Le « rattrapage ethnique », nouvelle formule du populisme du groupe CNC en Côte d’Ivoire. (1ère partie)

A cinq mois de l’élection présidentielle, la musique de la campagne électorale du groupe CNC (Coalition nationale pour le changement) contre le parti au pouvoir est modulée sur le tempo des accusations de « rattrapage ethnique » et de division sociale. L’enjeu de cette élection serait, pour le groupe CNC et ses soutiens confessionnels, d’arracher la Côte d’Ivoire à «  l’hégémonie d’un groupe ethnique » et de réconcilier les Ivoiriens. Cette accusation n’est pas seulement portée par des politiciens pourtant ouvertement adeptes d’une conception ethnique de la société politique, elle est aussi relayée par les hommes d’Eglise censés être impartiaux! Recouvre-t-elle donc quelque réalité ? S’agit-il au contraire du discours démagogique d’un parti politique qui organise sa stratégie électorale sous le signe du populisme ?

Pour évaluer de manière critique cette accusation partisane d’hégémonie ethnique, il convient d’abord de remarquer que ce procès en ethnicisation est un argument politique traditionnel et un habitus du noyau historique dur du groupe CNC.  Contre Félix Houphouët Boigny, déjà accusé en son temps par le FPI de soumettre le pays à l’hégémonie des Baoulé, le prisme ethnique fut le cheval de bataille politique de Laurent Gbagbo. Mettant pourtant en œuvre une pratique des dépouilles politiques fondée sur les appartenances ethniques, et non pas sur l’appartenance idéologique aux principes du socialisme universaliste, celui-ci dirigea la Côte d’Ivoire, entre 2000 et 2010, avec son clan familial, avec ses milices tribales et avec ses potes  dans un népotisme et une corruption endémique, adossée à une pratique de l’assassinat politique, qui révulsèrent le pays tout entier. Contre le gré de la communauté Bété, qui s’insurgea contre cette imposture dans une dénonciation publique et une lettre ouverte au vitriol restée dans les mémoires des Ivoiriens, le contempteur du « tribalisme » n’hésita pas pourtant à user du tribalisme et à instrumentaliser la communauté Bété toute entière pour servir ses ambitions personnelles de pouvoir. Depuis son élection en 2010, Alassane Dramane Ouattara est donc aussi logiquement accusé par le FPI et ses affiliés, selon la grille de lecture ethnique habituelle, de soumettre le pays à l’hégémonie des Dioulas et des Musulmans.

 Une constante se dégage de cette série cohérente d’accusations et de comportements qui dessinent le visage et l’identité profonde d’un parti communautariste au projet politique articulé par l’ethnicité et par la revendication identitaire. Le groupe CNC appréhende la problématique politique selon le prisme de l’ethnicité. Ce prisme structure sa vision du monde. Le changement promis sous le sigle CNC, Coalition Nationale pour le Changement  annoncerait alors la substitution d’une nouvelle hégémonie ethnique à une hégémonie ethnique précédente contestée.

   Dès lors, la condamnation de « l’hégémonie ethnique » par le groupe CNC apparaît comme un euphémisme. C’est le discours démagogique d’une coalition ethno-nationaliste qui en appelle à l’autochtonie et à l’avènement d’un Etat communautaire dirigé par un autochtone. L’accusation de « rattrapage ethnique » est portée par les dirigeants d’un groupe qui considèrent pourtant que la société politique doit être construite selon les appartenances primordiales. La dénonciation d’une prétendue ethnicisation de l’Etat ivoirien par le nouveau pouvoir est formulée par des politiciens qui appréhendent paradoxalement le champ politique selon le prisme de l’identité ethnique et pour laquelle la revendication d’identité est  une arme de combat politique.

Les dénonciateurs du prétendu « rattrapage ethnique » ne militent pas pour l’avènement et le règne de la citoyenneté en lieu et place de l’ethnicité. Bien au contraire, leur projet implicite de société est de reconstruire l’Etat ivoirien selon le critère de l’ethnicité et de l’enracinement dans les coutumes contre l’Altérité et la différence. Aucune plaidoirie vibrante pour une citoyenneté active, pour la reconnaissance de l’égalité foncière de tous les Ivoiriens, au-delà de leur ethnie, de leur confession et de leur région, n’a jamais été à l’ordre du jour de leurs nombreuses réunions partisanes et rencontres de précampagne électorale. Les thèmes de l’égalité, de l’autonomie de la personne, de la citoyenneté, du service du bien commun de tous les Ivoiriens sans exclusivité n’ont jamais été les objets des contributions et des  éditoriaux de leurs organes de presse. Dans l’engagement politique partisan, ils défendent, bien au contraire, l’héritage communautaire contre le libre choix des individus et des collectivités. Ils en appellent aux coutumes contre le droit positif. Ils militent pour le triomphe des appartenances sur les libertés. Ils rejettent la différence et l’hétérogénéité au profit de l’identité et de l’homogénéité communautaire. Ils prônent la fermeture identitaire, le repli sur soi et le rejet de l’Etranger contre l’ouverture à l’Altérité et au dialogue des différences.

Depuis 5 ans, aucune critique argumentée des choix économiques du gouvernement et de sa politique étrangère n’a été formulée de manière convaincante par les membres du groupe CNC. La critique de la politique intérieure du gouvernement a été exclusivement centrée sur le thème de l’hégémonie  ethnique et sur  la revendication de la justice impartiale envisagée du point de vue de la libération de Laurent Gbagbo. Aucun projet politique alternatif républicain d’opposition n’a donc jamais été présenté au peuple ivoirien, une absence étrange que ne saurait justifier le prétexte de la complexité d’un monde imprévisible qui rendrait quasiment impossible la formulation d’un programme précis de gouvernement. Justifiant sa présence à la présidentielle par la thématique de la réconciliation, le groupe CNC aurait pu pourtant tracer, en de grandes lignes générales, sa formule partisane d’une réconciliation des Ivoiriens par la voie d’une réforme de l’Etat respectant le modèle républicain et par la voie d’une économie de type socialiste.

Cette vacance programmatique et idéologique délibérée est donc loin de signifier que la coalition (CNC) des adversaires du parti au pouvoir ne dispose d’aucune idéologie, d’aucun programme de gouvernement et d’aucun projet de société. Soutenir la thèse de la vacance et de la vacuité à ce triple niveau, c’est en fait aider le groupe CNC à dissimuler son idéologie et son projet de  société mortifères de plus en plus virulents à l’approche de l’élection présidentielle. Il importe donc dévoiler au grand jour la nature spécifique du projet de société du groupe CNC dit Coalition Nationale pour le Changement. Ce projet de société qui n’a pas changé d’un iota  et dont les ivoiriens ont déjà fait l’amère expérience a déjà été mis en œuvre entre 2000 et 2010. (A suivre)

 

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