Le deal Laurent Gbagbo-Mamadou Koulibaly. Autopsie d’une faillite et d’un naufrage (1ère partie)

La synthèse échouée du socialisme et du libéralisme en Côte d’Ivoire.

En Côte d’Ivoire l’expérience du socialisme a tourné court. Le renversement de l’aile dure du parti dans le populisme et l’ethnicisme constitue la dernière expression en date de cet inaccomplissement. Cette métamorphose est la manifestation symptomatique d’une des tares congénitales qui condamnaient l’obédience ivoirienne à échouer dans dans le projet politique généreux qui présida à sa naissance.

Le FPI procédait, en effet, au départ d’une idée, a priori, séduisante, car porteuse d’un projet politique avant-gardiste. Ce parti politique est né de l’ambition de marier en Côte d’Ivoire, le socialisme au libéralisme pour donner naissance à un social libéralisme que devraient incarner ses deux figures charismatiques, Laurent Gbagbo et Mamadou Koulibaly. L’objectif politique de ce syncrétisme idéologique était de travailler à l’émancipation politique, sociale et économique simultanée des catégories populaires et des élites ivoiriennes dans le cadre de la République et de la Démocratie. Ce projet nationaliste, qui se voulait en même temps modernisateur, ambitionnait d’être en Côte d’Ivoire l’artisan d’un développement endogène qui devait permettre de briser la dépendance.

Au terme d’une lutte politique sans concession, la prise du pouvoir d’Etat par le FPI fut cependant caractérisée par la remise en question du contrat social Républicain qui unissait auparavant la diversité des peuples ivoiriens dans un sentiment de similarité, d’égalité et de confraternité citoyenne. Les dix années de la gouvernance du FPI furent marquées par une politique active d’exclusion, de discrimination et de division sociale, de corruption et de pillage du trésor public, de prédation et de terreur, de répression et de massacres. Le projet de libération et d’émancipation de départ s’était renversé au final en projet de domination et d’oppression.

Renvoyé dans l’opposition lors de la Présidentielle de Décembre 2010, au terme d’une défaite électorale qu’il avait refusé d’accepter plongeant par ce fait le pays dans une guerre civile meurtrière, le FPI a omis de se soumettre à l’aggiornamento qui devait lui permettre de se reconstruire dans une opposition républicaine. Son aile extrémiste, incarnée par la tendance Aboudramane Sangaré, s’est durcie dans le nationalisme ethnique et s’est engagée dans une opposition calamiteuse qui réduit maintenant  son action politique au boycott électoral  et aux manœuvres de déstabilisation de la  République et de la Démocratie. Le projet de ce FPI  est maintenant d’abattre en Côte d’Ivoire la République et la Démocratie au profit d’un Etat communautaire dirigé par une coalition de cadres  ethniques unis au sein de la CNC.

A la tête de Liberté pour la Démocratie et la République (LIDER), un pur euphémisme, quand on sait que le chef de ce parti  lutte et prône le boycott de la Présidentielle pour obtenir une reforme ethniciste de la Loi Fondamentale et du code et  électoral contre les  principes et valeurs de la République et de la démocratie libérale,  Mamadou Koulibaly est maintenant le défenseur et le héraut d’un libéralisme à préférence nationale. Le projet politique de Mamadou Koulibaly, qui ambitionnait de réaliser en Côte d’Ivoire un libéralisme économique articulé au libéralisme politique des droits de l’homme, foule maintenant du pied les valeurs de liberté et d’égalité. Le chef du LIDER,  l’anticolonialiste qui portait son anticapitalisme comme une cocarde, recherche maintenant éperdument, en pleine contradiction avec son orientation nationale,  une alliance avec le capitalisme international et avec les systèmes de pouvoir du marché  naguère tant décriés.

Au final, le socialisme internationaliste dont se revendiquait Laurent Gbagbo a donc dérivé dans un socialisme de type nationaliste. Son révolutionnarisme a basculé dans le populisme et le communautarisme xénophobe. Réaliser, dans cette perspective révolutionnariste, une démocratie réelle en lieu et place de la démocratie formelle, « camouflage de la domination de classe  d’une minorité compradore à la solde de l’impérialisme occidental étranger » selon le vocable de l’époque, appelait, en effet, à construire en Côte d’Ivoire un pouvoir de classe qui se voulait représentatif du peuple ivoirien considéré  comme une catégorie sociale homogène. Au-delà de la catégorie sociale hétérogène et diversifiée des paysans, des ruraux et du lumpenprolétariat des villes, ce groupe social homogène du terroir, dont le pouvoir FPI se voulait  l’incarnation politique, s’est avéré être le groupe ethnique, la catégorie sociale des autochtones. La démocratie réelle, contenue dans le socialisme révolutionnaire du FPI, était nécessairement une démocratie communautaire. Au terme des métamorphoses successives du parti, cette figure ultime qui est la vérité du parti s’est révélée dans la figure du FPI tendance Abdoudramane Sangaré. Le LIDER de Mamadou Koulibaly qui, avec « son libéralisme à préférence nationale », s’adresse à la catégorie sociale d’un patronat autochtone, est le versant contraposé de ce nationalisme identitaire.

Aux antipodes du libéralisme démocratique, le libéralisme du LIDER s’est révélé être un libéralisme économique élitiste et affairiste qui méprise en réalité les couches populaires comme en témoigne récemment les propos scandaleux de son chef qualifiant d’analphabètes incapables de déchiffrer une fiche électorale autrement que par des pictogrammes, l’électorat de son adversaire Alassane Ouattara. La présence de cet homme au sein de la CNC, formation artificielle hétéroclite, liée par le populisme doit donc, en vérité, aider à entretenir l’illusion que son parti est ancré dans le peuple et consacré à la défense de son intérêt.

Comment expliquer alors la faillite et le naufrage du beau projet contenu dans la synthèse du libéralisme et du socialisme en Côte d’Ivoire ? Quelles sont les raisons objectives de cette faillite ? Pour expliquer cette catastrophe, il faut récuser d’emblée l’excuse facile qui consiste en Afrique à rejeter la responsabilité de nos démissions et contradictions internes sur de prétendues manœuvres externes du néo-colonialisme. (A suivre)

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