A quand le renouvellement politique africain ?

La problématique du renouvellement du paysage politique des démocraties occidentales est une problématique d’historicité. Elle a trait  à la capacité d’une société d'engager  les changements structurels requis par sa situation historique et par les transformations de son environnement. Elle a trait à l’aptitude de ses élites à élaborer de nouvelles valeurs et à inventer de nouveaux projets sociétaux qui permettent à la collectivité d’exister dans son temps. Elle porte sur la disposition de ses acteurs politiques à remettre en question l’ordre établi et les statuts acquis, à engager, de manière volontariste, les modifications institutionnelles nécessaires qui permettent de rompre avec les logiques du passé, d’initier un nouveau commencement politique dans un sens progressiste.

L’esprit du mouvement de recomposition volontariste de l’espace politique dans les démocraties européennes est d’améliorer, de manière progressiste, le système partisan national dans le contexte de la transformation transnationale de l’économie mondiale. Dans ce nouveau contexte, le problème politique cardinal concernant l’unification et la représentation de la pluralité sociale est repensé. Le problème de la relation entre l’unité et la multiplicité, entre l’identité et la différence, entre la généralité et la particularité est reconsidéré sous une nouvelle perspective.

A ce titre, le clivage politique gauche/droite est réinterrogé sous une perspective d’inclusion. La vieille antinomie entre socialisme et libéralisme est interpellée. La formule social-démocrate est remise en question. De nouvelles formules politiques partisanes, telles le socialisme libéral et le libéralisme social, le centralisme, l’économie verte, sont expérimentées. La prétention des extrêmes à apporter, dans leur radicalisme, la solution aux problèmes politiques d’un monde désormais globalisé et interdépendant est remise en question. Une nouvelle formule de la Nation et de la République est redéfinie.

D’un point de vue formel, cet impératif d’historicité amène à interroger la capacité des acteurs politiques africains à initier de manière volontariste les transformations politiques requises par l’esprit du temps pour répondre aux besoins de liberté et d’égalité des peuples. Cet impératif demande de mettre en question la politique effective menée jusqu’à nos jours par les partis africains dits de gauche et de droite dans leurs Etats.

Les acteurs politiques africains ont-ils effectivement rempli leurs offices conformément aux devoirs politiques imposés par leurs obédiences respectives? Sont-ils parvenus à bâtir une nation citoyenne inclusive constituée par l’unification de la pluralité sociale, fondée sur le respect et l’intégration des différences et des particularismes? Ont-ils su promouvoir le respect et le service de l’intérêt  général et du bien commun ? Les partis africains de gauche ont-ils menés des politiques effectives de gauche ? Les partis africains de droite ont-ils mené des politiques effectives de droite ? Les partis politiques d’obédience socialistes ont-ils mené des politiques sociales ? Les partis politiques africains d’obédience libérale ont-ils mené des politiques libérales ? Les socialistes africains ont-ils défendu l’égalité entendue comme identité des personnes relativement aux droits fondamentaux ? Les libéraux africains ont-ils défendu la liberté entendue comme autonomie irréductible de la personne ? Les partis socialistes africains ont-ils représenté et défendu les intérêts des couches les plus fragiles de la société ? Les partis libéraux africains ont-ils représenté et défendu les intérêts et les valeurs de l’entreprise et de ses acteurs ? Les socialistes africains sont-ils parvenus à engager une politique de redistribution du produit national et à améliorer les conditions de vie du plus grand nombre ? Les libéraux africains ont-ils promu l’investissement, et l’entreprenariat, le développement des talents et l’initiative personnelle ? Ont-ils, conformément à l’esprit du libéralisme, protégé la concurrence en interdisant le monopole et la captation privée des marchés publics? Sont-ils parvenu à accroître l’efficience des entreprises, à promouvoir l’investissement et la production, à développer la richesse nationale? 

La réponse à toutes ces questions est négative. Le tissu social et économique africain est caractérisé par la pauvreté massive quasi endémique du plus grand nombre, par l’indigence des infrastructures, par la dualisation et l’exclusion sociales, par la monopolisation oligarchique du grand-commerce par les classes politiques. Le tissu politique africain est caractérisé par le maintien de la tutelle du haut sur le bas, par le renforcement de la domination d’inamovibles oligarchies politiques. On constate une dynamique inertielle – où les transformations historiques sont plutôt des ajustements structurels réactionnaires du système – qui permet de conserver le statut quo  ante de la domination endogène postcoloniale.

Les socialistes et les libéraux africains ne sont pas parvenus à respecter les programmes politiques et les projets sociétaux imposés par leurs obédiences idéologiques respectives. Fusionnant avec l’Etat, durant l’époque des partis uniques, et utilisant la société comme ressource politique dans une forme partitocratique à l’ère de la démocratie, les partis politiques africains, toutes obédiences confondues, ont abdiqué. Le passif colonial et le maintien des infrastructures et des rapports néocoloniaux de domination communément invoqués pour expliquer cette abdication, est une manœuvre dilatoire. Elle sert à dissimuler les participations locales aux politiques de prédation.

La problématique politique centrale en Afrique est donc de révoquer de manière volontaire la logique de prédation et la formule coloniale d’Etat patrimonial. Elle est de faire naître, chez les acteurs politiques africains, la volonté de liberté interne qui permet de résilier politiquement l’ancien système de domination et de prédation endogène postcolonial qui perdure. Elle est, aujourd’hui, de donner corps aux décisions individuelles et collectives qui permettront de régénérer la démocratie, de restructurer de manière volontariste la vie politique partisane en Afrique afin de résoudre politiquement les problèmes sociaux et économiques posés par la nouvelle ère historique.

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