Exhibitionnisme d’infrastructures ou exposition légitime d’un bilan gouvernemental en Côte d’Ivoire ?

A quelques mois de l’élection présidentielle, le gouvernement ivoirien  s’adonne-t-il à un  exhibitionnisme d’infrastructures  pour masquer son échec et sa corruption sous les fastes d’une économie d’ostentation comme le soutient une des figures de l’opposition ivoirienne ? S’agit-il contraire du cas de figure d’un gouvernement qui s’attache à présenter publiquement son bilan économique et politique conformément au principe démocratique de reddition des comptes ?

Tout conduit, en effet, à penser qu’en Côte d’Ivoire nous nous trouvons face au cas de figure d’un gouvernement soucieux de confronter son bilan à ses promesses électorales. Ce jugement qui crédite le gouvernement ivoirien de l’intention d’émanciper effectivement la société par l’économie et par les infrastructures est à mille lieux de la naïveté du béotien incapable de déceler les stratégies de domination des nouveaux systèmes de pouvoir qui règnent sur la finance.

La reconstruction des infrastructures économiques fut un leitmotiv  et une constante politique du pouvoir ivoirien émanant de l’élection présidentielle de Décembre 2010. Elle fut l’idée directrice d’une politique gouvernementale désireuse de réaliser l’intégration nationale par le biais de l’économie, de soumettre le pouvoir politique aux besoins concrets de la société et des populations. Aux antipodes de la tradition politique des autocraties postcoloniales, le pouvoir ivoirien a inauguré une politique centrée sur l’investissement économique et la reconstruction des infrastructures pour répondre concrètement aux besoins des populations dans le cadre d’un régime de démocratie libérale.

Dans la politique gouvernementale ivoirienne, il faut voir un renversement de la logique africaine de subordination de l’économique au politique. Cette subordination sur laquelle vécurent les autocraties et les dictatures permettait au pouvoir et aux classes dirigeantes de conserver le statu-quo ante, de maintenir les hiérarchies traditionnelles, de pérenniser la mainmise de l’Etat sur la société en donnant la priorité aux impératifs politiques anti-économiques des pouvoirs. En donnant a contrario  ouvertement la priorité à l’économique et à ses exigences sur le pouvoir politique, le gouvernement ivoirien renverse l’habitus politique africain hérité des royautés et des aristocraties précoloniales: celui d’un pouvoir politique et d’un Etat qui cannibalisent la société, étouffent les initiatives, brident les énergies créatrices pour pérenniser la domination des couches dirigeantes. Il en est résulté durant les 60 longues années postcoloniales une régression multiforme des Etats indépendants d’Afrique dont le signe le plus patent fut la carence et la déficience des infrastructures. Organisant l’Etat autour du culte de la personnalité du chef charismatique et des idéologies d’affermissement du pouvoir, les dirigeants  africains célébrèrent en permanence  leur autolégitimation politique. Ils évitèrent de prendre en compte les exigences de l’économie, de satisfaire les besoins d’émancipation économique des populations, de réaliser en leur aire de domination  les infrastructures susceptibles d’assurer  aux populations une  dignité minimale des conditions de vie.  

En Afrique et en Côte d’Ivoire, cette affirmation nouvelle et décomplexée de l’économie face à la toute puissance de l’Etat institue une situation révolutionnaire. La mainmise des divers pouvoirs tutélaires locaux et étrangers sur la société ivoirienne est ébranlée par les exigences impersonnelles de l’économie désormais débarrassée du carcan des Etats et des appareils politiques de conservation du pouvoir. L’économie libre transgresse impunément les barrières des avantages acquis garantis par l’existence de divers pré-carré intouchables. Les diverses aristocraties ethniques et les suzerainetés régionales sont donc menacées en leur fief.

Est-ce pour rien que les candidats, dont les accointances étranges battent en brèche le républicanisme affiché, se replient en leurs fiefs régionaux  et ethniques pour battre campagne ? La dénonciation d’un prétendu exhibitionnisme d’infrastructures vise en réalité à restaurer cette subordination de l’économie à la politique qui, on le sait, est grosse de toutes les régressions. Tel est en effet le lieu idéologique à partir duquel est proférée la critique du prétendu exhibitionnisme du gouvernement ivoirien. La dénonciation du clanisme et de la corruption prétendus du pouvoir n’est que le décorum permettant de dissimuler la vision du monde antirépublicaine, et antidémocratique qui sous-tend cette critique.

Dénoncer cet impensé inavoué, qui régit la critique proférée par les figures emblématiques de l’opposition ivoirienne, ne signifie nullement que le bilan du gouvernement soit parfait et ne doive pas être critiqué. Bien au contraire ! Maladies génétiques des Etats africains, le clanisme et la corruption doivent être inlassablement dénoncés et combattus partout en Afrique. Ces tares congénitales ne peuvent toutefois être efficacement combattues que dans le cadre de la République et de la Démocratie. En conséquence, la sauvegarde de ces régimes s’impose en priorité à chaque élection présidentielle.

En Afrique, et en Côte d’Ivoire spécialement, l’urgence est donc de  dénoncer les critiques démagogiques et opportunistes du clanisme et de la corruption. Lorsque des candidats qui se réclament ouvertement du nationalisme communautaire anti-démocratique et antirépublicain s’en emparent en qualité d’arme électoraliste pour mener une bataille politique visant, in fine, à rétablir l’antique subordination de l’économie aux impératifs antiéconomiques des appareils politiques, cette dénonciation est une œuvre de salubrité publique.

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