La démocratie libérale à l’épreuve en Afrique. (2ème partie) En guise de réponse à Lembe Tiky

En quoi consiste précisément la démocratie libérale?

La démocratie libérale résulte de l’union de la démocratie avec libéralisme, plus exactement de la synthèse des principes de la démocratie et du libéralisme. Le résumé éclairant qu’en donne Serge Berstein dans « Démocraties, régimes autoritaires, et totalitarismes au XXème siècle » peut nous aider à saisir l’esprit de ce régime bifront qui semble correspondre en profondeur aux demandes concrètes des populations africaines. Cette aspiration concrète des peuples africains à la liberté individuelle et collective, politique économique et sociale, dénonce la rhétorique identitaire de certains milieux politiques et intellectuels d’Afrique Noire réclamant une démocratie conforme aux traditions du passé. A mille lieux d’une pensée exigeante appelant à endogénéiser la démocratie en la vivifiant par les universaux des cultures africaines, ce passéisme, telle la démocratie du consensus prônée par Lembe Tiky est un discours idéologique mystificateur : celui d’une catégorie sociale dominante qui s’adosse aux coutumes et aux hiérarchies des sociétés lignagères du passé pour légitimer et pérenniser son statut de groupe social politiquement et économiquement dominant.

La pièce maîtresse du dispositif de cette escroquerie, consiste à promouvoir  la forme procédurale de la démocratie libérale au détriment de sa forme substantielle. Le consensus  permet d’éliminer  le principe de la contradiction et du compromis entre des positions différentes également légitimes. Il permet d’imposer une volonté générale qui peut-être celle d’une masse mobilisée ou d’une opinion manipulée. L’absolutisation de la dimension procédurale de la démocratie,  réduit  ce régime à la lutte concurrentielle  des groupes  factionnels dominants  pour l'accaparement  du pouvoir politique. Elle réduit le débat démocratique aux palabres et aux querelles personnelles d’une oligarchie électorale constituée par les nouvelles élites lignagères et leurs clientèles politiques respectives.

Aux antipodes des réquisits de la démocratie libérale moderne, l’appel à l’autochtonie en matière de démocratie veut donc en réalité restaurer, contre la souveraineté populaire et contre le suffrage universel, une tradition de dévolution monarchique et patrimoniale du pouvoir. Contre le principe de la limitation du pouvoir par les droits fondamentaux, il veut instituer à nouveau un Etat au pouvoir illimité. Contre le contrôle du pouvoir par la société, il veut placer à nouveau la société sous le contrôle et la tutelle du pouvoir politique. Le traditionalisme vise en réalité à mettre aux fers les libertés individuelles et collectives. Il est antilibéral et antidémocratique.

Le libéralisme politique prône au contraire la défense des libertés individuelles et politiques. Il réduit le pouvoir exécutif à des tâches de protection des citoyens pour préserver ces libertés. L’exécutif ne doit pas pouvoir décider des lois qui régissent la société ni intervenir arbitrairement contre elle. Le gouvernement doit être contrôlé par la nation car la souveraineté réside dans la nation et non dans l’Etat. Le régime parlementaire permet de réaliser l’exigence libérale du contrôle de l’exécutif par la nation. Le pouvoir exécutif est responsable devant l’assemblée des délégués de la nation qui doivent être choisis parmi les élites éclairées. Au plan économique, le libéralisme prône la liberté de l’individu dans la production, le travail et les échanges. Selon le libéralisme économique, les lois de l’économie doivent fonctionner librement pour être à même de  produire le bonheur et la prospérité des individus et des  collectivités. L’Etat doit laisser l’individu libre de produire et de commercer en se pliant, non à des règlements forgés de toute pièce, mais aux lois naturelles de l’économie. Au plan social, le libéralisme prône la non-intervention de l’Etat dans les rapports sociaux qui doivent être régis par les lois naturelles de la compétition vitale. Mais l’élitisme politique et le darwinisme économique et social induit par ces principes du libéralisme, conduisent concrètement à la prépondérance des plus forts et des plus riches et l’accroissement des inégalités sociales.

La démocratie apporte un correctif à ces failles du libéralisme. Au risque oligarchique,  elle oppose le principe du suffrage universel qui permet au peuple de contrôler les élus et de les révoquer grâce à une périodicité régulière d’élections. Contre le darwinisme économique et social, la démocratie en appelle l’organisation de la société par l’Etat et son intervention au profit des plus démunis. Mais le principe majoritaire de la démocratie peut conduire à une tyrannie de la majorité, à un despotisme des masses, à une ségrégation des minorités. Les principes libéraux de limitation du pouvoir politique par les droits fondamentaux, du contrôle de l’Etat par la société, de l’économie libre permettent de parer à cette dérive interne de la démocratie.

L’articulation des impératifs libéraux de défense des libertés fondamentales et de limitation du pouvoir de l’Etat avec les impératifs démocratiques de représentation des intérêts sociaux et de protection des faibles,  accomplit la démocratie libérale comme un régime syncrétique ouvert permettant de corriger les excès réciproques des deux obédiences  politiques considérées séparément.

Les sociétés  dont l’histoire n’a pas engendré ce type de régime dont les structures sociales et culturelles  sont plus ou moins en contradiction avec ce régime mais qui l’ont adopté bon gré ou mal gré en raison des contingences historiques,  doivent nécessairement en maîtriser le logiciel  pour en retirer toute la productivité en l’inscrivant dans leur propre histoire. Il s’agit alors pour les élites d’être les acteurs de cette synthèse progressiste consistant à se réapproprier culturellement l’esprit du régime qui en commande les procédures. Cette performance  requiert un certain volontarisme démocratique et libéral patriotique décomplexé des élites comme l’aura démontré, le volontarisme modernisateur de l’élite japonaise de l’ère Meiji qui a vu la modernisation du Japon. Cette modernisation s’opéra par le haut et fut le fait des élites qui, tout en en préservant leur identité culturelle,  se réapproprièrent  l’esprit de la démocratie libérale, procédèrent à une refonte globale des structures du pays et s’engagèrent dans une maîtrise des techniques occidentale pour affronter avec succès les défis et les écueils du monde nouveau qui s’ouvrait devant eux.

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