L’investissement économique est un impératif démocratique

En Côte d’Ivoire, l’inauguration du Pont Henri Konan Bédié, symbole de la  priorité donnée par le gouvernement ivoirien à la politique d’investissement, donne lieu à des appréciations diverses.

Jugeant que la redistribution des fruits de la croissance est prioritaire, certains Ivoiriens voient,  dans cette infrastructure, le signe caractéristique d’une économie ostentatoire,  soutenue par une politique clientéliste, qui ne répond pas aux besoins pécuniaires concrets des populations. Pour une grande partie des opinions publiques africaines, en effet, les révolutions démocratiques seraient   destinées à construire des Etats qui amélioreraient immédiatement  le quotidien du plus grand nombre à travers une politique active de redistribution.

Dans nombre de pays africains, cette attente populaire est confortée par un contexte d’euphorie économique entretenue par une croissance à deux chiffres. Les populations ont alors le sentiment que les richesses publiques sont gaspillées et pillées  par des classes dirigeantes qui vivent dans l’ostentation exhibant avec impudeur leur richesse devant un peuple paupérisé qui peine à joindre les deux bouts. En Côte d’Ivoire, la fièvre de l’investissement serait donc, en réalité, motivée par  le souci d’accumulation capitaliste d’un Etat et  d’une classe dirigeante qui chercheraient à s’enrichir, à spéculer et à opérer des arrangements politiciens  au détriment du bien-être collectif et de l’intérêt général. Dans le cadre du contrôle démocratique des actes du gouvernement, une critique constructive devrait alors pouvoir prouver que la priorité accordée à l’investissement en Côte d’Ivoire est de nature affairiste et obéit à des préoccupations mercantilistes et électoralistes à mille lieux  des réquisits de la démocratie.

En accord avec le gouvernement, une grande partie de la population ivoirienne semble justement ne pas partager cette accusation. La fonction structurelle de l’investissement économique, dans l’économie de marché  et  dans la démocratie, semble donner raison à cette frange de la population. L’investissement économique est à la fois une exigence économique et un impératif démocratique. Couplé rationnellement avec la redistribution, il sert sur le plan économique à réaliser un développement endogène. Au niveau de la démocratie, il permet de réaliser l’intégration sociale et de donner du contenu aux principes de citoyenneté, de représentation des intérêts et de dignité des personnes. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, la priorité de l’investissement est  appelée par la situation spécifique du pays.  L’investissement économique  doit permettre de reconstruire une société nationale. Il faut réconcilier les Ivoiriens à travers la reconstruction les infrastructures. Alors que l’ethno-nationalisme avait divisé et désintégré  la société ivoirienne en brisant le sentiment de commune appartenance, l’impératif économique et démocratique est désormais de reconstruire la société nationale par la modernisation économique et par l’intégration sociale.

 C’est précisément le message que véhicule le symbole de la reconstruction des routes et des ponts. Il s’agit de réconcilier les membres de la cité en les  intégrant, en les reliant et en les réunissant dans l’espace et dans le temps, au moyen des infrastructures. La fonction de la reconstruction des infrastructures est de donner du contenu au principe démocratique de citoyenneté. La pertinence des investissements permet de mobiliser les ressources endogènes. Elle fait démarrer la machine économique en transformant  tous les membres de la cité  en acteurs autonomes  du développement et en producteurs égaux de la richesse sociale.

En Côte d’ivoire, la priorité donnée à l’investissement rationnel semble donc s’inscrire dans une logique économique qui ne fait pas l’impasse sur l’impératif démocratique de représentation des intérêts sociaux, lequel exige de redistribuer les produits de la croissance. Dès lors, la question est de déterminer clairement le modèle de redistribution qui est mis en œuvre dans cette politique  délibérée d’investissement. En Côte d’Ivoire, une redistribution économique qui consiste à promouvoir l’entreprenariat privé semble avoir été préférée à une redistribution immédiate de nature clientéliste. Cette dernière consiste à repartir les fruits de la croissance à des factions et des groupes d’intérêts particuliers  selon des critères politiques et non économiques. La redistribution économique, au contraire,   consiste  à repartir les fruits de la croissance, à travers la démocratisation de l’espace économique, en soutenant et en promouvant systématiquement l’entreprenariat privé. Il s’agit alors de faire jouer pleinement à l’Etat un certain rôle dans l’allocation des ressources qui consisterait à encourager et à soutenir  activement cette démocratie économique en direction des catégories sociales défavorisées.

La gouvernance démocratique exige que la pertinence économique et démocratique de ce choix gouvernemental soit clairement expliquée aux populations dans une politique active de proximité. La démocratie ivoirienne devrait, dans ce sens, servir à concilier investissement économique et bien-être social. Le système politique ivoirien devrait pouvoir jouer pleinement un rôle de médiation entre les divers acteurs : Etat, entrepreneurs, syndicats et travailleurs. Il devrait servir à articuler, par le dialogue social, les diverses composantes du développement dans le cadre de la priorité accordée à l’investissement.

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