La condamnation de Simone Gbagbo est fondée en raison.

La presse nationale et internationale a largement relayé le caractère controversé de la condamnation pénale  à 20 ans de prison de Simone Gbagbo,  responsable politique qui épaula son époux à la tête de l’Etat de Côte d’Ivoire durant 10 ans, de 2000 à 2010.

Le tribunal n’a présenté aucune preuve factuelle de la participation directe de l’accusée à la perpétration des crimes. Aucun témoin n’a pu prouver, document à l’appui, qu’elle fut l’auteur direct d’une quelconque déprédation. Aucune de ses victimes présumées n’a pu prouver que Simone Gbagbo était la donneuse d’ordre des brutalités qu’elles avaient subies. Simone Gbagbo a donc clamé en duo avec sa défense qu’elle n’a commis aucun crime et s’est jugée innocente.

N’a-t-on pas cependant entendu, la responsable politique Simone Gbagbo, épouse du chef de l’Etat, tenter de modifier le cours des évènements en récusant la victoire électorale de l’adversaire de son époux ? Ne l’a-t-on pas entendue prononcer des discours incendiaires contre ses adversaires pendant la crise postélectorale, inciter au meurtre, justifier les brutalités commises contre des hommes politiques et des catégories de la population par le système sécuritaire du régime, se réjouir du viol de manifestantes de l’opposition par des militaires ?

Au regard de la raison commune, cette incitation et cet encouragement  au crime établissent la culpabilité politique et morale de la responsable politique.

Cette culpabilité, qui n’est pas pénale, est pourtant essentielle. Car elle a trait à la faillite des dirigeants d’un Etat quant à  leurs  obligations politiques   envers  les populations. Elle a trait à la faillite de la personnalité politique quant à l’obligation morale inconditionnée de protection de la liberté  et de respect de la dignité humaine qui fonde le droit moderne. Et, en tant que telle, la culpabilité politique et morale de Simone Gbagbo relativise le caractère controversé de sa condamnation judiciaire pénale dans un procès pour crime contre l’Etat ivoirien.

Des manquements moraux, qui se situent hors du cadre de la  sanction judiciaire pénale, ont conduit aux crimes. Et il faut donc évaluer la sanction judiciaire qui frappe Simone Gbagbo à partir de la racine morale du droit. Comme le rappelle le grand philosophe Karl Jaspers, auteur de La Culpabilité allemande,  «  les manquements moraux sont à la base des circonstances dans lesquelles grandissent ensuite la culpabilité politique et le crime. D’innombrables petits actes : négligence, conformisme facile, justification à bon marché ou encouragement imperceptible de ce qui n’est pas juste, participation à l’établissement d’une atmosphère publique favorisant la confusion et créant par cela même la possibilité du mal, tout cela a des conséquences qui contribuent à la culpabilité politique en modifiant les circonstances et le cours des évènements »

 N’a-t-on pas entendu Simone Gbagbo, l’ex-responsable politique,  réitérer devant le tribunal ses manquements moraux quotidiens, en se défaussant sur des ennemis extérieurs imaginaires, sur des boucs émissaires désignés à la vindicte populaire, tels la France et l’ONU,  contre lesquelles elle a adressé une nième fois une attaque en règle? Ne l’a-t-on pas vue créer la confusion qui conduisit aux massacres postélectoraux, en soutenant que son époux Laurent Ggabgo avait gagné l’élection présidentielle de 2010 ? Ne l’a-t-on pas vue instituer à nouveau, par ses diatribes enflammées, cette atmosphère publique délétère qui fait perdre les repères conduisant par cela même au mal? Ne l’a-t-on pas entendue réclamer du tribunal et des victimes de ses incitations au meurtre des excuses pour injures à sa personne tout en refusant de se reconnaître une quelconque obligation  envers ces citoyens qui étaient en droit d’attendre de la responsable politique d’un Etat, sécurité et protection ? Ne l’a-t-on pas vue s’adonner devant le tribunal à l’instrumentalisation politique de la religion chrétienne  après avoir incité au viol des deux lois fondamentales du christianisme « Tu ne tueras point » et « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » ?

Il faut donc apprécier la sanction judiciaire qui frappe Simone Gbagbo dans le cadre d’un procès pour  atteintes à la sureté de l’Etat ivoirien  en reliant le droit pénal à son fondement moral, à l’esprit du droit pour ne pas limiter le respect du droit au respect de sa lettre. Il faut rappeler ce principe fondateur du droit pour éviter de disculper politiquement l’accusée dût-elle plus tard bénéficier d’une grâce présidentielle. Il faut rappeler cette racine morale du droit pour éviter les instrumentalisations politiques qui s’en tiennent à la lettre du droit. Pour la raison commune, Simone Gbagbo est donc politiquement responsable des crimes commis par l’appareil sécuritaire et les milices du régime dont elle fut un membre important. Elle a failli à l’obligation politique de protéger les populations, de veiller à leur sécurité et d’assurer leur bien-être en tant que responsable politique de premier plan.

En battant le tambour médiatique autour du caractère controversé du réquisitoire juridique contre Simone Gbagbo, un volet essentiel, qui permet de juger complètement les responsables politiques en dehors du réquisitoire juridique, est passé sous silence. La culpabilité politique et morale, n’étant pas pénale, permet néanmoins d’accuser et de disqualifier un dirigeant politique. Ce réquisitoire, qui est celui de la raison commune, doit redoubler celui des magistrats professionnels du droit pénal.

Occulter, passer sous silence la culpabilité politique et morale qui en dehors de la peine juridique frappent immédiatement tout dirigeant politique ayant failli à son devoir de protection des populations, revient à consacrer en Afrique la culture de l’irresponsabilité des dirigeants politiques. Cette occultation soumet les populations à l’arbitraire et au bon vouloir des Pouvoirs établis. Elle légitime l’instrumentalisation du droit par les dirigeants politiques africains qui ont toujours beau jeu de revendiquer leur innocence après avoir incité au crime du haut de leur trône et du fond de leur palais. Elle favorise l’exploitation politique du principe juridique de la preuve qui permet aux autocrates de se disculper après avoir régné par la terreur. Les dictateurs peuvent ainsi clamer leur innocence après avoir créé, par des décisions contestables allant du tripatouillage des constitutions à l’instrumentalisation clientéliste des institutions, les conditions qui conduisent aux guerres civiles et aux massacres. Réduire le droit pénal à la lettre du droit, c’est déconnecter, pour le meilleur et pour le pire, le droit de son enracinement moral en tant qu’obligations de chacun envers autrui.

A la culture du droit comme appareil de protection des prérogatives d’un propriétaire privé, qui permet aux dictateurs africains de réclamer devant les tribunaux le respect de leur droit sans reconnaître ceux de leurs victimes, il faut donc substituer la culture morale du droit comme codification des obligations inconditionnées de chaque homme envers autrui. Le droit n’est, en effet, rien d’autre que la codification juridique de l’obligation du respect de l’être humain et de son irréductible dignité qui s’impose inconditionnellement à tout être humain.

Que les hommes de 1789 aient préféré la notion de droit à celle d’obligation, en raison de leur parti pris idéologique, ne doit pas faire oublier cet enracinement éthique du droit qui permet de le préserver des manipulations. A l’ère de la démocratie, c’est à l’aune de cette référence morale, la boussole de la raison commune, que doit être apprécié le jugement pénal des responsables politiques et militaires sur le continent africain.

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