La contestation électorale en Afrique Noire. Les raisons profondes du phénomène. (1ère partie)

En Afrique noire à l’ère de la démocratie, rares sont les élections présidentielles dont le résultat n’est pas contesté par le perdant et où ce dernier félicite, avec un fair-play démocratique,  le vainqueur. Les cas récents du Nigeria ou du Sénégal sont les exceptions qui confirment la règle. La contestation du résultat des Présidentielles est devenue un rituel. Les élections présidentielles africaines sont encore souvent régies par une volonté d’exclusion et elles opposent des forces politiques locales prêtes à en découdre. Des intervenants extérieurs, souvent Occidentaux, pressent les partis politiques locaux de renoncer à la voie de la contestation du résultat des urnes par la rue. Ils leur conseillent, expressément,  d'emprunter la voie des recours judiciaires. Cette solution de sagesse démocratique n’amène  cependant pas  les perdants à consentir à la légitimité électorale du vainqueur même lorsque le processus électoral est validé par les institutions de régulation et de surveillance nationales et  internationales des élections.  

 Loin d’être anecdotique, le rituel de la contestation électorale trahit donc un refus des règles du jeu de la démocratie et plus profondément du suffrage universel  par les acteurs politiques africains. Ces derniers continuent encore  de se considérer comme les maîtres et les propriétaires de la société. Au lieu de concourir à l’expression de la volonté générale et à la formation de l’intérêt général, les partis politiques africains en revendiquent le monopole. Encore animé par l’esprit de la lutte indépendantiste et anticolonialiste qui prétendit être le combat d’un peuple uni derrière un parti politique et son leader charismatique contre des envahisseurs étrangers, chaque parti africain estime représenter le peuple en sa totalité. Or à l’ère de la démocratie « le peuple comme totalité pris au singulier est introuvable » comme le souligne Pierre Rosanvallon. « Loin de former un bloc, dont une unanimité livrerait le secret substantiel, il est une puissance que nul ne peut seul posséder ou prétendre incarner ». S’octroyant, a priori, la majorité électorale en dépit de cette évidence, chaque parti politique s’attribue donc  la victoire  à  l’élection présidentielle,  même lorsque sa campagne électorale ou sa gouvernance fut calamiteuse.

  Bâties autour des thématiques de la revendication identitaire, et bien souvent constituées de promesses électorales démagogiques, les campagnes électorales des partis d’opposition africains sont déconnectées du réel socio-historique d’une Afrique qui a changé. Un tel discours politique est caractéristique d’une classe politique qui méconnaît la capacité de l’électorat africain de nos jours à comprendre les enjeux électoraux et se représenter rationnellement et pragmatiquement ses intérêts de classes au-delà des appartenances ethniques et confessionnelles. En Afrique Noire, les partis au pouvoir partagent avec ceux de l’opposition ce syndrome des autocraties du passé qui conduit les acteurs politiques africains à se penser propriétaires absolus d’un pouvoir d’Etat qu’ils pensent  être  encore en capacité de s’octroyer, à peu de frais, au moyen de promesses démagogiques sans avoir répondu concrètement aux besoins des populations.

Au-delà des causes matérielles telles l’arriération des infrastructures, l’inachèvement des listes électorales, la fiabilité des recensements, la contestation partisane automatique du résultat des présidentielles africaines par les perdants s’explique donc par des causes psychologiques et politiques. Cette contestation est d’abord provoquée par la persistance d’une mentalité du soupçon générée par la tradition de la fraude électorale qu’avaient instituée les autocraties. Cette contestation est aussi causée par la tradition de compétition féroce des élites pour la prise d’un pouvoir d’Etat qui est encore considéré comme un moyen de domination, de prébende et d’enrichissement personnel. La cause politique de la contestation partisane du résultat de l’élection Présidentielle à l’ère du multipartisme est, quant à elle, relative à la persistance de la culture autocratique de subordination de la société au pouvoir politique.

Comme au temps des autocraties et des dictatures du passé, l’idée persiste chez les élites politiques africaines que le peuple ne choisit pas ses dirigeants. Ce sont les maîtres du Pouvoir qui se choisissent eux-mêmes et qui imposent aux peuples leurs dirigeants. La victoire et la défaite électorale doivent donc être décidées par les partis politiques et non par les peuples parce que les peuples en sont les instruments. En Afrique noire, les partis politiques considèrent encore  la société comme étant leur ressource politique. Ils ne se la représentent pas comme  étant le maître absolu auquel ils doivent se soumettre et dont ils doivent traduire les besoins et représenter les intérêts au niveau politique. Sous des prétextes divers, le refus du résultat  des urnes, par les partis politiques  est une récusation du choix des peuples  par des appareils politiques qui veulent imposer aux peuples leurs propres choix partisans en fonction de leurs intérêts particuliers circonstanciels.

En Afrique noire la contestation électorale est l’acte politique symbolique d'appareils partisans qui aspirent chacun à son niveau à monopoliser l’expression de la volonté générale, à incarner l’intérêt général, à en être le dépositaire. En démocratie électorale-représentative, la fonction institutionnelle des partis politiques est au contraire, tout simplement, d’agréger et de relayer au niveau politique,  les choix diversifiées de la société qui contribuent à exprimer la volonté générale et à former  l’intérêt général. Ce refus politique rituel de la déclaration, émanée des urnes, de la volonté générale des peuples,  fait donc système avec l'habitus de dissimulation des programmes politiques et de camouflage des identités partisanes qui permettent aux partis politiques de contrôler, de bout en bout ,les processus électoraux en Afrique. (A suivre)

<>

Les commentaires sont fermés