En Afrique, la revendication identitaire en matière de démocratie est un discours idéologique de classe.

democratiepar3L’argument défensif, communément avancé, pour expliquer la récurrence des crises politiques africaines est la suivante : La démocratie constitutionnelle électorale moderne serait incompatible avec les réalités sociologiques des Etats africains. Il conviendrait donc de remplacer ce modèle, dit importé, par une démocratie endogène, autrement dit par les démocraties des sociétés holistes du passé africain. Cet argument est-il recevable ? Quel est en effet le principe cardinal de la démocratie constitutionnelle électorale moderne ?

Ce principe est que le pouvoir soit limité par les droits naturels fondamentaux  de la personne et des collectivités. Autrement dit, en démocratie, la finalité du pouvoir est de garantir aux citoyens les libertés individuels et les libertés politiques. Les citoyens d’un Etat démocratique doivent pouvoir se déplacer, acquérir des biens, jouir de la liberté de conscience. Le pouvoir exécutif démocratique est donc réduit à des tâches de protection des citoyens. Il ne doit pas décider des lois qui régissent la société et ne doit pas intervenir arbitrairement contre elles car la souveraineté démocratique réside dans la Nation et non dans l’Etat. Il faut donc contrôler le pouvoir démocratique par un parlement indépendant qui fait les lois et par une Cour Constitutionnelle qui contrôle la constitutionnalité de ces lois.

 En raison de ces exigences fondamentales, les dirigeants sont, en démocratie, choisis au moyen du suffrage universel qui permet aux citoyens de sélectionner eux-mêmes leurs élus, de leur imposer un mandat impératif avec la possibilité de les révoquer immédiatement dès lors qu’ils s’en détournent.

Le logiciel fonctionnel et institutionnel de la démocratie électorale constitutionnel est donc élaboré pour que le pouvoir s’exerce en vue de représenter et de servir effectivement la société, de satisfaire  les besoins vitaux des peuples, de répondre  aux demandes de liberté et d’égalité des citoyens.

Peut-on, alors, soutenir que l’Afrique Noire aurait une spécificité culturelle et sociologique telle que la démocratie électorale constitutionnelle moderne y serait inadaptée ? Pour contester cette interprétation fallacieuse, est-il besoin  de rappeler que les démocraties précoloniales africaines étaient,  elles-aussi,  structurées pour garantir la société contre l’arbitraire du pouvoir ? Encadrés par des contre-pouvoirs représentés par les classes nobiliaires,  les rois et empereurs africains précoloniaux étaient constitutionnellement contrôlés. Contraints d’apprendre la divination sous la tutelle du devin, ils étaient tenus d’exercer le pouvoir temporel dans les limites strictes fixées par les lois ancestrales qui  garantissaient le service de la société par l’Etat.

Le principe de la limitation du pouvoir, du service de la société par serait donc un universel reliant les démocraties précoloniales africaines d’hier et la démocratie constitutionnelle moderne d’aujourd’hui.

Cette identité formelle du modèle précolonial de démocratie et du modèle moderne bat en brèche la revendication d’autochtonie en matière de démocratie. Elle est de surcroît appuyée par l’universalité des demandes formulées par les sociétés africaines de nos jours. Ces demandes portent sur le besoin d’égalité, de liberté individuelle et collective, de satisfaction des besoins vitaux par les Etats.

En Afrique, il m’a été donné de constater, sur le terrain, qu’au plan social et politique les populations expriment un besoin de liberté individuelle et collective, d’autonomie personnelle, d’égalité, de sécurité, de contemplation,  de coexistence des altérités, de reconnaissance réciproque, de participation politique et plus exactement de participation aux décisions politiques qui déterminent leur vie. Au plan économique,  il m’a été donné de constater  que les forces sociales africaines veulent s’inscrire pleinement dans l’économie de marché. Elles expriment un besoin de travail productif, d’entreprise, de libération de leur génie créateur, un besoin de consommation, de loisir.

Les catégories sociales africaines attendent donc des partis  politiques qu’ils soient effectivement leurs mandataires, qu’ils représentent et servent leurs intérêts, soient les traducteurs politiques de leurs aspirations, élaborent leurs offres à partir des demandes formulées par la société. Elles attendent de l’Etat, une protection de leur intégrité physique et morale, une défense de l’intérêt général de la société et un service du bien public.

Il apparaît alors que  l’appel à la restauration des formes politiques du passé est un discours idéologique de classe en déphasage avec  la réalité historique, en contradiction avec les demandes et les aspirations concrètes des populations africaines. Formulée par les catégories dirigeantes et non par les peuples, la revendication d’autochtonie en matière de démocratie, l’appel récurrent aux démocraties holistiques du passé est un écran de fumée qui permet de repousser la demande populaire de représentativité démocratique du pouvoir. Cet appel permet de rejeter l’exigence démocratique de contrôle du pouvoir par la société,  de sa limitation par les droits naturels des individus et des collectivités. Il permet à certains hommes politiques africains de se délier des fondamentaux des régimes politiques et des obédiences idéologiques de la modernité politique dont ils se réclament : la République, la Démocratie électorale constitutionnelle, le Libéralisme, le Socialisme. Ce rejet institue un vide idéologique, une confusion et une perte de repère qui favorise toutes les impostures. Il permet à l’égo des dirigeants politiques africains d’occuper l’espace publique. Il permet de personnaliser de débat politique et de transformer la lutte politique en affrontement des egos, en lutte pour la confiscation du pouvoir.

La revendication identitaire en matière de démocratie est donc le discours idéologique d’une catégorie sociale dominante. Il sert à camoufler la passion prédatrice de certains groupes dirigeants. Au pire, ce passéisme est une solution de facilité qui dévoile l’incapacité de certaines classes politiques africaines à s’adapter aux exigences du monde moderne, à accepter d’opérer la révolution mentale et les transformations institutionnelles qui permettraient de servir les besoins vitaux des peuples et de répondre à leur demande de liberté et d’égalité.

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