L’Afrique Noire risque-t-elle de perdre encore l’initiative en ce début du XXIème Siècle ?

En ce début du XXIème siècle, l’Afrique Noire  se retrouve  à nouveau à la croisée des chemins face à un choix historique dont dépendra son destin. Elle se trouve devant le chemin de la démocratie constitutionnelle représentative,  de l’initiative politique  et de la créativité économique  qui lui permettrait d’être désormais l’acteur autonome de son histoire ; c’est la voie  de l’émancipation individuelle et collective. Elle est aussi en face du chemin de la reproduction des schémas de domination, de prédation et d’atomisation   des individus et des collectivités  dans des dictatures et des autocraties ; c’est le chemin de l’inertie,  de la minorité et de la régression économique,  sociale et politique.

En dépit des apparences, le dynamisme économique et l’euphorie de la croissance pourraient conduire le continent  noir à basculer  dans la voie de la régression. Le faisceau des éléments, qui conduisit à l’intrusion militaire et politique des puissances étrangères au XIXème siècle et qui s’était  conclu par la colonisation, est à nouveau réuni.

L’intrusion coloniale occidentale et la perte de l’initiative en Afrique  eurent, en effet, lieu à un moment où l’économie mondiale se transformait en profondeur. L’ancienne économie de marché féodale de type mercantiliste  cédait la place à une économie de marché libérale et capitaliste  de type industriel. Le continent noir était, dans le même temps, engagé dans les guerres politiques d’établissement des empires dans le cadre  d’une économie de marché de type féodal.

Aujourd’hui, à l’ère de la nouvelle économie de marché fondée sur le capitalisme financier et la révolution des moyens d’information et de communication dans un monde globalisé, le schéma de la contradiction entre deux logiques économiques et politiques semble se reproduire à nouveau.

 La révolution contemporaine  de l’économie mondiale, qui entraîne une restructuration des superstructures politiques, coïncide avec une époque de conflits politiques en Afrique. A l’image des guerres d’établissement du monde précolonial, la réforme  démocratique  du pouvoir en Afrique  donne lieu à des affrontements politiques entre forces conservatrices et progressistes africaines. Des conflits sont engagés au niveau des superstructures pour pérenniser ou briser  les anciens systèmes de société et de production. Pour une grande partie des groupes dirigeants conservateurs africains, l’enjeu politique ultime est de transformer la démocratie constitutionnelle électorale, qu’appellent les temps nouveaux, en aristocratie électorale pour conserver les formes anciennes de l’économie.

Or, la tendance à réduire  la nouvelle économie de marché en économie de la croissance favorise la dynamique régressive. L’investissement productif à long terme est alors négligé au profit de la consommation ostentatoire et des investissements de rente. Dans plusieurs Etats africains, le mercantilisme économique à court terme  et  la  redistribution clientéliste s’imposent,  de plus en plus, face à l’investissement productif à long terme, et à une redistribution économique fondée sur la promotion des ressources endogènes.  Cette extraversion économique livre une fois de plus les Etats africains à la main  de fer des bailleurs de fonds du capitalisme financier moderne.

Encore atomisé, peinant à construire son unité  politique et économique à travers des modèles éducatifs pertinents, éprouvant des difficultés à avoir une vue d’ensemble,  à bâtir des ensembles régionaux unis dans des projets de société émancipateurs,  l’Afrique Noire fait face à des Etats-nations occidentaux et asiatiques militairement, économiquement technologiquement et politiquement structurés, en quête de matières premières et de nouveaux espaces géopolitiques.

Pour échapper à la  répétition de l’histoire qui n’est pas une fatalité, pour éviter de déraper dans  le chemin de l’inertie  et de perdre l’initiative historique, il est urgent de rassembler et de mobiliser les  forces africaines du progrès autour du projet de la réappropriation des principes et structures de la nouvelle modernité politique et économique. A l’image du Japon de l’ère meiji, au milieu du XIXème siècle,   et  des nouvelles puissances industrielles et financières du continent asiatique, il faut mobiliser les forces du progrès en Afrique  pour maîtriser les formes et les utopies qui structurent  la nouvelle modernité. Dans ce sens, une révolution de l’éducation est requise dans le continent noir.

Cette éducation du XXIème siècle doit être centrée sur la promotion de l’autonomie créatrice personnelle, sur le développement de la subjectivation, sur la synthèse de la rationalité instrumentale moderne et de la mémoire des peuples, sur la promotion des ressources endogènes.  Cette révolution de l’éducation  fera émerger un nouveau type d’hommes, d’acteurs économiques sociaux et politiques en Afrique noire. Une nouvelle  praxis politique économique et sociale régionale,  inspirée par des principes  et des utopies maîtrisés par des acteurs historiques autonomes,  pourra alors émerger. Ce sera la source des choix éclairés et des décisions pertinentes qui engageraient le Continent noir sur le chemin du progrès et de l’émancipation.

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