Les leçons de la chute de Marine Le Pen au débat télévisé de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle 2017.

Le match attendu, la confrontation des programmes et des projets sociétaux entre Marine Lepen et Emmmanuel Macron le mercredi 3 Mai dernier, n’a pas eu lieu. Et pour cause : Marine Le Pen la candidate du Front National a été incapable de dérouler le moindre programme politique et économique viable et cohérent, le moindre projet de société explicite. Le dos au mur, du fait de cette incapacité foncière, elle s’est livrée à l’invective, aux tentatives de diffamation de son adversaire, à la stigmatisation du « système » incarné selon elle par ce dernier. Sur la scène du débat public télévisé couvert par ses jacasseries et ses ricanements à gorge déployée, Marine Le Pen, tel un chauffard ivre, a violemment heurté les glissières de sécurité, et dérapé en plusieurs tonneaux dans le décor, blessant les téléspectateurs. Cette sortie de route stupéfiante de la candidate du Front National qui avait su donner le change jusqu’à cette épreuve fatidique du débat télévisé de l’entre-deux-tours soulève donc de graves questions.

Comment une Marine Le Pen, si évidemment creuse au plan économique et politique, a-t-elle pu faire illusion durant une dizaine d’années sur la scène politique française ? Comment la passionaria volcanique du Front National notoirement identitaire a-t-elle pu tromper l’opinion publique française durant dix ans au moyen d’une stratégie de dédiabolisation qui puait le souffre ? Aurait-elle pu faire illusion et accéder au deuxième tour de l’élection présidentielle si sa vacuité politique n’avait pas été comblée par la démission politique et morale de certains dirigeants des partis de gouvernement ? Marine Le Pen aurait-elle pu prendre du poids politique si elle n’avait pas été légitimée par le discours identitaire et par le populisme anti-système purement cynique de certains acteurs politiques ? La candidate du Front National aurait-elle pu gagner en crédibilité aux yeux d’une frange de plus en plus importante de l’électorat français si son populisme n’avait pas été crédibilisé par le populisme concurrent de certaines factions de la droite du gouvernement qui préférèrent, depuis 2007, rechercher, dans la thématique de la défense de l’identité nationale, les solutions aux problèmes sociaux posés par la globalisation économique ?

 Outre les causes économiques constamment évoquées, il faut rechercher, au niveau politique, les causes déterminantes de l’ascension de Marine Le Pen. Plus que les causes matérielles qui ne font que l’influencer, le cours de l’histoire est déterminé par les choix librement opérés par les acteurs dans des situations données. La fulgurante ascension de Marine Le Pen fut déterminée  par la crise du consensus républicain qui mina la démocratie française après la fin de la gouvernance de Jacques Chirac. L’audience de Marine Le Pen s’est accrue en France du fait de la démission irresponsable des partis de gouvernement et de leurs dirigeants qui désertèrent le centre, et les valeurs de la République et de la démocratie, au profit du populisme, des radicalismes idéologiques et des extrémismes. Ces derniers mettent toujours en péril la démocratie et la République.

D’un point de vue subjectif, l’accès de la candidate du Front National au deuxième tour de l’élection présidentielle fut la conséquence de la démission morale et éthique d’une grande partie de la classe politique française, démission qui caractérisa le premier tour de l’élection présidentielle. D’un point de vue objectif, la montée en puissance de Marine Le Pen résulta de la confusion du discours politique et de l’atonie du débat rationnel et argumenté. Le magma informe de la parole populiste offrit un abri protecteur à la carence programmatique et la faiblesse politique et économique de Marine Le Pen. Elle permit à son projet nationaliste mortifère fondé sur la stigmatisation, le clivage et la désignation de bouc-émissaires, de paraître comme une alternative crédible aux victimes de la globalisation économique dérégulée.

Pour transformer la marée montante du Front National en étiage permanent afin de sauvegarder la démocratie française, il faut remplacer la politique du cynisme, du dénigrement et de la stigmatisation de l’adversaire qui définit le visage actuel de la politique française, par une politique du respect, de la confrontation argumentée et des propositions. Il faut substituer à la politique d’invectives et d’imprécations, une politique d’interpellation et de discussion rationnelle argumentée. Il faut substituer à politique de la destruction et de la table rase, une politique de construction et d’émulation. A la politique guerrière, qui désigne le concurrent politique comme un ennemi à abattre, il faut substituer une politique compétitive, qui le désigne comme un adversaire au programme différent. Pour soumettre le nationalisme à un étiage définitif en France il faut, d’un point de vue politique, substituer à la politique antidémocratique actuelle de stigmatisation, d’invectives et d’exclusion de l’adversaire politique, une politique de sa reconnaissance et de son inclusion qui redonne toute sa place au forum démocratique du débat argumenté. Ce forum, qui développe la raison publique et qui remet à l’honneur le discours rationnel et la responsabilité politique, est un tamis de sélection qui élimine impitoyablement les démagogues et les imposteurs.

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