En démocratie, le programme politique des candidats à l’élection présidentielle doit-il être publié après l’élection ?

Le candidat du Lider vient de publier son programme politique. En dépit de l’orientation populaire et sociale de son programme, on y découvre un candidat d’obédience libéral, un adepte de l’économie dérégulée de marché  qui s’adresse clairement à un groupe spécifique d’acteurs sociaux : le patronat ivoirien et la classe des entrepreneurs dont il se propose de promouvoir et de défendre les intérêts. Ainsi les Ivoiriens sont situés. Ayant pris connaissance du projet politique économique, social et international du candidat du Lider, ils peuvent en évaluer la crédibilité, y débusquer la démagogie et se prononcer dans les urnes en étant conscients des implications et des conséquences de leurs choix dans les divers domaines de la vie collective.

Le geste de Mamadou Koulibaly, le chef du LIDER, est un geste démocratique pédagogique et exemplaire qui bat en brèche l’attitude de la plupart des candidats en vue du groupe CNC qui,  à un mois de l’élection présidentielle, n’ont pas encore volontairement publié leur programme politique ou sont incapables de le faire, probablement parce qu’ils n’en ont aucun. En déployant publiquement les principales lignes de son programme politique, le candidat du LIDER dément le prétexte de l’imprévisibilité et de la complexité d’une société et d’une économie désormais mondialisées qu’invoquent certains candidats pour se dérober à cet impératif démocratique. Un candidat en vue de la CNC ,Charles Konan Banny, s’appuie implicitement sur ce prétexte pour refuser de publier son programme politique avant l’élection présidentielle. Or une telle attitude est en contradiction avec les principes de la démocratie et avec la fonction de l’élection présidentielle dans ce régime.

La démocratie est en effet, par définition, un régime qui permet à une collectivité de se gouverner elle-même et de choisir librement ses gouvernants. Cette définition de la démocratie montre que l’incapacité ou le refus d’un candidat de publier son programme politique avant l’élection attaquent le principe de base de la démocratie. Le choix des gouvernants par les gouvernés n’est pas libre si les électeurs ne savent pas quelle sera la politique économique, sociale et internationale des élus.

Au-delà de la personne du candidat qui peut être préférée pour ses talents  et ses capacités, une élection démocratique, comme le souligne Pierre Rosanvallon, est un choix de programme qui est  opéré momentanément « dans la perspective plus large de la réalisation de valeurs, dans la poursuite d’objectifs plus généraux concernant une forme de société désirée ».

L’élection démocratique vise à bâtir une société de citoyens coresponsables. Elle veut instituer le peuple comme un sujet collectif constitué de citoyens. Son objectif est de construire une identité commune. Par delà la représentation politique des intérêts et des valeurs de la pluralité sociale, il s’agit donc de construire la volonté générale d’une nation. Il s’agit de bâtir la raison collective dans le processus continu et permanent du débat public qui est requis par la diversité des  opinions et des choix contradictoires des acteurs de la société civile dont il faut construire l’unité. Cette dimension substantielle de la démocratie institue dans la société démocratique  un impératif de discussion et de confrontation préélectorale et post-électorale des programmes politiques, des choix opérés, des promesses tenues ou non tenues.  Elle fait du forum du débat la substance de la cité démocratique. « La vie démocratique implique l’exigence d’un forum ouvert où puissent être débattues les grandes questions avant que tranchent les électeurs ou les parlementaires selon, les cas ». Est-il besoin de souligner ici que ce forum  démocratique n’a rien à voir avec la caricature dévoyée qu’en ont donné en Côte d’Ivoire les hordes miliciennes du FPI où les fameux « agoras » furent les lieux de production et de démultiplication de la barbarie collective et du crétinisme public généralisé ?

L’objet du forum démocratique est en effet de construire une volonté commune éclairée. En démocratie, l’élection, par-dessus tout l’élection présidentielle, doit donc être rapportée au forum qui est un préalable nécessaire. Le choix électoral démocratique doit être précédé par un débat contradictoire public où se forme et s’affine la raison publique. L’élection est le moment où se condense périodiquement la diversité des opinions et des débats de ce forum.

Ainsi s’impose dans les sociétés démocratiques la nécessaire publication des programmes politiques des candidats avant une élection présidentielle et  la nécessité de faire vivre  la diversité du débat démocratique. Dans une société démocratique, il importe d’entretenir et de développer la qualité du débat public. Le progrès démocratique d’une société se mesure à l’aune du souci de ses élites politiques à voir la raison publique se construire et s’affirmer davantage souligne Pierre Rosanvallon.

La volonté déclarée de certains candidats ivoiriens de ne vouloir publier leur programme politique qu’après l’élection présidentielle, l’incapacité de certains à le faire, l’indifférence et même l’hostilité d’une frange du personnel politique ivoirien envers l’affirmation d’une raison publique et d’une conscience politique populaire éclairée en Côte d’Ivoire, témoignent d’une volonté politique de maintenir le peuple ivoirien sous la tutelle de ses gouvernants. Elle porte en pleine lumière la résistance régressive d’un certain nombre d’oligarques politiques qui  s’efforcent de maintenir les forces sociales sous l’emprise de leurs appareils politiques et d’en faire les courroies de transmission de leur volonté politique. La volonté clairement déclarée d’un groupe partisan de prendre, contre la volonté de la majorité du peuple, l’élection présidentielle ivoirienne en otage, pour tenter d’obtenir l’élargissement judiciaire de son chef charismatique, est en Côte d’Ivoire, l’un des derniers exemples en date de cette subordination despotique de la société à la volonté des dirigeants politique et de leurs agents.

Le progrès de la démocratie en Afrique ne doit donc pas être évalué selon le degré d’effervescences et d’âpreté  des combats procéduraux entre appareils politiques et partisans dans la lutte pour le pouvoir. Il doit l’être selon la qualité du débat public, le degré de subordination des appareils politiques à la société et le souci des dirigeants politiques de promouvoir la formation d’une raison publique.

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