RDA est partie- prenante du RHDP et ne s'est pas "mis à la disposition du RDR" qui est aussi partie prenante de ce front républicain comme le sont d'autres partis ivoiriens dont les chefs n'utilisent pas l'expression patrimonialiste de "mise à disposition".

La problématique de l’affrontement Henri Konan Bedié\Alassane Ouattara, de ces deux chefs politiques que ne sépare aucune inimitié personnelle, est la problématique du conflit de visions politiques opposées et divergentes.

La réconciliation de ces visions antinomiques qui sont des choix délibérés, des déterminations de la volonté personnelle d'acteurs politiques, ne saurait provenir de tiers.

Cette réconciliation n’est pas externe. Elle est interne. C’est le fait d’une action autonome, d’une pression de la volonté humaine sur elle-même qui transmute un choix personnel. Elle résulte d’un usage interne de la liberté par lequel une personne triomphe moralement d’elle-même ou décide pragmatiquement de modifier un choix antérieur pour s’inscrire dans la logique et la rationalité d’un système ou d’une institution.

Le célèbre journaliste et écrivain ivoirien Venance Konan est, en Côte d’Ivoire, l’exemple de cette conversion interne. Les tiers ne peuvent être que des incitateurs. Leur intervention n’est nullement décisive.

Il appartient à Henri Konan Bédié et à lui seul, d’opérer en lui-même la conversion de la volonté lui permettant de s’inscrire dans la forme politique normative constitutive de la Côte d’Ivoire dont il s’est écarté : l’alliance pérenne de l’identité ethnique et de la rationalité, de la tradition et de la modernité.

 

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