Le problème du débat idéologique dans la Côte d’Ivoire préélectorale de 2014

Dans la Côte d’Ivoire pré-électorale de 2014, les divers candidats aux élections de 2015 sont déjà, presque tous, peu ou prou,  en position de course, dans les starting-blocks, prêts à s’élancer pour emporter la victoire. Les appareils des partis se réaménagent, des coalitions se forment. Des stratégies instrumentales de conquête ou de reconquête du pouvoir sont élaborées, comme cela doit être de mise dans une démocratie. Ce consensus des partis politiques, portant sur la conquête électorale du Pouvoir gouvernemental, est un signe patent de la vitalité de la démocratie ivoirienne et de la responsabilité des élites politiques ivoiriennes.

Or, la démocratie exige aussi qu’une dimension substantielle, portant sur ses valeurs éthiques et morales  et sur les idéologies laïques de la modernité,   s’ajoute à la dimension procédurale. Les stratégies partisanes de prise électorale du gouvernement de l’État doivent reposer sur des projets de société clairement déclinés et pédagogiquement expliqués aux populations. Les électeurs doivent pouvoir choisir et départager les candidats à l’exercice de la responsabilité suprême, sur la base de la connaissance des différentes conceptions du bien commun, soutenues par les postulants, et des voies respectives qu’ils proposent pour défendre et servir l’intérêt général

On demeure cependant sur notre faim quant à cette exigence qui constitue la substance de l’activité politique des partis en démocratie ! En démocrate-libéral républicain, le candidat du parti actuel au pouvoir allie, en une sorte de keynésianisme, une politique de promotion de la liberté d’entreprise à une politique de gestion, de régulation et d’arbitrage institutionnels des intérêts en mariant l’investissement et la redistribution pour tenter de répondre aux besoins concrets des populations afin d’espérer emporter leurs suffrages. Cette praxis devrait être complétée par une théorie explicative portant sur la nature du libéralisme qui est mis en œuvre en Côte d’Ivoire, et les raisons justificatives profondes des choix opérés. On attend aussi, de la part des oppositions ivoiriennes, les choix idéologiques et les productions d’expertise qui contrediraient la pertinence de la voie choisie par le gouvernement. Les timides tentatives de recentrage de l’affrontement politique, sur les idéologies et les projets de société, qui se sont amorcées ces derniers temps gagneraient  à être soutenues, encouragées et approfondies ! Le débat politique national doit être recentré sur les idéologies, les valeurs et les diverses conceptions du vivre-ensemble républicain.

Ainsi, la décision du RPC d’Henriette Lagou, qui prône un centrisme humaniste fondé sur la réconciliation des idéologies de droite et de gauche, et qui se propose d’élaborer un projet de société alternatif, constitué par «l’alliance entre le capital et le social», est remarquable. La solution du chef du Lider, qui se polarise sur la reconstitution de la Commission électorale indépendante, sur la refonte des listes électorales, et qui soutient que la réconciliation véritable passe par des élections transparentes et apaisées, fait moins espérer, dans la mesure où elle semble réduire le problème politique ivoirien à la dimension procédurale de la démocratie. Elle doit donc être nécessairement complétée par une réorientation de son attention sur la dimension substantielle de la démocratie constituée par les valeurs et les idéologies.

Les partis politiques qui semblent avoir choisi un libéralisme dérégulé, ayant pour horizon la réalisation d’une société de marché intégrale en Côte d’Ivoire, devraient l’assumer clairement et en expliciter les linéaments et la pertinence aux populations. Les tenants d’un nationalisme ethnique, ceux d’un socialisme révolutionnaire, d’un radicalisme de droite ou de gauche, ceux d’un écologisme, d’un républicanisme conservateur, d’un républicanisme libéral progressiste, d’un social-libéralisme, ou même d’un animisme démocratique à inventer, doivent décliner clairement leurs valeurs idéologiques et les projets de sociétés afférents pour provoquer le débat et la discussion républicaine qui éclairent les choix populaires !

Est-ce, en effet, sombrer dans un delirium tremens que d’imaginer la Côte d’Ivoire démocratique animée par des conférences, des débats d’idées mêlant les partis politiques et les diverses organisations de la société civile dans une confrontation idéologique républicaine destinée à penser le bien commun la citoyenneté, la coexistence de la diversité et les voies idoines de l’émancipation collective? Est-ce fantasmer que d’imaginer la Côte d’Ivoire revitalisée par une réappropriation partisane et populaire des idéologies laïques de la modernité, destinée concevoir la nation, à restructurer le présent et l’avenir économique social et politique de la Côte d’Ivoire, dans une démocratie participative concrétisée par des engagements individuels et partisans républicains? Cet impératif politique national doit être satisfait en impliquant la totalité du corps social, dans le débat idéologique, sous l’impulsion des forces porteuses de démocratie que sont les intellectuels et les médias

Alléguerait-on que les idéologies laïques dont nous avons héritées par le biais de la colonisation sont incapables de répondre aux besoins spécifiques endogènes de nos sociétés africaines ? Il faudrait alors, dans ce cas, produire les idéologies politiques sociales et économiques endogènes qui solliciteraient l’adhésion des peuples et organiseraient le vivre ensemble républicain de la diversité dans les sociétés modernes africaines!

La démocratie ne saurait, en effet, se réduire aux dénominations partisanes vides, aux sigles ronflants, aux manœuvres de conquête ou de reconquête du pouvoir et à l’électoralisme. Elle doit s’actualiser dans le débat éducatif des idées, qui donne du contenu à l’affrontement politique démocratique. La démocratie se fonde aussi sur l’assomption des idéologies par les élites et les partis politiques. Cette assomption personnelle et collective se traduit par des convictions que matérialisent des praxis qui nourrissent des controverses. Car ces débats éclairent les peuples sur les différentes conceptions de l’intérêt général et du bien commun que chacun des partis propose aux peuples.

Par cet éclairement réflexif de la conscience populaire, grâce à la définition du bien public et à l’indication des voies contradictoires de sa réalisation, les choix électoraux peuvent être opérés par les peuples. De cette manière on met effectivement le peuple en puissance, on institue véritablement sa souveraineté en Afrique dans la mesure où on lui permet de connaître les codes et de donner son suffrage dans la pleine conscience du Bien commun et des choix politiques partisans qui sont censés y conduire. Le peuple est alors, effectivement, le lieu du pouvoir parce qu’il choisit ses représentants et ses dirigeants selon le critère de la représentation politique de ses intérêts souverains en se réservant le choix de les destituer aux élections lorsqu’ils trahissent leurs promesses électorales et déçoivent ses attentes.

Quand on occulte, cette dimension substantielle de la démocratie au profit exclusif de la dimension procédurale, cette réduction de la démocratie à l’électoralisme et aux stratégies partisanes de prise du gouvernement, n’est rien de plus qu’une stratégie d’expropriation du peuple par les élites politiques et leurs partis qui entretiennent la confusion et dissimulent les codes et les finalités, s’en réservant l’usage pour sauvegarder leurs intérêts privés. C’est une escroquerie politique. La privatisation de l’État par les élites politiques et leurs diverses clientèles s’exprime toujours sous la modalité de cet électoralisme sans substance.

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