Pour une critique constructive de l’opposition ivoirienne à l’aube de la Présidentielle 2015.

L’une des exigences cardinales de la démocratie électorale représentative est que le Pouvoir soit limité par des contre-pouvoirs. Le gouvernement doit être critiqué et contrôlé par l’opposition partisane, par les  organisations de la société civile et par les simples citoyens. Le principe démocratique de  la limitation du pouvoir  est dépourvu de contenu lorsque fait défaut cette critique et ce contrôle institutionnel et individuel du Pouvoir. Le danger est alors grand de voir s’instituer un pouvoir sans limite. La démocratie est alors menacée par un risque  de dérive autocratique et dictatoriale du gouvernement. Tous les gouvernements démocratiques responsables en appellent  donc à une opposition.

Ce principe de la limitation du pouvoir par le contrôle institutionnel, par la critique partisane et citoyenne du gouvernement est-il respecté en Côte d’Ivoire ?

La réalité du terrain permet de répondre affirmativement à cette question. En Côte d’Ivoire, le gouvernement est régulièrement critiqué. Opérée et relayée par les médias, les ONG, les contributions citoyennes, cette critique relève quotidiennement les échecs et inaccomplissements du gouvernement malgré ses réussites économiques remarquables. Elle dénonce une « justice partiale » selon certains, la cherté de la vie, et les failles de la redistribution des résultats de la croissance. Ce contrôle démocratique citoyen a tempéré le gouvernement relativement aux fléaux qui minent les Etats africains, tels la violation des droits de l’homme, le patrimonialisme, le népotisme, la corruption, le monopole ethnique de la haute administration et de la haute hiérarchie militaire et sécuritaire.

Durant cinq ans, cette critique citoyenne n’a pas été relayée par le FPI et ses alliés qui refusaient de reconnaître le pouvoir en place, d’assumer leur rôle de contre-pouvoirs.

Ce rôle a donc été occupé avec succès par des organisations de la société civile assumant ce devoir citoyen. L’ostracisation d’un Affi N’guessan, apparemment désireux de s’engager dans un processus d’opposition républicaine, s’explique en partie par le refus obstiné du FPI d’entretenir la moindre relation officielle avec le gouvernement jugé comme illégitime. Or, cette désertion est une faute politique gravissime. Le FPI risque de la payer par sa disparition pure et simple au moment où une floraison de candidatures partisanes plus ou moins légitimes se fait jour à l’approche de la Présidentielle.

Cette désertion coupable doit donc être dénoncée quand le FPI s’introduit subrepticement dans la compétition électorale de la présidentielle au moyen d’une coalition pour tenter de récupérer le pouvoir en qualité de parti d’opposition après avoir cependant déserté durant cinq années son poste de contre-pouvoir. S’estimant vainqueur de l’élection présidentielle de 2010, comme en témoigne la récente déclaration de Simone Gbagbo, et ne reconnaissant pas l’actuel gouvernement ivoirien, le FPI ne peut en effet endosser le statut de parti d’opposition, ce d’autant plus que, abandonnant son poste, il n’a pas agi en tant que contre pouvoir dans une opposition républicaine constructive au gouvernement. La décision surprenante de participer finalement à la présidentielle en s’imposant dans une coalition trahit en cela une vision antidémocratique de la représentation partisane.

Pour sauvegarder la démocratie en Côte d’Ivoire et ailleurs en Afrique, s’impose alors l’exigence de rappeler l’impératif d’opposition partisane constructive que le FPI a trahi. La légitimité du FPI, revendiquant de manière opportuniste le statut de parti d’opposition principal et le droit de son candidat à être le candidat unique de la coalition, doit être nécessairement mise en question. Il faut exposer au grand jour les représentations du politique ayant déterminé le viol par le FPI du principe de la majorité des voix, et l’impératif démocratique de contrôle partisan du gouvernement. Le refus de la victoire électorale de la coalition du RHDP en 2010 ne doit pas être appréhendé comme une contestation légitime. Il doit être plutôt appréhendé comme étant l’indice d’une pathologie partisane.

En sa spécificité, le cas ivoirien est donc un cas d’école relativement à la problématique des impostures qui menacent le processus de démocratisation des régimes politiques en Afrique. La démocratie est en effet menacée en Afrique par la résilience des autocraties. Mais elle l’est aussi et surtout par la résilience de la culture du syndicalisme révolutionnaire occidentale de type léniniste et stalinien qui structure encore la vision du monde de nombreuses élites africaines. Depuis longtemps récusée et abandonné dans son foyer européen d’origine, cette vision du politique a été réappropriée, par acculturation, par bon nombre de dirigeants politiques africains et par leurs idéologues. Interprétant le champ africain du politique à travers ce prisme déformant, ces derniers ont choisi le principe de la révolution contre celui de la démocratie, le principe de la destruction de l’ennemi contre celui de la discussion avec l’adversaire politique, le principe de la guerre et de l’anéantissement contre celui du débat et du compromis.

En Afrique, la mise en perspective critique des positions politiques partisanes est donc vitale. Il y va de l’avenir de la démocratie sur ce continent où l’imposture n’est pas que l’apanage des gouvernements mais aussi des oppositions. Au contrôle citoyen des Pouvoirs doit alors, dans ce cas, s’ajouter aussi une critique et un contrôle citoyen des contre-pouvoirs et des oppositions partisanes. A défaut de ce contrôle citoyen des pouvoirs et des contre-pouvoirs, le risque est grand de voir s’installer une partitocratie. En s’instituant propriétaires exclusifs de l’opposition politique et du pouvoir , les partis politiques se transforment en factions, se détachent de la société de base qu’ils transforment alors en clientèles destinées à servir les intérêts particuliers d’une classe dominante.

Dénoncer et déconstruire les représentations du politique qui sont à la base de ces stratégies dangereuses et potentiellement mortelles pour la démocratie en Afrique   est donc un impératif démocratique aussi fondamental que celui de la limitation du pouvoir du gouvernement. (A suivre) 

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