Les formes d’imposture démocratique en Afrique noire.

"Nous avons fait place nette en fermant les médias privés et en faisant taire la contestation populaire à coup de répression policière et militaire. Il n'y a plus, dans le pays, de manifestations publiques contre la volonté de notre  président Pierre N’kurunziza de briguer un troisième mandat. Nous ne sommes donc pas contestés. Les populations citadines contestatrices se terrent. Les populations rurales dont nous avons acheté le silence à coup de distribution de sacs de haricots et de sacs de riz sont indifférentes. La preuve est donc faite que la contestation politique du troisième mandat du président Pierre Nkurunziza est le fait d’une minorité très localisée de citadins manipulés par les médias et par les anciennes puissances coloniales. La population Burundaise dans sa majorité consent donc à notre volonté de nous octroyer un troisième mandat et pourquoi pas un quatrième mandat, de demeurer au pouvoir ad-vitam æternam au mépris de la constitution. Nous sommes légitimes et le pouvoir d’Etat nous appartient parce que nous sommes les représentants politiques et militaires du peuple majoritaire hutu que nous avons libéré de la domination de la minorité tutsi"

Telle est la manière dont le gouvernement Burundais, sous la férule de l'apprenti dictateur Pierre Nkurunziza, conçoit la démocratie. Curieuse façon de concevoir la démocratie : il s’agit, en effet, d’un cas d’école des impostures démocratiques qui tendent à s’installer en l’Afrique noire à l’ère du multipartisme.

Quelles sont donc les formes sous lesquelles se manifeste l’imposture démocratique en Afrique noire de nos jours ?

Aux termes des luttes anticolonialistes, l’imposture démocratique en Afrique noire s’était, après les Indépendances, présentée sous la forme des Etats nationaux, dits démocratiques, dirigés par l’intelligentsia des mouvements de libération nationale et par des leaders révolutionnaires. Ces dirigeants politiques, qui prétendaient incarner le peuple et sa souveraineté, confisquèrent cette souveraineté et mirent le peuple sous la tutelle de nouvelles autocraties et dictatures dont ils furent les architectes. Servant de couverture aux politiques endogènes de prédation, cette imposture démocratique, dissimulée sous le bouclier des imprécations révolutionnaires et anticolonialistes, fut en grande partie la cause du sous-développement de l’Afrique noire. Ce dévoiement des formes démocratiques, qui permet de couvrir la prédation des oligarchies endogènes, est devenu une tradition qu’il convient de dénoncer et de combattre comme tel. Il y va de l’avenir de la démocratie et de l’émancipation politique, économique et sociale des peuples d’Afrique noire.

A l’imposture démocratique de la période des Indépendances africaines, semble donc succéder une nouvelle période d’imposture démocratique à l’ère du multipartisme. Après les autocraties postcoloniales qui confisquèrent la souveraineté des peuples, et substituèrent à l’oppression coloniale occidentale une oppression perpétrée par des oligarchies endogènes, les populations africaines demandent aujourd’hui une démocratie substantielle, qui resitue la source de la légitimité du pouvoir dans le peuple, et limite l’omnipotence de l’Etat par les droits fondamentaux des individus et des collectivités. Les nouvelles élites politiques africaines tentent, au contraire, de leur imposer une démocratie ethnique ou une démocratie confessionnelle, types démocratiques qui ne sont rien de plus que de nouvelles formes d’autocraties. Les nouvelles élites politiques mobilisent, de nos jours, les identités communautaires pour confisquer la souveraineté des peuples, en qualité de représentants politiques d’une ethnie ou d’une confession, et pour s’approprier, en tant que tels, la direction des Etats. Ils réduisent la démocratie à sa forme procédurale et institutionnelle pour couvrir une domination oligarchique des populations dans des Etats ethniques, confessionnels ou mercantiles.

Au Burundi, Pierre Nkurunziza et son gouvernement se servent des institutions et des règles juridiques de la démocratie pour affaiblir la contestation de leur pouvoir oligarchique. Comme Laurent Gbagbo en 2010 en Côte d’Ivoire, ils invoquent la défense de l’ordre républicain et démocratique pour réprimer les manifestations populaires contre leur coup d’Etat constitutionnel. Ils évoquent le danger du vide institutionnel pour imposer l’agenda électoral qui doit leur permettre de confisquer le pouvoir. Pierre Nkurunziza et son gouvernement  veillent au respect scrupuleux des procédures et des formes institutionnelles de la démocratie tout en violant les droits élémentaires des individus et de collectivités.

En Afrique noire, l’imposture démocratique adopte aujourd’hui la forme de l’électoralisme et de la fièvre procédurale. On veille au respect scrupuleux des procédures, tout en conservant la culture et les pratiques antidémocratiques de la concentration oligarchique des pouvoirs. L’élection démocratique et l’alternance du pouvoir se réduisent, bien souvent, au choix entre deux ou trois partis politiques qui monopolisent le champ politique, et utilisent le peuple comme ressource politique. L’alternance du pouvoir devient alors un euphémisme. La fièvre procédurale et institutionnelle permet de rejeter la dimension substantielle de la démocratie. Elle masque des impostures démocratiques qui se déclinent sous plusieurs formes.

L’imposture démocratique se manifeste aujourd’hui, en Afrique noire, sous la forme du nationalisme communautaire et confessionnel qui permet aux nouvelles  élites oligarchiques, prétendument « éclairées », de s’autoproclamer porte-paroles et représentants politiques des peuples. Elle s’exprime sous la forme de la conception ethnique et confessionnelle du peuple, qui permet de fonder la légitimité démocratique dans les coutumes et dans les dogmes des confessions religieuses  au lieu d’en situer la source dans le peuple défini comme corps de citoyens. Elle s’exprime dans la conception ethnique et confessionnelle du pouvoir, qui permet de le définir comme héritage coutumier réservé à des héritiers  ou comme attribution d’origine surnaturelle d’un individu charismatique élu par Dieu qui n’a donc de comptes à rendre qu’à Dieu et non pas aux peuples. Elle se manifeste sous les formes de la partitocratie, c’est-à-dire du règne des partis politiques qui se constituent en centres autonomes de pouvoir absolu autour d’un chef divinisé. Elle se manifeste sous la forme de la confusion de la démocratie avec le libéralisme économique permettant de couvrir le règne du marché et la domination de ses forces oligarchiques.

Pour combattre l’imposture démocratique en Afrique, il faut donc ramener les procédures et les institutions démocratiques à la dimension substantielle de la démocratie. Il faut promouvoir en Afrique noire une culture démocratique et faire des principes de la démocratie substantielle le critère du fonctionnement des procédures et des institutions. (A suivre)

<>

Les commentaires sont fermés