Le PDCI-RDA n’est pas un héritage familial

Lors d’une visite à  Nantes la semaine dernière, l’ex- Premier ministre Charles Konan Banny  a prononcé, le  mercredi 10 mars 2015,  un discours programmatique  devant ses partisans en Europe. (Voir l'article dans connectionivoirienne.net)

Dans ce discours abscons, relatif à la direction du PDCI-RDA et centré sur la thématique de l’héritage et du droit des héritiers, le candidat à la présidentielle ivoirienne a mélangé les registres de la politique et de la famille. Il a posé le village et la famille en modèles normatifs de la cité et de la république. Il a considéré les coutumes et les traditions comme les normes de la politique et du droit positif dans l’Etat moderne ivoirien. Il a considéré le PDCI-RDA et la magistrature suprême comme un héritage et un patrimoine familial. Ce discours fut en cela un archétype des conceptions patrimonialistes de L’Etat et du pouvoir qui sont en contradiction avec la démocratie républicaine électorale. Entreprendre une lecture critique de  ce discours du candidat à la présidentielle ivoirienne d’Octobre 2015 est donc essentiel.

Dans ce discours programmatique, l’ex-banquier a en effet abondamment utilisé des métaphores qui identifient les partis politiques et la magistrature suprême à des patrimoines familiaux destinés à être transmis à des ayants-droits classés en ligne paternelle et maternelle selon l’ordre des ascendants, des descendants et des collatéraux. Il a conçu le PDCI-RDA et le pouvoir d’Etat comme un héritage lui revenant en droit selon les coutumes. Il a considéré le pouvoir d’Etat comme une propriété familiale du PDCI-RDA usurpée par des spoliateurs étrangers. Il s’est défini comme l’héritier légitime de ce patrimoine qu’il se devait de récupérer comme tel. Telle est la raison ultime de sa candidature dissidente à la Présidentielle de 2015.

L’ex-banquier est donc retourné aux coutumes et loyautés primordiales pour reconfigurer l’Etat selon le modèle de l’autochtonie, et exclure du droit à l’exercice de la magistrature suprême ceux qu’il considère comme des allogènes spoliateurs. «S’il n’est pas vrai dans nos traditions de confier l’héritage des enfants à ceux du voisin, cela ne peut être non plus concevable en politique » a-t-il soutenu dans ce discours stupéfiant. « Chez nous au village, –a-t-il précisé– aucun chef de famille n’a jamais cédé au fils du voisin son héritage, héritage qui reste le fruit de tant de labeurs et de frustrations. Jamais, cela ne se fait chez nous. L’héritier joui de son titre et du contenu de l’héritage ». Les lois coutumières doivent donc réglementer les procédures partisanes et ordonner  l’attribution du Pouvoir dans une République.

En conséquence de ce principe, il a donc mobilisé  les coutumes et les traditions pour revendiquer la direction du PDCI et justifier une candidature séparée qui rompt la coalition du RHDP. L’ex-banquier refuse d’être spolié de  son héritage : le PDCI-RDA et le Pouvoir d’Etat : « Je refuse que mon héritage, le PDCI-RDA, soit donné au fils du voisin-adversaire et je ne saurais le céder au premier venu.   Je défendrais l’héritage du père envers et contre tous et surtout contre mon père. Parce que ce serait le comble de l’indécence que d’accepter une telle décision même venant de mon père. Car au-delà de sa volonté de me déshériter, je ne saurai me positionner en démissionnaire». clame Charles Konan banny

Il avoue ainsi clairement être l’héritier légitime d’un père qui reçut lui-même le PDCI-RDA et le pouvoir d’Etat en héritage du père fondateur ; héritage dont « son père » fut frustré par un usurpateur venu d’ailleurs ! Le « père » que Charles Konan Banny déclare dans ce discours hallucinant est Henri Konan Bédié dont il estime être le fils trahi et en même temps le vengeur.

Charles Konan Banny refuse la volonté prétendue de son « père » de le déshériter au profit du fils du-voisin adversaire (entendez le RDR qui serait dans son langage abscons le fils d’Alassane Dramane Ouattara qui n’est lui-même autre que « le voisin-adversaire » spoliateur). Charles Konan Banny refuse d’être déshérité « à cause des sentiments inavoués malsains que nourrit ledit voisin à l’encontre de mon père depuis des lurettes. » L’héritier outré  part à la reconquête de l’héritage familial et se pose aussi en fils-vengeur contre un ennemi qui a toujours nourri de noirs desseins à l’égard de son père à lui Henri Konan Bédié.

Il embouche donc la trompette de la guerre en vue de rassembler tous les membres de la famille autour de sa personne pour défendre « l’héritage contre toute imposture et toute forfaiture ». L’auteur ne se contente pas de mobiliser les coutumes, il fait appel aux affects et désigne des usurpateurs qui sont des ennemis intérieurs à combattre : en l’occurrence le RDR (le fils) et « son père »  Alassane Dramane Ouattara, le « voisin-adversaire », qui se sont appropriés indûment le patrimoine de sa famille. Il transforme ainsi dangereusement la lutte politique démocratique en un règlement de compte entre des clans familiaux et tribaux qui se disputeraient le pouvoir d’Etat, défini comme propriété familiale d’un des protagonistes.

La question urgente centrale qui mérite alors d’être posée est celle-ci : ce discours de feu et de flamme, ce discours clivant qui excite les affects, ce populisme identitaire est-il un discours légitime, pertinent et politiquement responsable en démocratie républicaine? (À suivre)

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