Comment la francophonie doit-elle faire sa mue pour répondre aux besoins de l’Afrique du 21ème siècle ?

 Les lampions des cérémonies du renouvellement du Secrétariat Général de l’Organisation Internationale de la Francophonie se sont éteints sur la réaffirmation d’un triple objectif : politique, social et économique. L’OIF se propose d’être « le porte voix des valeurs de la démocratie et de l’alternance »  « d’œuvrer en faveur de la paix de la démocratie et des droits de l’homme », de « faire du patrimoine culturel et linguistique francophone un levier de la croissance économique et du développement durable et solidaire » !

En s’assignant ces trois objectifs et en joignant  le geste à la parole dans le soutien sans équivoque du processus de l’alternance démocratique du pouvoir en Afrique, l’OIF  qui a toujours été soupçonnée  d’être une superstructure et un appareil idéologique d’Etat au service du néocolonialisme français revendique une transformation qualitative. Considérée en effet comme superstructure du système colonial  l’OIF a toujours été perçue par certains protagonistes africains comme un instrument de dévolution du pouvoir par des réseaux pilotés par l’ex-colonisateur.

De manière caractéristique, certains hommes politiques et certains intellectuels organiques africains réduisent pour cela  la complexité de la problématique de la restructuration de l’OIF à la question de la garantie du pouvoir et des intérêts des couches dirigeantes africaines. Une certaine « élite » africaine, nouvelle classe dominante, qui s’est glissée dans la peau du colon et en a adopté la mentalité,  limite la question de la mutation de la francophonie à la  question du respect des particularismes politiques, de  la spécificité des situations locales et de l’équilibre des rapports de pouvoir qui s’y sont établis. Dans cette optique la dénonciation de la politique assimilationniste de l’ex-puissance coloniale est démagogique. Elle sert souvent à légitimer les différentes versions de l’autochtonie qui confortent le monopole du pouvoir en Afrique !

Or cette myopie de classe gomme la complexité d’une problématique décisive : celle de la réappropriation de leur pouvoir constituant et de leur génie culturel par les peuples africains qui revendiquent désormais d’être considérés comme des acteurs historiques et politiques à part entière, des artisans responsables de leur propre destin.

La question de la transformation qualitative de la francophonie se pose alors précisément en ces termes : Comment faire de la francophonie un espace  d’affirmation du génie créateur des différents peuples francophones ? Comment en faire l’espace de dialogue des rationalités et des identités diverses ? Comment favoriser l’appropriation  culturelle réciproque et mutuelle des  différentes conceptions du monde ? Par quelles médiations efficientes intégrer concrètement les peuples africains comme acteurs démocratiques dans la nouvelle économie de marché ? Comment promouvoir une démocratie économique qui permette de réaliser la pluralité des intérêts des peuples et des individus dans  l’espace francophone ?

A mille lieux de la question étroite du pouvoir, la problématique principale de la francophonie du 21ème siècle est donc de promouvoir simultanément la démocratie politique, la démocratie culturelle et la démocratie économique. Elle est d’articuler la démocratie politique et culturelle  avec une démocratie économique qui intègre les intérêts de tous les acteurs de l’espace francophone sans exclusif! Il ne s’agit pas seulement pour l’OIF de promouvoir une démocratie formelle réduite au respect de la lettre du principe de  l’alternance du pouvoir sans en appliquer l’esprit. Il ne s’agit pas aussi de promouvoir une démocratie économique affairiste et mercantiliste qui conforte la mainmise économique des systèmes dominants  de pouvoir   sur le marché africain du 21ème  siècle.

L’esprit de l’alternance démocratique du pouvoir consiste en ce qu’un peuple choisisse périodiquement ses représentants selon le critère du respect des valeurs démocratique et celui de la représentation politique effective des intérêts de la pluralité sociale. La question centrale est donc que la francophonie soit désormais une organisation qui travaille à l’incarnation de   ses valeurs cardinales dans les institutions. Ce  qui permet de donner un contenu tangible aux notions de dignité de liberté d’égalité, de fraternité et de solidarité. Il s’agit alors de favoriser l’appropriation subjective de ces valeurs par les personnes en promouvant systématiquement leur expression particulière dans les différentes cultures. Cette nécessaire particularisation de l’universel n’a cependant pas le sens de la promotion d’une folklorisation ! Il ne s’agit guère de substituer à une francophonie uniformisante une francophonie folklorique pour répondre aux besoins de l’Afrique du 21ème siècle.

Le respect nécessaire des particularismes dans la francophonie du nouveau siècle a un autre sens : il s’agit du respect des particularismes culturels qui doit corriger les excès des  réquisits d’égalité et d’unité  républicaine qui conduisirent à nier les identités et les mémoires culturelles des peuples au profit de la politique d’assimilation coloniale.

Ce qui est demandé en Afrique en ce début du 21ème est donc qu’une francophonie libératrice se substitue à une francophonie dominatrice et assimilatrice. La mue de la francophonie dans ce sens signifie précisément que le respect de la différence culturelle  libère  l’éclosion du génie créateur  des peuples, soutienne l’affirmation des rationalités diverses pour enrichir la francophonie.

Ce dont il s’agit en ce 21ème siècle est donc de constituer dans l’espace francophone un nouvel universel par le dialogue vivant des cultures. Cet objectif présuppose de prendre en compte et de promouvoir institutionnellement la pluralité des intérêts économiques des peuples de l’espace francophone. Cette réalisation institutionnelle  concrète  donne du contenu aux idéaux démocratiques de liberté d’égalité de fraternité et de solidarité et en fait des valeurs partagées. Telle est la médiation nécessaire du développement durable et solidaire au 21ème siècle dans l’espace francophone.

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