Le PDCI-RDA n’est pas un héritage familial (suite).Le populisme identitaire est antidémocratique et contre le développement économique et social.

Le populisme identitaire est antidémocratique et contre le développement économique et social.

Dans la conception patrimoniale du pouvoir défendue par Charles Konan Banny, il est aisé de remarquer que la souveraineté n’appartient pas aux citoyens unis dans les valeurs de la République. Propriétaires du Pouvoir, les héritiers, représentants lignagers des coutumes particulières d’une communauté ethnique, prennent la place du  peuple souverain. Dans cette acception, la cité est une société hiérarchisée et inégalitaire  dominée par les élites lignagères, membres des grandes familles, et de ce fait héritières du Pouvoir politique et économique. La cité ne peut pas donc pas être structurée par les valeurs républicaines d’Egalité, de Liberté et de Fraternité; valeurs couramment jugées comme coloniales et étrangères. Le pouvoir d’Etat est, d’après cette représentation, une propriété familiale, un héritage réservé à un héritier. Les partis politiques ne sont pas des institutions ayant pour fonction  de médiatiser politiquement les intérêts et les demandes politiques du peuple des citoyens égaux. L’institution partisane est une machine électorale dévolue aux héritiers d’une grande famille ou aux élites lignagères d’une communauté ethnique particulière. Sa fonction est de transformer les populations des différentes communautés en clientèles enrôlées pour acclamer l’héritier et lui attribuer le Pouvoir par acclamation. Le vote est de nature ethnique confessionnelle ou régionaliste. L’acclamation de l’héritier d’une collectivité ethnique se substitue donc à l’élection démocratique. Or, celle-ci est un processus impartial de sélection du citoyen le plus compétent mandaté, en tant que tel, par un peuple de citoyens pour servir le bien commun d’une société d’égaux. Dans la conception patrimoniale du Pouvoir et de l’Etat qui se lit dans le discours de Charles Konan Banny, le Président de la république incarne un groupe ethnique dans un Etat communautaire excluant  l’altérité.  

Il convient alors de souligner ce paradoxe africain : normalement, dans tous les pays du monde moderne, les élites s’identifient à l’universel parce qu’elles ont voyagé et rencontré l’Altérité dans leur vécu et par leur culture universitaire, tandis que les couches populaires s’identifient aux particularismes culturels et aux coutumes. En Afrique, par contre la revendication d’identité ne vient pas des couches populaires. Elle vient des élites, des dirigeants politiques et de leurs  idéologues. Ces derniers prétendent être les dépositaires d’une identité transmise qu’ils doivent défendre contre une culture étrangère et des intérêts économiques venus du dehors.

Comment expliquer ce paradoxe étonnant?

Cette revendication d’identité par les élites politiques africaines justifie en fait des politiques nationalistes qui méprisent les intérêts des catégories les plus nombreuses au lieu de les défendre comme l’a souligné le sociologue Alain Touraine. L’anticolonialisme de façade et les atours clinquants de l’autochtonie  sont des  boucliers et des déguisements qui permettent aux politiciens  prédateurs de tromper et de rallier derrière eux les populations qu’ils dominent et maltraitent. Dans l’Afrique du temps des autocraties et des dictatures de parti unique, comme l’a amplement démontré l’exemple du Zaïre de Mobutu et d’autres ailleurs, ces politiques nationalistes ont souvent constitué le masque d’un Etat prédateur. Dans la continuité de cette logique de domination endogène cachée, les élites ethniques et leurs idéologues se réapproprient à l’ère de la démocratie multi-partisane, cette revendication d’identité pour mener contre les peuples, des  politiques nationalistes destinées à camoufler  une prédation de classe.

Vernis de modernité et d’efficience technocratique,  les qualifications professionnelles  des banquiers, des économistes, des historiens, des hommes de lettres ou des sociologues, qui prétendent reconstruire une cité réconciliée,  promouvoir le développement et l’émancipation collective  par le moyen du retour  aux traditions et aux coutumes, ne doivent  donc plus  faire illusion. Le populisme identitaire, comme l’a montré Alain Touraine, n’est guère « une volonté nationale de développement ». Le retour populiste  aux coutumes n’est pas un retour à l’esprit des cultures et à leur génie créateur qui permettraient d’inventer des voies originales de développement dans la modernité. Ce retour n’est guère commandé par le souci  d’inventer  un nouveau système de production  inspirée par les cultures ancienne. Ce retour aux traditions du passé obéit au contraire à une stratégie politique de domination.   Il permet aux héritiers lignagers qui estiment être les dépositaires et les propriétaires du pouvoir,  de réintroduire  à leur profit,  dans le monde moderne les hiérarchies et les rapports de subordination des  sociétés du monde précolonial. Le populisme identitaire est en cela incapable de promouvoir une politique de modernisation et de développement endogène tout simplement parce que la modernisation économique exige des ruptures avec le passé et des emprunts de l’étranger. L’ethno-nationalisme génère donc nécessairement de l’antidéveloppement, entraîne la régression économique sociale et politique.

L’exemple emblématique de la Côte d’Ivoire des années  2000 à 2010 illustre cette régression multiforme, qui est le fruit nécessaire du  populisme identitaire. Les identités ethniques et religieuses furent les boucliers d’une politique de prédation patrimoniale de classe. La nouvelle coalition de l’opposition ivoirienne se situe dans cette tradition du populisme identitaire régressif et incapacitant. Telle est la cause ultime expliquant son incapacité à mener contre le gouvernement actuel  une opposition idéologique moderne et argumentative. Telle est la raison profonde expliquant son incapacité à dérouler devant les  Ivoiriens un programme de développement économique et social moderne, structuré et clair.

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