De Félix Houphouët-Boigny à Alassane Dramane Ouattara.

Des réformes économiques de 1990 à la démocratie électorale-représentative en 2010.

 Le lien subtil entre 1990 et 2010. Quelle signification historique déceler aujourd'hui dans  la politique d'austérité et de relance de l’économie ivoirienne en 1990 ? Ces réformes ont-elles inauguré en Côte d'Ivoire une période de régression sociale et politique causée  par l’imposition du dogme néolibéral  à un pays en développement dit exploité par les multinationales et par la finance internationale ? Ont-elles au contraire initié une libération émancipatrice de l’économie et de la politique qui trouva sa conclusion dans l’avènement de la démocratie électorale-représentative en décembre 2010 ? La période des réformes économiques de 1990 à 1993 fut-elle un temps de recolonisation durant lequel la souveraineté nationale ivoirienne fut détruite au profit des intérêts des multinationales du capitalisme international ? Fut-elle au contraire, le temps de la remise en scelle  du projet républicain de construction nationale de la Côte d’Ivoire indépendante de Félix Houphouët-Boigny ?

L’herméneutique simplificatrice de la doxa anticolonialiste qui réduit la totalité de l’histoire de l’Afrique à une perpétuelle domination impérialiste occidentale, voit dans cette période un retour en force du néo-colonialisme. Selon cette doxa, le capitalisme financier, figure moderne de la domination impérialiste occidentale, paracheva sa tutelle néo-colonialiste en 2010,  en  installant à la tête de la Côte d’ivoire un pouvoir acquis à sa cause aux termes d’une parodie d’élection présidentielle démocratique !

La complexité de l’histoire ivoirienne  permet cependant de prendre de la distance par rapport cette grille de lecture réductrice. L’interprétation rationnelle critique et politique des événements qui se sont succédés durant cette période, incluant le moment de la « gestion socialiste » du pays, nous oblige à relier 1990 et 2010 comme deux moments qui font plutôt sens dans la direction de la mise en place d’un projet d’émancipation économique sociale et politique. En 1990, le contrôle politique de l’économie par le patrimonialisme d’Etat fut brisé afin de redéployer le projet initial du nationalisme modernisateur libéral ivoirien de 1960 et relancer la machine du développement. Les exigences de l’économie furent rétablies au détriment des intérêts particuliers des oligarchies et des factions qui réagirent en mobilisant le nationalisme ethnique pour restaurer le statu quo ante. Contrairement à la propagande anticolonialiste habituelle qui dissimule la complexité de l’histoire ivoirienne, le conflit qui s'articula en Côte d'Ivoire  à l’occasion des réformes économiques de 1990, n’opposa pas le néo-colonialisme à l’anticolonialisme et au socialisme révolutionnaire. Ce fut, au contraire, la lutte du patriotisme libéral modernisateur et universaliste de 1960 représentant la face de lumière de la Côte d’Ivoire contre le nationalisme communautaire antilibéral niché dans sa face d’ombre. L’année 2000 ne vit pas l’avènement d’une démocratie socialiste moderniste et universaliste rétablissant les intérêts des catégories populaires ivoiriennes contre le néocolonialisme et la domination des multinationales. Un pouvoir ethnonationaliste, dissimulé sous le masque du socialisme révolutionnaire et de l’anticolonialisme, mobilisa les traditions et les croyances pour s’emparer de l’Etat et imposer son contrôle sur tous les aspects de la société. Entre 1990 et 2010, se déroula  en Côte d’Ivoire  la bataille titanesque de la face de lumière de la modernisation politique et économique contre la face d’ombre de l’anti-modernisme, du maintien des anciens ordres, des hiérarchies traditionnelles et des privilèges. Les réformes de 1990 accélérèrent les transformations socio-économiques, inaugurèrent le réveil de la société civile, portèrent en avant la bruyante contestation des catégories paysannes et citadines contre les systèmes endogènes et exogènes de domination et d’exploitation. Elles firent de l’exigence de représentativité politique des intérêts sociaux, et de la représentativité des acteurs politiques une demande populaire contraignante. Les bouleversements sociaux et la transformation des représentations psychologiques de l'opinion publique ivoirienne firent de la démocratie une aspiration collective irrésistible. La rupture du contrôle politique de l’économie appelait un nouveau régime politique dont la représentation des intérêts sociaux et la redistribution du produit national constitueraient le caractère essentiel. La légitimité politique des dirigeants était désormais implicitement appréhendée selon le double critère de la légitimité électorale et de la légitimité administrative par les populations qui exigeaient de contrôler le Pouvoir pour donner du contenu à l’Indépendance conquise en 1960. 2010 fut donc l’année de la victoire de la face de lumière de la Côte d’Ivoire sur sa face d’ombre. La démocratie fut conquise pour asseoir les conditions politiques d’un développement endogène. L’enjeu politique ivoirien est alors aujourd'hui  de déployer, en ses ultimes conséquences, le triomphe final de la face de lumière dont l’élection à la Présidence de la République d’Alassane Dramane Ouattara, pierre d’angle de l’échiquier politique auparavant rejetée, constitue le symbole éclatant. A ce propos, s’avère incontournable, une relecture du brillant et profond article du Professeur Augustin Dibi Kouadio de l’Université Félix Houphouët-Boigny écrit durant les heures de feu et de sang de la crise post électorale : « La pierre rejetée par les bâtisseurs, devenue pierre angulaire » publié dans le quotidien ivoirien « Le Patriote » 19 Novembre 2010. Il délivre la signification chiffrée de l’enjeu de la démocratie ivoirienne qui doit être fondée sur la reconnaissance de l’Autre, sur une politique de solidarité et sur le combat contre la discrimination et la ségrégation. Pour mener à bien le projet d’émancipation socio-économique collective, au moyen de la démocratie électorale-représentative, le respect inconditionnel de l’esprit de ce régime de la liberté doit régir la mise en œuvre de sa lettre. Les réussites éclatantes du modèle désormais épuisé de l’Etat mobilisateur en Côte d’Ivoire résidèrent en cette alliance de l’esprit et de la lettre. La démocratie ivoirienne doit donc être une démocratie de la limitation du Pouvoir par les droits et les libertés fondamentales. Elle doit être une démocratie de la représentation politique des intérêts sociaux. Elle doit être une démocratie de la citoyenneté qui réunit la diversité sociale dans un sentiment d’appartenance commune et de coresponsabilité réciproque dans l’œuvre républicaine d’émancipation collective. Elle doit être une démocratie de la gestion des conflits entre les particularismes et la généralité au moyen d’une société politique autonome qui médiatise la relation entre société civile et Etat. Elle doit par ces médiations poursuivre le cap du développement endogène en évitant les écueils menaçants que représentent la partitocratie, l’ethnicisme, le confessionnalisme, la corruption et la privatisation de la chose publique.

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