Nelson Mandela ou le pouvoir du caractère

Le 15 décembre 2013 Nelson Mandela était rendu à la terre de ses ancêtres à Qunu. Le 5 décembre dernier, l’Afrique a commémoré le premier anniversaire de la mort de l’Homme de Qunu, survenue le 5 décembre 2013  ! Elle a célébré le héros de la lutte anti-apartheid et de la victoire de la liberté sur l’oppression et l’inégalité qui a inauguré l’entrée du continent dans l’ère de la démocratie. Mais comme l’atteste la résilience des autocraties et des politiques de prédation sur le continent, il semble qu’ait été oubliée la dimension d’exemplarité qu’incarna l’Homme de Qunu qui ne fut rien d’autre que le schème pratique de la vertu démocratique en Afrique.

Nelson s’est accompli lui-même en agissant selon les principes pratiques de liberté, d’égalité, de fraternité, de solidarité humaine, de reconnaissance de l’Autre, de respect inconditionnel  de l’intérêt général et du bien public qu’il s’est prescrit à lui-même au moyen de sa propre raison. Il a pu convertir ces  principes en maximes de sa volonté au moyen de sa liberté. En l’Homme de Qunu, ces principes ne demeurèrent pas au niveau des idéaux inspirant des déclarations et des proclamations démagogiques et inefficientes. Ils se transformèrent en convictions subjectives et furent par cela même pourvus d’une force opérative susceptible de transformer l’existence concrète des hommes et de modifier le cours de l’histoire. C’est en cela qu’il fut un homme de caractère et que le pouvoir du caractère put bâtir une Afrique du Sud multiraciale et démocratique. 

C’est en tant qu’homme de caractère que Nelson Mandela s’est imposé comme autorité politique et morale aux racistes blancs et a pu abattre l’apartheid. Ce ne furent pas les kalachnikovs de la lutte armée qui portèrent le coup fatal décisif au système inique et ignominieux de l’apartheid. Ce fut le pouvoir du caractère, de cette valeur interne qui élève l’homme au dessus de tout prix et que Nelson Mandela incarna en tant que leader de l’ANC.

L’Homme de Qunu administra la preuve de sa qualité d’Homme de Caractère lorsque les blancs décidèrent par pragmatisme, mais aussi par ruse, de céder le pouvoir politique aux leaders de l’ANC et de partager avec eux une partie du pouvoir économique. A la différence de bon nombre de ses compagnons de route, Nelson Mandela ne céda pas à la tentation de l’avidité et de l’égoïsme, passions  humaines qui définissent la finitude de l’être humain et sa faiblesse, et qui auraient pu le pousser à faire main basse sur une partie de l’économie sud africaine, et à monopoliser le pouvoir en instrumentalisant la majorité noire. Créature marquée par sa finitude et sa faiblesse originaire, tout homme a son prix pour lequel il se vend et se livre dit l’apôtre. Mais le caractère élève l’homme au dessus de tout prix et lui confère la dignité intemporelle des principes.

C’est en tant qu’Homme de caractère que Nelson Mandela, l’Homme de Qunu, est une icône sacrée pour l’Afrique du Sud et pour tout le continent. Il l’est comme un homme politique qui a pu triompher de lui-même pour servir inconditionnellement le bien public. Il est une icône en tant qu’exemple de vertu politique et morale ,modèle à imiter,.

L’Homme de Qunu, comme disent les grands philosophes moralistes, est un schème pratique éternel pour les Africains. Il a incarné comme exemple à suivre en Afrique, l’idée de l’homme politique en démocratie Aux Africains, il a donné à voir qu’un homme politique africain peut agir comme un Homme de Caractère en vainquant sa propre servitude interne. Cette faille intime est en réalité  notre implacable ennemi interne, cet adversaire redoutable qui ruine tous les efforts de développement économique et politique sur le continent. Depuis l’homme de Qunu, est donc ébranlée notre tendance à occulter cette division interne humaine qui entretient les politiques de prédation. Depuis l’homme de Qunu, est ébranlée notre tendance à nous abîmer dans l’extériorité, à rechercher des ennemis extérieurs, à mobiliser les médiations et solutions externes pour résoudre le problème de la politique de l’économie et de l’émancipation humaine en Afrique.

 Rendre hommage à l’homme de Qunu consiste, par cela même, à célébrer quotidiennement sa mémoire en agissant au quotidien comme un Homme de Caractère. Fêter l’anniversaire de l’Homme de Qunu ne réside guère dans le pharisianisme des cérémonies spectaculaires qui célèbrent le jour de sa mort physique, pendant que les praxis politiques africaines quotidiennes trahissent l’esprit de son existence.

 Nelson Mandela n’est rien d’autre qu’un modèle exemplaire à imiter. Il n’est en rien un Dieu apparu en Afrique par miracle, encore moins un fétiche à adorer dans une sorte de paganisme annuel. Il fut simplement un homme qui put agir sur terre comme un Dieu en triomphant de lui-même. Il fut en Afrique le schème pratique du triomphe possible de l’homme politique africain sur lui-même.

Ses compagnons de route et sa postérité politique semblent n’avoir pas réussi à se hisser à la hauteur où les appelait l’exemple de l’Homme de Qunu. Ils auraient dû, en vainquant en eux-mêmes l’ennemi intérieur qui est constitué par l’avidité et l’égoïsme, promouvoir pragmatiquement une politique qui améliore le quotidien du plus grand nombre. Tombant dans le piège tendu par les blancs, comme un peu partout en Afrique par les colons, ses compagnons de lutte se sont arrogé des pans entiers de l’économie au détriment du plus grand nombre. Dans cette dérive et dans la pure tradition monopolisatrice  du pouvoir blanc, ils ont poussé l’avidité personnelle et l’hubris de la possession jusqu’à la répression sanglante des revendications syndicalistes des mineurs, une profession symbolique qui occupa le front de la lutte anti-apartheid.

 L’échec du pouvoir sud-africain sur le plan de l’imitation du schème pratique de la vertu démocratique qui a surgi des rangs de l’ANC ne rend que plus urgente la mise en œuvre d’une politique d’appropriation active continentale du modèle Mandela. Les institutions internationales du continent se doivent de promouvoir systématiquement et de  présenter comme exemple à suivre les conduites qui s’approchent de ce modèle. On ne peut en cela qu’être affligé par le fait que, devant l’indifférence et même l’hostilité des pouvoirs politiques du continent, ce soit une fois encore les ex-colonisateurs qui, s’emparent de cette problématique essentielle qu’est la promotion de l’exemplarité démocratique.

L’Homme de Qunu, Nelson Mandela, a été en Afrique le schème pratique, le modèle temporel concret  de la vertu politique en Démocratie. Il ne constitue rien d’autre qu’un exemple à imiter impérativement. L’avenir de la démocratie africaine dépend en grande partie de la capacité des dirigeants politiques africains, et des générations présentes et  futures, à imiter cet exemple. Pour y parvenir, il faut, par une éducation démocratisante en Afrique, travailler à la révolution de la manière de penser le pouvoir, et à la reforme progressive des mœurs politiques africaines.

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